Tandis qu’on assiste à une reprise progressive des grèves depuis le mois de janvier 2024 après la défaite des retraites et l’écrasement des jeunes de quartier à la fin du printemps 2023, cette deuxième quinzaine du mois de mai 2024 va connaître une nouvelle progression du nombre de journées d’action et de grèves qui va être non seulement quantitativement importante mais peut-être aussi qualitativement déterminante pour la période qui vient.
Il est en effet annoncé d’une part un nombre de journées de grèves syndicales inédit pour cette deuxième quinzaine de mai mais aussi d’autre part un nombre croissant de ces journées qui ont le dénominateur commun tout à la fois social et politique d’être liées aux JO. Nombre de ces luttes annoncées sont des luttes défensives contre les attaques que les Jeux vont occasionner sur les conditions de travail, les horaires de travail, les effectifs, les salaires et le droit du travail mais ce sont aussi des luttes offensives à caractère politique visant à utiliser le moment de faiblesse relative du gouvernement lorsqu’il sera sous les feux des projecteurs mondiaux afin de faire ainsi progresser le rapport de force global en faveur des travailleurs, mais aussi des libertés démocratiques.
Qu’on en juge.
La liste des journées de grèves annoncées est impressionnante témoignant d’un changement de l’état d’esprit des travailleurs et du passage possible de celui-ci à une dimension politique cherchant non seulement à se défendre mais à mettre en cause, ensemble, le prestige et l’autorité du pouvoir.
Après le recul notable des autorités face aux aiguilleurs du ciel et des cheminots – ce qui a valu son poste au « patron » de la SNCF -, les éboueurs marseillais ont tenté leur chance pour le passage de la flamme le 8 mai. Ils ont finalement cédé aux multiples pressions contre la grève la veille du passage de la flamme, mais leur mouvement a toutefois résonné nationalement par la panique qu’il a créé comme un avant-goût de ce qui vient, d’autant qu’elle a été suivie pour le même passage de la flamme à Toulon, par la grève suivie à 94% des chauffeurs de bus de la ville. Deux mouvements qui en en annoncent d’ores et déjà bien d’autres déjà programmé dans d’autres villes ou passera la ville et qui pourraient bien faire boule de neige en fonction de ce qui va se passer en cette deuxième quinzaine de mai.
Une grève est donc appelée à l’APHP, les hôpitaux de Paris, le 14 mai, pour une prime de 2 000 euros faute de quoi il n’y aura pas de JO. Le même jour, les éboueurs, égoutiers et chauffeurs de la ville de Paris sont appelés à la grève pour une augmentation mensuelle de 400 euros, grève prolongée les 15, 16, 22, 23 et 24 mai comme un acte II du mouvement des retraites et un avertissement pour la période proprement dite des Jeux. Toujours le 14 mai, les enseignants qui sont en mouvement depuis le 1er février seront à nouveau en grève après déjà une journée des parents d’élèves les 13 mai et une commune aux deux le 25 mai. Ce n’est pas un mouvement explicitement lié aux JO mais c’est un mouvement massif qui dure pour plus de moyens pour l’école publique qui touche enseignants, élèves et parents qui peut ainsi faire le lien entre la critique des 10 milliards dépensé pour les JO et les besoins des services publics.
