Des militants d’Extinction Rebellion et de Youth for Climate ont envahi une usine d’Arkema au sud de Lyon, samedi 2 mars. Une journée « portes entrouvertes » pour dénoncer la pollution aux polluants éternels du groupe chimique.
Pierre-Bénite (métropole de Lyon), reportage
Une marée blanche déferle depuis la gare de Pierre-Bénite. Vêtus de combinaisons blanches, 300 à 400 militants d’Extinction Rebellion et de Youth for Climate s’élancent vers le site industriel d’Arkema, au sud de Lyon. De l’autre côté des rails, l’usine dresse sa carcasse de tôles et de tuyaux. Des pinces coupantes fendent en quelques secondes les grilles d’enceinte. La vague blanche pénètre la zone industrielle. Des tags marquent son passage : « Arkema nous empoisonne », « Assassin », « Arkementeur ».
Installée aux portes de la vallée de la chimie, l’usine d’Arkema fabrique notamment un polymère utilisé dans la fabrication de microprocesseurs ou de batteries au lithium. Elle rejette des quantités considérables de composés perfluorés (PFAS), des composés chimiques surnommés « polluants éternels », dans le Rhône. Le fleuve les transporte en direction de deux champs captants qui alimentent une centaine de communes en eau courante. Jusqu’à 3,5 tonnes de PFAS étaient déversés chaque année selon un rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable publié en avril 2023. Plus de 220 000 personnes pourraient être touchées. Or, une exposition prolongée aux PFAS peut provoquer de nombreux problèmes de santé : lésions hépatiques, maladies thyroïdiennes, problème de fertilité, diabète, cancer du sein, des testicules, des reins…
Cette contamination n’a rien d’un secret sur ce site exploité depuis 1957. Le taux de perfluorés est surveillé dans le sang des salariés depuis les années 2000. Leurs résultats d’analyses révélés par France 3 démontrent des doses supérieures à la moyenne. La première alerte officielle sur leur dangerosité a été adressée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) à Arkema en 2011. Mais il a fallu attendre 2022 pour que l’émission « Vert de rage » de France 5 dévoile la présence massive de PFAS dans le sol et l’eau de la commune.
« Arkema a des pratiques obscures qui affectent la santé des habitants et la biodiversité environnante »
Choquées par ces révélations tardives, quarante-sept riverains, dix associations et un syndicat ont déposé en mai dernier un recours en référé pénal environnemental contre le groupe chimique. Parmi eux, des mères dont le lait maternel a été contaminé et le père d’un enfant qui a dû subir une ablation totale d’un testicule après un diagnostic de tumeur. Ils et elles réclamaient une étude des risques sanitaires liés aux PFAS utilisés et des sanctions contre l’industriel. Sans succès : le référé a été rejeté. À l’automne, trente-quatre communes voisines ont déposé une autre plainte collective contre X pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Car Arkema n’a pas systématiquement communiqué les résultats des analyses des prélèvements réalisés en aval de ses rejets sur les sédiments, la flore et la faune alors qu’il en avait l’obligation depuis 2015.
« Arkema a des pratiques obscures qui affectent la santé des habitants et la biodiversité environnante. On veut savoir ce qui se passe à l’intérieur, alors on va aller chercher ce qu’ils font », explique Camille* (prénom modifié), l’un des organisateurs de la journée « portes entrouvertes » à Pierre-Bénite. Mais une effraction n’offre pas le temps d’une investigation. Cette infiltration sonne davantage comme une mise en garde à l’égard d’Arkema, qui « a des comptes à rendre pour avoir caché les conséquences de son activité sur le vivant ».
La colère face au silence de l’industriel s’est exprimée à coups de marteau sur les vitres et de pieds-de-biche pour dégonder des portes. Des activistes ont déployé des banderoles sur ses bâtiments pour dénoncer ses infractions au droit de l’environnement. La vague militante n’a investi l’usine qu’une poignée de minutes avant de refluer mais ses dégradations marquent les lieux.
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Un salarié d’Arkema observe avec circonspection les dégâts causés. « Ils jouent avec le gagne-pain des gens, de toute façon des polluants éternels, il y en a partout », dit-il à Reporterre. Un de ses collègues s’amuse en voyant arriver une compagnie de CRS : « C’est la meilleure partie. » Les activistes sont nassés au bord de la voie de chemin de fer sans barrière. Lacrymogènes et charges se succèdent pour les éloigner de l’usine. La plupart parviendront à rejoindre la gare pour retourner à Lyon. Huit personnes ont été interpellées, a annoncé la préfète du Rhône. Dans un communiqué, Pierre Clousier, le directeur du site de Pierre-Bénite, promet de porter plainte contre les militants écologistes et condamne une action qui fait « courir des dangers aux salariés et aux manifestants, en raison de l’activité industrielle du site, qui est classé Seveso ».
La vague de militants estompée, des cris joyeux se font entendre. Séparés des lacrymogènes par la voie ferrée et un mur d’enceinte, des enfants ont joué toute l’après-midi au football sur le stade municipal qui fait face à l’usine. Chacun de leurs coups de crampons s’abattant sur une terre polluée.
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