Tribune. « Ayez le courage de dire non » : Nicolas Hulot exhorte les députés à ne pas ratifier le Ceta

Nicolas Hulot a choisi franceinfo pour diffuser une lettre ouverte, dans laquelle il demande aux députés de ne pas ratifier le Ceta.

Nicolas Hulot, le 22 novembre 2018. (BERTRAND GUAY / AFP)

À la veille du vote solennel à l’Assemblée nationale du Ceta, le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, Nicolas Hulot met la pression sur les députés. « Ayez le courage de dire non », lance le président d’honneur de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme et ancien ministre de la Transition écologique et solidaire dans une tribune publiée lundi 22 juillet en exclusivité sur le site de franceinfo. Le Ceta prévoit de supprimer notamment les droits de douanes sur 98% des produits échangés entre l’UE et le Canada. En France, il suscite de nombreuses réticences à droite comme à gauche, le texte a déjà donné lieu à de vifs débats entre les députés lors d’une première discussion mercredi 17 juillet.


Lettre ouverte aux députés

Demain chacun de vous aura plus de pouvoir que tous les ministres de l’écologie réunis. Demain chacun de vous sera libre de voter contre la ratification du Ceta et exiger ainsi la réouverture des négociations. Demain la voix forte d’un pouvoir législatif unanime pourra éclairer utilement un exécutif qui agit comme si ratifier le Ceta allait de soi.

Ayons collectivement l’honnêteté de dire que la réalité de cet accord est beaucoup plus complexeNicolas Hulotà franceinfo

Il était essentiel à l’origine de démontrer que les craintes de certains étaient non fondées. Mais reconnaissons que cela n’a jamais été possible. Le plan d’action, que j’ai moi-même endossé à l’automne 2017, n’a pas produit les résultats escomptés et les attentes légitimes n’ont pas été comblées. Nous avons échoué à apporter les garanties nécessaires sur le veto climatique, les farines animales, les nouveaux OGM, la sauvegarde du principe de précaution à l’européenne…

Nous avons échoué à réformer la politique commerciale européenne. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Sourde à nos attentes, l’Union européenne a préféré conclure rapidement des accords avec le Japon ou le Viêtnam et un accord catastrophique avec le Mercosur. Et délivrer des nouveaux mandats de négociation avec les États-Unis de Donald Trump, l’Australie et la Nouvelle-Zélande sans faire plus de cas de nos alertes.

Des « premiers effets en matière de coopération alimentaire »

Pourtant ces accords commerciaux de nouvelle génération, le Ceta étant le premier d’entre eux, emportent toutes nos batailles et leurs conséquences dépassent largement nos frontières. Le gouvernement a dû finalement reconnaître que les normes qui s’appliquent sur le sol européen et celles qui s’appliquent à l’importation ne sont pas les mêmes en matière sanitaire et phytosanitaire. Ainsi, le Ceta produit déjà ses premiers effets concrets en matière de coopération réglementaire. Pour permettre l’accès au marché intérieur européen à des produits canadiens, la Commission Européenne a commencé à relever nos limites maximales de résidus (LMR) autorisées pour certaines substances et produits. En les multipliant par 10 par exemple pour la clothianidine, un pesticide néonicotinoïde interdit en Europe, utilisé au Canada sur les pommes de terre.

Le Parlement européen a bien fait une première objection mais la Commission n’a pas désarmé et compte revenir à la charge. De la même façon, elle se prépare à relever les LMR pour le 2,4-D, un herbicide entrant dans la composition de l’agent orange, considéré en France comme perturbateur endocrinien, et qui devrait en théorie être interdit en Europe suite à la définition adoptée en 2017.

La convergence vers le haut a du plomb dans l’aile. Il suffit de visionner les comptes rendus succincts des comités de suivi du Ceta pour constater que si le Canada est à l’offensive quant à la rigueur de nos normes, l’Union européenne ne montre aucune volonté de questionner l’utilisation par le Canada de 46 substances interdites en Europe.

Perturbateurs endocriniens

Le Canada ne fait lui pas mystère de ses intentions. S’il utilise déjà à son avantage les mécanismes peu transparents associés au Ceta, il n’a pas hésité non plus à s’allier au Brésil et aux États-Unis pour demander le 4 juillet devant l’OMC des comptes à l’Union européenne sur son application du principe de précaution quant aux perturbateurs endocriniens et autres substances cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR). Ce n’est pas nouveau. Déjà en 2016, le Canada avait fait pression avec succès sur la Commission européenne pour affaiblir sa proposition de définition des pesticides perturbateurs endocriniens. Car ce qui se joue est immense. Dans la continuité des actes précédents, l’Union européenne doit aujourd’hui faire évoluer sa doctrine de tolérance à l’importation pour aller vers une logique de tolérance zéro résidu pour les substances les plus dangereuses. Et c’est là tout l’enjeu car le marché européen est structurant pour de nombreux pays exportateurs.

Quand nous interdisons des substances dangereuses en France et a fortiori en Europe pour protéger la santé de nos populations, nous portons plus largement atteinte aux intérêts de BASF, Bayer-Monsanto, Syngenta, Dow Chemicals etc. qui, pour pouvoir vendre leurs pesticides, doivent garantir aux agriculteurs exportateurs brésiliens, américains ou canadiens que leurs produits pourront pénétrer le marché intérieur européen. Toujours prompts à défiler dans les ministères pour expliquer combien ils investissent, créent de l’emploi et pourraient le faire partout ailleurs, ce sont ces firmes qui font pression pour que l’Europe abandonne son approche unique au monde, qui considère que les substances les plus toxiques doivent être interdites sans autres considérations que leur danger intrinsèque.

Aujourd’hui, et je l’ai expérimenté, être ministre de l’écologie et vouloir faire respecter le principe de précaution est une lutte de tous les instantsNicolas Hulotà franceinfo

Quand tous les lobbys essayent déjà d’enfoncer la porte, pourquoi leur donner un bélier avec le Ceta ? Demain, ces firmes qui ont toutes des filiales au Canada pourront menacer de recourir directement à l’arbitrage. Mais alors pourquoi et pour qui ratifier le Ceta ? Pourquoi maintenant ? Pas pour notre santé, pas pour nos agriculteurs ni pour le climat, on l’aura compris.

Parce que les Canadiens sont nos amis ? S’ils le sont vraiment, pourquoi ne pas renégocier politiquement cet accord avec eux pour en supprimer les risques dispensables ? Ces accords de nouvelle génération sont loin du commerce comme facteur de concorde entre les peuples. Parce que quelques centièmes de points de croissance sont en jeu ? Parce que le commerce c’est important et qu’il faut être bon élève en Europe ? En réalité, au-delà des éléments de langage, qui sait vraiment pourquoi il faut ratifier absolument et maintenant le Ceta ?

Demain, comme le voudraient tant de Français, ayez le courage de dire non. Faisons enfin preuve de cohérence.

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