Menaces sur des policiers lors d’une perquisition visant Nasser Al Khelaïfi, pressions diplomatiques sur les enquêtes judiciaires, entrisme et trafic d’influence au Parlement, au ministère de l’Intérieur, des Comptes pulics et à l’Élysée : notre enquête et les dernières révélations sur l’Émirat gazier jettent une lumière crue sur la pieuvre qatarie et sa toute-puissance en France.
A mesure que progressent les enquêtes judiciaires sur les agissements dans l’Hexagone du Qatar et de son navire amiral, le Paris Saint Germain (PSG), l’étendue de sa vertigineuse influence se révèle peu à peu, dévoilant un système tentaculaire qui plonge jusqu’au coeur de l’Etat, sans considérations pour les lois, les individus ou la morale publique.
Comme Blast l’a longuement documenté, l’Emirat n’a pas hésité à tenir au secret pendant de longs mois en 2020, un citoyen français, Tayeb Benaderhamane, qu’elle a par la suite condamné à mort par contumace en 2023. Le consultant français, longtemps proche du club parisien, a le malheur d’en savoir un peu trop sur Nasser Al Khelaifi, le président du PSG et ministre sans portefeuille de l’Etat confetti. Le fait pour Tayeb Benaderhamane de détenir trop de documents compromettants, notamment le contenu d’un téléphone personnel de Nasser, le protège mais le condamne aussi à vivre caché et sous pression. Même protégé en France, le consultant n’est pas à l’abri d’un mauvais coup.
Pressions diplomatiques et condamnations à mort
En termes diplomatiques aussi choisis que pressants, le Premier ministre et ministres des affaires étrangères qatarien a même pris la plume par deux fois pour se plaindre que la justice française prenne en considération les dires de leur ancien employé, qui a porté plainte pour torture et kidnapping. « Je tiens à confirmer que le dénommé Tayeb Benabderrahmane a commis de graves crimes conformément au code pénal qatarien et qu’il est recherché par les autorités judiciaires qatariennes en raison de ces crimes », écrit son Excellence le 9 avril dernier dans un courrier à l’adresse de la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna. Et d’appuyer, dans une nouvelle missive du 18 juillet 2023. « Un jugement a été prononcé le 31 mai 2023 par le tribunal pénal du Qatar condamnant l’accusé, M. Benabderrahmane, à la peine de mort, en raison des crimes qui lui sont reprochés et demandant aux autorités du Qatar d’appliquer cette peine. »
Surtout, le chef du gouvernement de Doha enrage que les accusations de Tayeb Benaderhamane aient conduit à une perquisition, le 5 juillet 2023, de Nasser Al Khelaifi, dès sa descente d’avion. « Les autorités françaises concernées auraient tout à fait pu obtenir de la part de M. Al Khelaifi des réponses à leurs questions et inspecter avec son consentement son bureau, son domicile et son téléphone portable à un moment opportun après son arrivée à Paris, sans pour autant porter atteinte à sa réputation et à celle du Qatar » écrit le représentant qatari à la ministre française. Dévoilée par Médiapart, cette opération de police semble avoir profondément courroucé ses cibles. Nos confrères d’investigation ont détaillé l’étrange ballet qui s’est joué ce jour d’été sur le tarmac du Bourget. Blast a eu la chance d’accéder au procès verbal de l’opération, dont les détails méritent d’être narrés. Entre tentative de se soustraire à la justice, pression sur le Ministre de l’Intérieur, menaces à l’encontre des enquêteurs et fausses visites d’Etat, tout a été tenté par Nasser et son équipe pour échapper à la police française.
