Quelques notes en défense de Merlin
Un tract, comme une affiche placardée relèvent de la liberté de la presse, dont les dispositions fondamentales vont même au-delà de celles qui régentent la liberté d’expression.
Avant d’entamer les développements en défense de ces deux principes fondamentaux de notre république, signalons que l’emprisonnement de M. Merlin Longuet repose sur une méprise.
Madame la substitut du procureur n’a jeté qu’un bref regard sur le tract objet du litige, n’y voyant qu’une caricature qu’elle a manifestement mal interprétée pour réclamer dans un mouvement d’humeur instantané et brutal, l’enfermement séance tenante de M. Longuet sans motifs, quand la prison doit être l’exception dans un état démocratique.
Les curieux affects ici mobilisés ont conduit malheureusement à cet abus de pouvoir.
Le tract
Ce tract était illustré d’une caricature de M. David Gehant qui disait dans une bulle façon bandes dessinées : « Ce proc ? il n’a pas de couilles ! Le répétez pas à maman elle ne sait pas que je suis passé au RN. »
La mère de David Gehant était au PS, il s’agit donc clairement d’une dénonciation du caractère factieux de la tribune visant le procureur de Digne que son fils a initiée. En effet l’appel à plus de fermeté des juges pour rétablir, soi-disant l’ordre relève d’une rhétorique classique de l’extrême droite.
David Gehant est le maire de Forcalquier où se tient depuis 4 ans, le mouvement contestataire « le café des libertés » qu’il combat avec acharnement. C’est dans les mêmes termes qu’il dénonçait part tract ce mouvement, des semaines auparavant la publication de cette tribune retentissante. David Gehant a mis à profit la participation des activistes du café des libertés à la mobilisation contre l’installation d’un parc photovoltaïque à Cruis, dans des conditions controversées qui ont mobilisé la population et intéressé la presse nationale. Certains maires, désireux de bénéficier d’une installation identique ont cru bon de suivre le maire Forcalquier dans sa guerre personnel, contre Merlin longuet et ses amis.
Cette démarche bafoue les principes constitutionnels concernant la séparation des pouvoirs, en l’occurrence, entre le politique et le juridique consacrée dans notre république. Ces controverses ont été reprises par la presse et ont ému le ministre de la justice qui a décidé de ce déplacement du samedi 20 juillet pour « calmer les esprits ».
Un delà du caractère explicite du dessin, le texte du tract dénonce le « coup politique » de David Gehant « David, à la tête d’un quarteron de maires veut se faire la peau de « Rem’s », le Proc. Pour lancer en toute impunité la chasse aux migrants… »
Ce tract est clairement une dénonciation du glissement opportuniste de certains élus vers la droite extrême et une défense toute aussi claire du procureur de Digne mis en cause.
Ce tract au caractère humoristique a été abondamment repris, diffusé et publié sur de nombreux blogs, où son auteur personnage très bien connu à Forcalquier s’identifie (nom, téléphone et adresse mail) pour prolonger éventuellement la discussion.
Ce tract convient sans aucun doute possible aux principes parfaitement documentés de la liberté de la presse et de la liberté d’expression ; si bien qu’on ne peut pas reprocher à M. Longuet d’en détenir un exemplaire, de l’apporter, certes malicieusement au tribunal dans le but qu’il soit transmis au procureur, clairement mis en cause, en signe de bienveillance.
Est-ce que tout cela justifiait une incarcération ?
Quelque notes sur la liberté d’expression et le droit l’humour et à la caricature
Contexte historique
Par Christophe Gracieux
La liberté d’expression constitue l’une des pierres angulaires de la démocratie. En France, elle est proclamée dès la Révolution. L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 énonce ainsi : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. » La loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 proclame ensuite que « l’imprimerie et la librairie sont libres » (article 1er). La liberté d’expression devient un principe constitutionnel en France en 1946.
Elle est également consacrée par la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 (« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression », article 19) et par la Convention européenne des droits de l’Homme du 4 novembre 1950 (« Toute personne a droit à la liberté d’expression », article 10).
Toutefois, il existe des limites à la liberté d’expression. Elle est encadrée par la loi française. Cet encadrement se fonde notamment sur l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui stipule que « la liberté consiste à pouvoir tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Les limites à la liberté d’expression sont précisées par la loi du 29 juillet 1881. La diffamation ou l’injure sont ainsi passibles d’une condamnation. La provocation à la discrimination, la haine ou la violence envers des personnes « à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » (article 24 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée) l’est également. La provocation à la haine ou à la violence « à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap » est pareillement proscrite. Les personnes qui tiennent de tels propos sont passibles d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. De même, l’apologie des crimes contre l’humanité est réprimée depuis la loi Gayssot du 13 juillet 1990. Celle-ci qualifie en effet de délit la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité, tels qu’ils ont été définis dans le statut de Nuremberg de 1945. Enfin, l’apologie du terrorisme est elle aussi durement punie : depuis la loi du 13 novembre 2014, une personne qui se livre à cette apologie du terrorisme risque jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende.
Par ailleurs, le droit à l’humour et à la satire est permis par la loi dans certaines limites. Le tribunal de grande instance de Paris a estimé, dans son jugement du 9 janvier 1992, que la liberté d’expression « autorise un auteur à forcer les traits et à altérer la personnalité de celui qu’elle représente » et qu’il existe un « droit à l’irrespect et à l’insolence. » L’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo a par exemple été relaxé en mars 2007 dans l’affaire des caricatures de Mahomet qu’il avait publiées en février 2006 (voir ce document et ce document). Le tribunal correctionnel de Paris a alors jugé que « le genre littéraire de la caricature, bien que délibérément provocant, participe (…) à la liberté d’expression » et que malgré le « caractère choquant, voire blessant pour la sensibilité des musulmans » des dessins parus dans Charlie Hebdo, ils « apparaissent exclusifs de toute volonté délibérée d’offenser directement et gratuitement l’ensemble des musulmans. »
De même, poursuivi après un sketch télévisé dans lequel il incarnait un rabbin juif orthodoxe, Dieudonné avait été relaxé par la justice en 2005 au nom du droit à l’humour. En revanche, le polémiste a été condamné à plusieurs reprises pour « provocation à la haine raciale », « contestation de crimes contre l’humanité » ou « apologie du terrorisme ». Son spectacle Le Mur a même fait l’objet d’une interdiction en 2014 (voir L’interdiction du spectacle de Dieudonné Le Mur).
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