Entendu par la commission d’enquête sur l’attribution des fréquences TNT, le présentateur star de C8 s’est payé la tête des parlementaires, pendant l’audition mais aussi dans son émission qui a suivi. L’animateur le plus sanctionné du paysage audiovisuel estime ne pas avoir de comptes à rendre.
En souvenir du bon vieux temps, Cyril Hanouna a revêtu, devant les députés, les habits du bouffon inoffensif qu’il était à ses débuts. Sur C8, cet Hanouna-là chantait à longueur d’émission Les Sardines, le tube de Patrick Sébastien, enchaînait les gags absurdes, saisissait la moindre occasion pour se mettre nu, s’improvisait philanthrope et offrait des cadeaux à son public. Bref, il se contentait de divertir. Mais inoffensif, l’animateur-star de la sphère Bolloré ne l’est plus du tout.
En quelques années, celui qui a longtemps erré sur le service public avant de connaître un succès tardif s’est mué en vecteur habile de la banalisation de l’extrême droite. Invitant presque toutes les semaines le candidat Éric Zemmour à partir de septembre 2021, saturant son émission de chroniqueurs réactionnaires, de Jean Messiha, polémiste d’extrême droite, à Juliette Briens, jeune visage de la droite radicale décomplexée, ou en conviant Jordan Bardella, affectueusement surnommé « Air Jordan », au moins une fois par mois, Cyril Hanouna est devenu l’atout populiste des médias contrôlés par Vincent Bolloré.
Mais la petite entreprise idéologique d’Hanouna n’est pas sans risque pour lui-même et sa chaîne. À force de contrevenir aux règles de pluralisme, d’honnêteté et d’indépendance de l’information établies par l’Arcom, le gendarme de l’audiviosuel, « Touche pas à mon poste » (TPMP) s’est vu infliger cinq millions d’euros d’amende, rien qu’entre février 2022 et janvier 2024. L’émission d’Hanouna a été rappelée à l’ordre trente et une fois depuis 2012, selon un décompte du Monde.
Un record. Au point que le renouvellement de la fréquence TNT qu’occupe C8, et qui doit intervenir début 2025, n’est plus certain. C’est donc en sa qualité de figure du groupe Canal+, mais aussi en tant qu’animateur le plus sanctionné du paysage audiovisuel français (PAF) que Cyril Hanouna s’est présenté devant les député·es jeudi 14 mars, dans le cadre de la commission d’enquête sur le renouvellement des fréquences TNT – la veille, c’est Vincent Bolloré qui s’était prêté à l’exercice.
Pendant deux heures et demie, le trublion a repoussé, du moins en apparence, les assauts des député·es de gauche et de certains représentants du parti présidentiel. Dans les faits, Cyril Hanouna s’est surtout attelé à démolir l’édifice que les dirigeants de Canal+ avaient tenté de construire dans leurs auditions respectives, pour convaincre qu’ils avaient à cœur de respecter les règles. Usant d’un ton parfois blagueur, souvent provocateur, Hanouna a montré qu’il n’avait cure des sanctions de l’Arcom, tant qu’elles ne touchent pas à son portefeuille.
Hanouna assure « donner la parole à tout le monde »
« Quand on a des sanctions, c’est un drame pour nous », a-t-il assuré, avant de se trahir dans un échange avec son associé et producteur Lionel Stan. Pour la diffusion d’une fausse information sur la « drogue du zombie » (la séquence, datée du 12 septembre, montrait en fait des personnes handicapées), Hanouna demande à celui qui tient les comptes (le seul, apparemment) : « Je crois que ça nous a valu une mise en demeure ? » Avant que son associé le corrige : « On attend la sanction. »
Pourtant, le pitre de C8 avait commencé son audition timidement, presque nerveusement, peut-être pas complètement confiant en sa faculté à baratiner les député·es. L’audition n’avait pas commencé depuis dix minutes qu’il s’était déjà resservi trois fois à boire. « On est très heureux d’être ici, c’est un bon moment pour nous. […] Je ne viens pas à un procès, je viens discuter avec vous », commençait celui qui est arrivé dans le show-biz sans « connaître personne » et qui se décrit comme un « garçon très ouvert, très sympa ».
Anticipant les critiques sur l’orientation politique de son émission, plutôt très à droite, et l’absence de pluralisme, Hanouna désamorce : « On a dit plein de choses sur moi. J’avais fait gagner une fille voilée, on m’a reproché de n’inviter que des islamistes. Le lendemain, je reçois Marion Maréchal, on me dit : “Il roule pour elle.” Un autre jour, je vais voir Emmanuel Macron, on dit : “Il est à sa botte.” […] Je ne suis pas là pour dire pour qui voter, je suis là pour donner la parole à tout le monde. »
Si les temps de parole accordés aux partis politiques dans l’émission sont relativement équilibrés, c’est qu’ils ne tiennent pas compte du contexte dans lequel se déroulent les échanges ni des propos très négatifs tenus contre une partie de l’échiquier politique, surtout la gauche.
D’autant que les questions posées aux candidats d’extrême droite et de droite sont posées sur un ton fort complaisant, quand elles ne sont pas dépolitisées, dans un concert de connivence. Ainsi, en empruntant un mode de calcul plus critique, la chercheuse au CNRS Claire Sécail a montré que « 53 % du temps d’antenne politique de TPMP est consacré à l’extrême droite ».