Dans l’hypothèse d’un départ précipité de l’avion
Sitôt arrivés à 12h30 dans « les locaux de la société signature, servant à la réception des voyageurs », les policiers de l’Office central de lutte contre la criminalité organisée (OCLCO) sont interceptés par « des avocats anglais de Nasser Al Khelaifi ». L’un deux présente « un document à l’entête du ministère des affaires étrangères du Qatar, en date du 3 juillet, mentionnant que M. Nasser Al Khelaifi, ministre d’Etat, est en visite officielle en France du 5 au 9 juillet ». Et serait ainsi protégé de toute investigation par son statut diplomatique. A cette date pourtant, le président du PSG est réputé attendu pour présenter le nouvel entraîneur de son équipe première, l’espagnol Luis Enrique. « Aux fins de vérifications complémentaires, nous contactons le service « immunité et protocoles » du ministère des Affaires étrangères et de l’Europe qui nous déclare ne pas être informé d’une mission officielle de M. Nasser Al Khelaifi pour le compte du Qatar en ce moment », décrivent les enquêteurs. Cette tentative d’esquive diplomatique ne sera pas la dernière.
Arrivés sur la piste de l’aéroport à 12 h 40, les fonctionnaires de l’Intérieur voient émerger de l’avion un chargé de protocole qui leur demande la raison de leur présence. 10 minutes après, « la porte de l’avion se referme hermétiquement et les hublots sont occultés par le système prévu à cet effet, s’alarment les policiers. Dans l’hypothèse d’un départ précipité de l’avion, nous nous assurons que les cales bloquant les roues de l’avion restent en place. »
Il faudra attendre 25 minutes pour que les portes de l’aéronef s’ouvrent à nouveau pour qu’en émerge, une fois de plus, le chef du protocole, qui annonce l’arrivée d’un secrétaire de l’ambassade du Qatar. Ce dernier leur assure « que Son Excellence l’ambassadeur du Qatar vient d’avoir à ce sujet le Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, qui aurait eu le Ministre de l’Intérieur », afin qu’ils reçoivent « de nouvelles consignes ». Rien n’y fera.
Il nous menace de subir les foudres de notre ministre de tutelle
Enfin à 14h, le patron du PSG daigne rencontrer les enquêteurs. S’il accepte de désigner des personnes pour assister aux perquisitions de son domicile et de son bureau, NAK refuse d’obtempérer à l’un des buts de l’opération : donner son téléphone pour en faire la copie… Ce n’est qu’à 15h35 après 95 minutes de négociations ardues, et l’argument d’un placement en garde à vue s’il s’obstine qu’il consent de laisser son précieux Iphone aux enquêteurs. L’opération s’achève non sans que le secrétaire de l’ambassade n’intervienne encore une fois. « Il nous menace de subir les foudres de notre ministre de tutelle ».
L’arrogance d’un dirigeant s’estimant capable d’échapper à des policiers, quitte à présenter un ordre de mission diplomatique baroque, ou celle d’un simple diplomate s’estimant en mesure de lancer des mesures de rétorsion à l’encontre de policiers d’élite, pourraient relever de simples comportements de matamore. Elles révèlent un sentiment tout autre : la toute-puissance et l’assurance que le Qatar compte au gouvernement des relais puissants.
Envoyez votre Ribes
Un homme a œuvré pendant des années à cet entrisme : Jean Martial Ribes, communicant en chef du PSG de 2011, date du rachat du club par le Qatar jusqu’au printemps 2022. Selon les documents judiciaires qu’a pu consulter Blast, le fringant quinquagénaire a tissé des liens privilégiés avec des personnalités bien installées au cœur de l’Etat.
Et ce, à l’instar de Charlotte Casasoprana, ancienne chargée de mission à l’Elysée de Nathalie Iannetta, conseillère sport de François Hollande puis d’Emmanuel Macron. Ribes la consulte souvent entre 2015 et 2018 pour éviter « de faire la queue quinze plombes » à la préfecture des Hauts-de-Seine pour faire renouveler le titre de séjour de sa femme, ou obtenir le passeport biométrique de son fils. Invitée à plusieurs reprises au Parc des Princes, Mme Casasoprana fait même acte de candidature auprès du PSG en 2018 (1).
Celle du ministre est mieux que celle du préfet
Ancien vice-président de La République en Marche de l’Assemblée Nationale de 2017 à 2022, Hugues Renson devient un interlocuteur privilégié à compter de son élection. Entre ce fervent supporter du PSG et « l’éminence grise » de Nasser selon L’Equipe, les relations dépassent largement le partage d’une même passion. Sous l’écharpe tricolore, Renson ne se contente pas de solliciter les invitations au carré VIP du Parc des Princes ou de demander à ce que son fils accompagne l’équipe lors d’une entrée sur le terrain en tant qu’escort kid.