Le 13 mai, la grève illimitée du géant de la logistique XPO Logistics, commencée le 6 mai mais interrompue par les congés, reprendra dans le cadre d’une mobilisation plus générale de ce secteur professionnel en pression sur les JO après déjà une grève d’avertissement au mois de mars. Le 15 mai, les salariés de la centrale de Gardanne se mettront en grève soutenus par les dockers et portuaires de Marseille afin de sauver leur emploi, prêts disent-ils à durer et perturber les JO si nécessaire. Le 16 mai, les pompiers organisent une grève avec une manifestation nationale à Paris pour y porter la flamme de la colère. Le 21 mai ce seront les agents de la RATP bus et les cheminots du transilien et qui seront en grève en forme d’avertissement pour les Jeux, sous la pression, pour ces derniers d’un collectif de 800 cheminots qui ont annoncé qu’ils seront en grève pendant les Jeux. Le 23 mai aura lieu une grève nationale des psychologues sociaux et médico-sociaux sans rapport direct avec les JO mais elle s’inscrit dans une série de grèves dans la santé à ce moment, les 27 et 28 mai des employés hospitalo-universitaires et le 30 mai des salariés des cliniques privées, qui tous savent comme les urgentistes qui ont déposé un préavis de grève pour les JO combien les Jeux vont peser sur leurs conditions de travail, leurs horaires et leurs congés. Les 23 et 24 mai, ce sera Radio France qui sera en grève, sans rapport direct non plus avec les JO mais après celle du 12 mai à France Inter pour la liberté d’expression, se place dans un ensemble de mouvements qui peuvent tous se colorer toujours plus de cette ambiance. Ainsi, le 24 mai, ce sont les employés de Carrefour qui sont appelés à la grève contre le « champion olympique des profits » qu’est leur patron tandis que les employés des Monoprix qui font grève tous les samedis se déclarent prêts à tenir jusqu’aux JO, et que plus généralement tous les employés du commerce sont appelés à la grève et à construire un village olympique revendicatif les 27 et 28 mai devant le ministère du travail, et enfin le 28 mai toujours, aura lieu une nouvelle grève des cheminots avec une manifestation nationale à Paris ce jour-là. Contribuant à cette ambiance générale, s’ajoutent chaque semaine les préavis de grève pour la période des JO, qui s’additionnent à tous ceux déjà déposés, ceux des policiers municipaux ou des employés de JC. Decaux qui invitent à imaginer ce que pourrait être Paris avec des toilettes publiques non nettoyées ou encore le préavis de grève d’un collectif des petites mains du festival de Cannes commençant le 14 mai, sans qui il n’y aura pas de festival. Et pas de festival ou un festival perturbé à deux mois des Jeux, cela donnera à penser, à tous, concourant à créer un climat général contestataire autour des JO.
Cette ambiance générale se complète par le « Zbeul 2024 » carrément anti-Jeux notamment contre le renforcement du régime policier, la télésurveillance généralisée, la militarisation de l’espace public, l’expulsion d’étudiants et sans papiers, l’explosion des prix du logement et des transports, l’impact écologique catastrophique…, avec déjà des actions les 8, 12, 19 mai en Île De France ou encore une manifestation à Marseille le 8 mai. Ces actions reflètent un sentiment diffus mais largement partagé contribuant à politiser le mouvement social même si les animateurs de ce courant ne cherchent pas consciemment le lien avec le mouvement ouvrier.
Et puis, plus généralement, les manifestations et occupations des étudiants et lycéens en soutien à la Palestine, elles aussi, participent à un air du temps qui redevient plus contestataire, tous ces mouvements s’encourageant les uns les autres à reprendre confiance dans les capacités des femmes et des hommes à ne plus subir et à prendre leur sort en main.
Bien sûr, aucune des grandes directions syndicales ou politiques de gauche ou d’extrême-gauche, n’essaient de mettre en valeur et rassembler ce qu’il y a de montant et de potentiellement subversif, politique et unificateur dans ce mouvement autour des JO. Tout cela peut donc se disperser en une multitude de mouvements corporatistes ou purement symboliques sans poids sur la situation générale. Mais avant qu’il ne s’émiette éventuellement, ce mouvement est encore appelé à grandir. Cette deuxième quinzaine de mai va en témoigner ouvrant peut-être alors à des mois de juin et juillet encore plus chauds contribuant à redonner le moral à tous.
Plus il y aura de militants et de gens pour se faire les relais des potentialités de ce courant, plus il y a aura de chance que ce qui n’est que potentiel devienne une réalité et que le balancier politique et social parti très à droite après la défaite des retraites et des jeunes de quartier reparte dans l’autre sens, instruit des leçons de tous ces derniers mois, plus fort et plus conscient.
Jacques Chastaing 12 mai 2024
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