Le hors-champ désastreux de la visite présidentielle au Salon de l’Agriculture

Politique

Par Jean-François Arnaud le 25.02.2024 à 13h46, mis à jour le 25.02.2024 à 14h05 Lecture 5 min.

EDITORIAL – Emmanuel Macron a-t-il « sauvé » sa visite au Salon de l’Agriculture ? Si l’on n’avait eu que les images bien calibrées d’une séquence assez adroite de « rétropédalage » acrobatique, la réponse serait largement positive. Mais l’ouverture de la machine à promesses n’a pas éclipsé celle simultanée, de la machine à baffes.

Emmanuel Macron goûte du fromage lors du 60e Salon de l’Agriculture à Paris.

AFP / CHRISTOPHE PETIT TESSON

Chapeau l’artiste ! Est-on tenté de dire au lendemain de la visite d’Emmanuel Macron au Salon de l’Agriculture. Alors que tout le monde et surtout le bon sens lui avaient conseillé d’annuler sa venue Porte de Versailles ce samedi 24 février, où l’attendait de pied ferme une foule d’agriculteurs en colère, le président de la République a choisi de faire face et de « venir au contact », quoi qu’il en coûte.

La visite a bien eu lieu. Près de 13 heures ! Les détracteurs qui annonçaient que le locataire de l’Elysée serait obligé d’y renoncer ont été démentis. Mieux encore, les images très flatteuses d’un président en bras de chemise, à l’écoute, parlant vrai, capable de toucher, d’embrasser, de tutoyer, de débattre, de s’énerver comme ceux qui s’énervent face à lui ont bien été faites, transmises en direct par les chaînes d’information en continu, y compris l’antenne souvent discordante de CNews. Impossible de nier le sens politique, l’audace et en partie, le courage physique d’Emmanuel Macron.

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Eléments bruyants et discordants

Mais ce serait compter sans le hors-champ. C’est-à-dire sans « l’ensemble des éléments qui n’apparaissent pas dans le cadre » comme on dit dans le monde de l’image. Il ne s’agit pas des champs et des verts pâturages dans lesquels les placides bovins d’exposition, dérangés et bousculés ce samedi à Paris, auraient préféré se trouver. Il s’agit d’un ensemble d’éléments tellement bruyants et discordants qu’ils annulent la force des images et du discours officiels.

Comme il s’en était déjà fait une spécialité lors de la séquence du Grand débat qui avait suivi la révolte des Gilets Jaunes, le chef de l’Etat s’est mis en scène ce samedi, au milieu des agriculteurs en colère, organisant les prises de parole, modérant les plus énervés, interrompant les plus bavards… Devenant au fil de la discussion, l’arbitre d’une confrontation dans laquelle il était le principal accusé lorsqu’elle a commencé. Joli tour de passe-passe.

Huit blessés

Gros intérêt de cette confrontation qui paraissait improvisée, elle a permis de détourner les caméras des bousculades beaucoup moins télégéniques qui avaient lieu à quelques mètres de distance et dans lesquelles huit personnes ont été blessées dont deux gravement. La machine à promesses pour détourner les regards de la machine à baffes qui s’était ouverte un peu plus tôt. « On est chez nous ! » criaient des éleveurs en colère de se voir interdire l’accès au hall de l’élevage dont 200 à 300 CRS avaient pris possession depuis la veille au soir. Le Salon de l’agriculture n’est certes pas un sanctuaire mais c’est vrai qu’il appartient aux agriculteurs qui sont les propriétaires de cet événement via leurs organisations professionnelles.

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 peut comprendre leur indignation de s’en voir interdire l’accès. On notera sans insister que, sur place, tous les manifestants mécontents que l’on a pu interroger même les plus énervés, se défendaient d’être manipulés par l’extrême droite, malgré ce qu’expliquent à la fois le chef de l’Etat et le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau. S’il existe bien des liens entre le Rassemblement National et la Coordination rurale, tout comme il existe des liens entre la FNSEA et la droite, l’invocation d’un complot d’extrême droite, paraît largement exagérée à l’observateur objectif sur le terrain.

Dispositif contraignant pour les milliers de visiteurs

En raison de cette séquence présidentielle maintenue malgré une hostilité ambiante, le Salon a ouvert ses portes avec deux heures de retard et il a fallu en vider tous les espaces que le président a souhaité visiter jusqu’à l’heure de fermeture dans la soirée. Un dispositif très contraignant pour des milliers de visiteurs payants et qui n’a pas réussi pour autant à éviter au chef de l’Etat les huées et les noms d’oiseaux tout au long de la journée et jusqu’à son départ.

Mais bien entendu la colère qui s’est exprimée ce samedi est plus profonde. Après deux mois de fronde, et de nombreuses promesses de la part du gouvernement, les agriculteurs espéraient déjà que leur sort serait amélioré au moment de ce grand rendez-vous. Or, non seulement ils considèrent qu’ils n’ont pas eu de réponses suffisantes mais ils ont même vécu comme une provocation la vraie fausse invitation de l’association écolo radicale Les Soulèvements de la Terre au grand débat voulu par l’Elysée et qui aurait réuni les agriculteurs, des élus locaux, des industriels de l’agroalimentaire et des enseignes de la grande distribution. Il sera difficile de savoir si cette invitation a bien été lancée par un conseiller de la présidence. L’Elysée a d’abord reconnu une erreur mais face à la presse Emmanuel Macron s’est énervé qu’on ose le soupçonner d’avoir convié une organisation dont il avait souhaité la dissolution. Mais le mal était fait.

Instauration de prix plancher

Bien conscient qu’il fallait encore en remettre une couche dans les nombreuses promesses déjà faites par le gouvernement afin d’apaiser les tensions, Emmanuel Macron, après avoir rappelé tout ce qui avait déjà annoncé par Gabriel Attal a annoncé l’instauration de « prix planchers » dans les filières qui le souhaitent. Une mesure demandée par la Coordination rurale mais que le gouvernement refusait jusqu’à présent, Marc Fesneau avait même qualifié l’idée de « démagogique ».

« On va se revoir. On commence dès lundi matin ! On aura des résultats dans trois semaines. On commence des le 1er juillet ! » Comme s’il jouait la montre, Emmanuel Macron, qui s’est flatté un jour d’être un maître des horloges a tenté de repousser les échéances et de faire oublier que son gouvernement avait promis des améliorations palpables avant le Salon, pour calmer les manifestants de début février. Mais au jour dit, ce samedi matin, il n’y avait pas de témoignages d’agriculteurs qui auraient déjà vu leur sort amélioré.

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