Concernant le déluge de sanctions infligées à C8, Cyril Hanouna a d’abord relativisé, comme les dirigeants de Canal+ deux semaines plus tôt et Vincent Bolloré la veille : « Pour une émission en direct tous les jours et qui a fait cinq mille heures d’antenne, je trouve qu’on s’en sort bien. » Puis il a rejeté la faute sur un prétendu « acharnement ».
« Je ne suis pas d’accord avec toutes les décisions », a-t-il affirmé, au point d’en juger certaines « disproportionnées ». Avant de virer parano. « On n’est pas dupes, on doit faire trois fois plus attention » que les autres chaînes, a-t-il lancé. « Il y a vraiment une forme de lobby, les gens veulent me faire sortir du PAF. »
À mesure que l’audition filait, Hanouna, gagné par la confiance, s’est montré de plus en plus inconvenant. « Je vais confisquer les téléphones », lançait-il aux député·es. « Vérifiez vos sources », sermonnait-il le rapporteur de la commission, Aurélien Saintoul (La France insoumise).
Rejouant la logique du « happening » où, dans son émission, tout est prétexte à créer une séquence « culte », il osait même cette ultime insolence lorsque le président de la commission le rappelait à son obligation de fournir des réponses courtes : « Je prends mon goûter à 16 h 30. »
La punchline était trop belle pour qu’il n’en fasse pas un running gag. De retour sur son émission, « la plus regardée sur la TNT », juste après l’audition, il a été accueilli par ses chroniqueurs et par le public habillés de tee-shirts reprenant la vanne. À se demander si la séquence n’avait pas été préméditée.
La veille, Hanouna avait promis à ses « fanzouzes » (le nom donné aux inconditionnels de TPMP) de consacrer l’émission du soir au débriefing de son audition. Les chroniqueurs et chroniqueuses sont donc passés un à un pour dire dans un balai de courbettes tout le bien qu’ils pensent de leur patron. Ségolène Royal a aussi donné de sa personne pour féliciter le chef.
L’ancienne candidate à l’élection présidentielle, chroniqueuse dont le temps d’antenne sur TPMP est compté dans le temps de parole du Parti socialiste, a résumé, sous les applaudissements du public : « Je pense que Cyril a gagné le match. » Une réussite qu’il lui doit en partie, puisque l’ancienne ministre a conseillé et préparé l’animateur pour l’audition.
L’inconvenance, de l’Assemblée à TPMP
Un sondage express a même été organisé sur X. « Selon vous, qui a gagné le match à la commission ? » 74 % des fanzouzes ont répondu que c’était Cyril Hanouna. Sur le plateau, les député·es qui ont eu le malheur de poser des questions peu complaisantes sont raillé·es, parfois même humilié·es.
Cyril Hanouna a fait comprendre qu’il ne connaissait pas le nom complet de Sophie Taillé-Polian, la députée Génération·s du Val-de-Marne qui l’a titillé sur sa proximité avec l’extrême droite. Le rapporteur insoumis Aurélien Saintoul, « le gars qui joue toujours sur son téléphone », comme l’a désigné un chroniqueur, en a aussi pris pour son grade : « Viens pas, reste chez toi si tu veux faire des tweets. »
Appuyant la métaphore du duel entre lui et les député·es, Hanouna termine : « Ils rejouent le match après, ils ont perdu le match et essayent de marquer alors que le public est parti et que la cage est vide. »
Si Hanouna est tellement convaincu d’avoir remporté la victoire face aux député·es, c’est probablement lié au fait qu’il est parvenu à ramener les débats sur son altercation avec le député Louis Boyard en novembre 2022, dont il a su intelligemment réécrire l’histoire.
« Louis Boyard, c’est un cas un peu particulier. C’est avant tout un ancien chroniqueur. Quand il est venu dans l’émission, j’ai vu un pote qui m’a trahi », s’est-il défendu pendant son audition, ajoutant qu’il n’avait pas entendu ce que Boyard lui avait dit. « Je n’ai vu qu’un pote qui voulait faire un coup d’éclat. »
Pourtant, la star de C8 ne s’était pas ce jour-là contentée d’insulter le député – « Je m’en bats les couilles que tu sois élu » – pour avoir évoqué les plantations africaines de Bolloré. Il avait aussi eu cette phrase terrifiante de vérité sur la loyauté qu’impose le milliardaire breton à ses équipes : « Moi, je crache pas dans la main qui me nourrit. » Un principe qu’il a répété au cours de son audition.
Il a encore tenté de se justifier à l’Assemblée : « Je n’ai eu des problèmes qu’avec Boyard. J’ai reçu des politiques avant et après, ça s’est toujours très bien passé. » Peut-être l’obligé de Vincent Bolloré a-t-il oublié l’amende dont il a écopé pour avoir insulté en octobre 2022 la maire de Paris, Anne Hidalgo, pour son choix de ne pas diffuser la Coupe du monde sur des écrans géants.
Si la mémoire d’Hanouna peut flancher, sa connivence avec les représentants de l’extrême droite, elle, est constante. À la fin de l’audition, une fois les caméras éteintes, au moment où tout le monde quittait la salle, trois élus du Rassemblement national sont restés et ont défilé devant Hanouna pour une poignée de main fort bienveillante. Cyril Hanouna a beau jeu de récuser toute filiation idéologique avec l’extrême droite, ses représentants savent reconnaître un de leurs faire-valoir quand ils en voient un.
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