Il s’active également pour accélérer les demandes de visas, titres de séjours et passeports pour des membres de la famille de M. Ribes, notamment sa femme, ou des ressortissants étrangers proches des Qataris… avec un certain succès. Le 12 février 2020, Hugues Renson transmet un courrier du ministre de l’Intérieur, à l’époque Christophe Castaner, actant la naturalisation de l’épouse du communicant. « Celle du ministre est mieux que celle du préfet », le remercie Ribes par texto. Hugues Renson fournit également au PSG la liste des députés supporters du club, avec l’indication de leurs liens éventuels avec le Qatar et l’Arabie Saoudite, un fichage étonnant à l’adresse d’une entreprise possédée par un Etat étranger.
Darmanin a bien le truc en tête
Surtout, selon les révélations de Libération, Renson se démène pour adoucir la fiscalité autour du transfert de Neymar, joueur brésilien arrivé au club à l’été 2017 pour un transfert record de 222 millions d’euros. « J’étais avec Gérald (Darmanin, alors ministre des comptes publics, ndlr)), on a parlé. Il considère que c’est bon, le calendrier a l’air fixé, assure Renson à Ribes par message. Et ce qui compte, c’est que les documents que nous avions évoqués soient produits. Ils nous protègeront. »
Une réunion entre Renson, Ribes et Nasser Al Khelaifi est même organisée à l’Hôtel Costes le 24 juillet 2017 pour border le dossier. « Darmanin a bien le truc en tête », confirme par message le député au communicant du PSG, précisant que le « Pdt », et ses « équipes » participent aux discussions. En somme un élu de la République, un ministre et un président participent à l’allègement fiscal de l’arrivée d’un employé du PSG dans une structure détenue par le Qatar. De fait, comme l’a détaillé Médiapart, le transfert de Neymar au PSG n’a été assujetti ni à l’impôt sur le revenu, ni à aucune cotisation sociale. Un manque à gagner de plusieurs dizaines de millions d’euros pour le trésor public.
Trafic d’influence et pacte de corruption
Depuis ces échanges, Hugues Renson a quitté la politique, devenant secrétaire général d’EDF Hydro sans concrétiser son rêve de travailler pour le PSG, lui qui indiquait dans un texto du 24 août 2020 qu’en cas de proposition d’embauche au club, il abandonnerait son mandat. Charlotte Casasoprana s’est reconvertie dans un grand groupe d’hôtels et restauration. Jean-Martial Ribes a lui été mis en examen notamment pour trafic d’influence et corruption le 30 novembre dernier (2), précisément pour ces échanges de bons procédés. Une mise à l’index judiciaire qui peut augurer d’un tremblement de terre tant les libéralités du PSG et du Qatar avec les élus, les policiers ou les dirigeants sportifs ont été importantes ces dernières années. « Pour qu’il y ait corruption, précise à Blast une source proche de l’enquête, il faut un pacte. Ribes ne peut pas être le seul mis en examen. »
Un prémice de tempête a d’ailleurs été annoncé par Blast. Le 16 janvier prochain, des représentants du Qatar seront renvoyés en correctionnel devant le tribunal judiciaire de Nice. Les éminences n’ont pas respecté le code de l’urbanisme et de l’environnement quand il a fallu ripoliner le palace qu’ils ont acquis à Roquebrune-Cap-Martin. Un premier procès pour fissurer l’immunité dont les Qataris bénéficient depuis une décennie ?
(1) Joint par Blast, l’avocat de Charlotte Casasoprana, Me Pascal Garbarini assure que sa cliente « ignore tout de cette affaire et toutes interprétations qui la viseraient. Elle a toujours agi dans le cadre de ses fonctions »
(2) Me Romain Vanni, avocat de M. Ribes, a précisé à Libération que son client « n’a jamais proposé quoi que ce soit en contrepartie du moindre service » et conteste « l’interprétation des messages issus de [son] téléphone ».
Crédits photo/illustration en haut de page :
Morgane Sabouret
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