Dans les Alpes-de-Haute-Provence, les gardiennes de Lure sont déterminées à ne pas laisser une multinationale de l’énergie détruire 17 hectares d’espaces naturels sur la montagne de Lure. Une journée de mobilisation était organisé sur place le 19 octobre par le collectif Elzéard, Lure en Résistance
Anne, Claudine, Sylvie et les autres s’inquiètent du devenir de la Montagne de Lure, chère à Jean Giono qui y a situé en 1953 sa nouvelle la plus emblématique, L’homme, Elzéar Bouffier, qui plantait des arbres, pour redonner vie à cette contrée qui se mourrai de sécheresse. Aujourd’hui c’est le collectif Elzéard, Lure en Résistance qui se mobilise pour faire barrage aux multinationales qui viennent coloniser et détruire le territoire de la montagne de Lure.
Lire sur Reporterre le reportage de Pierre Isnard-Dupuy :
En Haute-Provence, des femmes protègent la forêt de leurs corps
Deux habitantes sexagénaires des Alpes-de-Haute-Provence sont poursuivies pour s’être allongées devant des engins de chantier. Dimanche, 300 personnes ont manifesté contre la déforestation au profit du photovoltaïque.
Montlaux et Cruis (Alpes-de-Haute-Provence), reportage
Leurs soutiens les ont surnommées les « gardiennes de Lure ». Du nom de cette montagne emblématique en Haute-Provence, par ses grands vallons arrondis et boisés et sa cime chauve culminant à 1 825 m d’altitude. Sylvie, 60 ans, et Claudine, 72 ans, risquent deux ans de prison pour s’être allongées, le 4 octobre 2023, en travers du chemin des engins de chantier commandés par la multinationale Boralex pour la construction d’un parc photovoltaïque sur deux parcelles forestières communales à Cruis (Alpes-de-Haute-Provence).
Menottées et placées en garde-à-vue, les militantes du collectif Elzéard Lure en résistance ont été présentées en comparution immédiate au tribunal de Digne-les-Bains. Après deux renvois d’audience, elles seront finalement jugées le 5 décembre prochain. Boralex veut aussi taper fort à leur encontre, en réclamant 30 000 euros de dommages au titre des retards du chantier.
Chirurgienne-dentiste à la retraite, Claudine a déménagé de Paris à Forcalquier il y a quatre ans après « un coup de foudre pour ce pays magnifique ». « Nous n’avons pas le choix de faire autrement. Sinon, il y a non-assistance à personnes en danger », dit-elle en personnifiant la montagne et les êtres qui la peuple.
« Cela faisait quatre ans que le chantier allait arriver. J’étais en dépression. Ça m’a soigné », dit, à ses côtés, Sylvie. Cette comédienne est contente de la réaction citoyenne désormais à l’œuvre. « Quand j’ouvre ma fenêtre, je vois deux cicatrices, comme si toute la montagne était en train d’agoniser », se lamente-t-elle tout de même en pointant du doigt les deux zones défrichées pour le parc solaire. « Certains disent, 17 hectares ce n’est pas grand-chose. Mais la biodiversité de cette forêt fait partie d’un ensemble », explique cette habitante qui vit dans la commune voisine de Montlaux depuis 30 ans.
Avec Sylvie et Claudine, une poignée de femmes, du collectif Elzeard Lure en résistance, d’une même génération, ont fait barrage de leur corps pour s’opposer au projet de la firme canadienne depuis l’automne 2022. Depuis, la lutte a gonflé, avec des activistes d’Extinction Rebellion venus des villes de la région.
La plupart des structures métalliques sur lesquelles les panneaux doivent reposer ont cependant été installées. L’industriel espère mettre en route son parc avant l’été 2024. Dans ce pays de Lure, une foultitude d’autres projets sont par ailleurs dénoncés pour un total de 1 000 hectares promis au photovoltaïque.
« Faire barrage aux multinationales qui viennent coloniser et détruire nos terres »
« Nous sommes déterminées ensemble à faire barrage aux multinationales qui viennent coloniser et détruire nos terres », déclare Marie, habitante de la commune depuis douze ans, micro en main face à la mairie de Cruis, devant 300 manifestants. Dimanche 19 novembre, la marche carnavalesque et familiale s’étire jusque sur la piste forestière qui borde le chantier. Avec des chiens et un drone, les gendarmes sont sur le qui-vive.
« C’est un grand jour pour Cruis », se réjouit celle qui vit à proximité du futur parc. Pour cette sage-femme qui croyait « vivre au paradis, c’est une évidence de prendre soin de la faune et la flore sauvage ». Son opposition lui a valu, comme à tant d’autres militants, plusieurs convocations à la gendarmerie.
Ces femmes ont également pris des risques pour leur intégrité physique. Fin septembre 2022, Iraz [*] est montée dans un arbre pour empêcher qu’il soit abattu. Un bûcheron a tout de même actionné sa tronçonneuse. L’arbre et la militante sont tombées. Le choc qu’elle a subi ne lui a heureusement pas laissé de séquelles graves. Sa plainte pour mise en danger de la vie d’autrui avec arme a été classée sans suite.
Installée comme paysanne depuis la fin des années 1970, Iraz décrit la montagne, classée réserve de biosphère par l’Unesco, avec passion : « C’est un endroit super beau qui fait partie de ma vie. » Sans en employer le terme, elle place leur lutte dans une perspective écoféministe. « Les développeurs de photovoltaïque sont beaucoup des hommes. Ceux qui développent le monde sont souvent des hommes. Les femmes ont souvent un lien plus fort avec la vie. Moi, ça m’a emmerdé que l’on nous considère comme des Indiens néocolonisés a qui on apporte la civilisation. »
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