Macron voulait faire de ces Jeux Olympiques l’apogée de sa grandeur et en tirer avantage pour pilonner un peu plus les libertés démocratiques et soumettre plus radicalement le monde du travail, pendant les Jeux mais surtout après, dans la durée, par une série de mesures liquidant en profondeur les acquis sociaux dont les attaques actuelles contre les chômeurs ne sont qu’une pâle préfiguration.
Avec la crise, les Jeux Olympiques ont changé de nature depuis déjà quelques temps. C’est pourquoi ils ont de plus en plus souvent lieu dans les pays dictatoriaux parce que les dépenses royales qu’ils occasionnent ne peuvent guère s’accommoder des libertés démocratiques, quand il y a en même temps démolition des acquis sociaux. Les dépenses envisagées par exemple pour les Jeux de Paris, 10 milliards et certainement beaucoup plus à l’arrivée, correspondent au montant du prétendu trou dans les caisses de retraite pour justifier l’obligation de travailler deux ans de plus. Qui accepterait de travailler deux ans de plus, s’il a le droit à la parole, pour voir des Jeux ?
Macron était cependant bien parti pour atteindre ses objectifs : non par ses qualités qui sont nulles, mais du fait de la trahison du mouvement des retraites après le 1er mai 2023 par les directions syndicales suivie de l’éreintement infame de l’énorme révolte des jeunes de quartier de juin/juillet par le PS, PCF, EELV et la CFDT.
Alors que le gouvernement n’avait jamais autant été en difficulté, ces trahisons ont ouvert une période de réaction rarement vue permettant l’intronisation du RN dans le sérail accrédité des partis amenés à gouverner le pays, permettant ainsi de faire de ses idées racistes, xénophobes et réactionnaires le drapeau officiel commun des partis de « l’ordre » que ses médias rachetés à tour de bras par les milliardaires, égrènent désormais de manière décomplexée sur les ondes à longueur de journée. Pour tenir le monde du travail pendant guet-apens des JO, on avait alors donné à Bernard Thibault un « machin » chargé d’établir une charte sociale mais non contraignante, c’est-à-dire juste décorative pour les salariés mais amenant Sophie Binet en décembre 2023 à déclarer qu’elle n’appellerait pas à la mobilisation pour les Jeux pour ne « pas gâcher la fête » (et ne pas gêner son ami Thibault). Le traquenard de la « fête du sport » et de la paix sociale pouvait se refermer en toute tranquillité.
Et puis tout s’est gâté pour Macron.
Ça a commencé en janvier 2024 avec le mouvement des paysans qui a duré trois mois – et n’est peut-être pas fini- qui a commencé à desserrer l’étau réactionnaire et le piège des JO. Les enseignants début février se sont engouffrés dans la brèche et, quatre mois après, continuaient à manifester ce 25 mai contre le tri social à l’école et plus de moyens pour l’école publique. D’autres mouvements commençaient à apparaître dans ce dégel social.
Puis, et là les choses ont commencé à réellement tourner, le peuple n’est décidemment pas sage : les cheminots ont démarré un mouvement fin janvier. Il était d’abord émietté sur des bases catégorielles et locales mais avec la caractéristique commune d’être initié le plus souvent par la base avec des collectifs salariés prenant en main les mouvements et débordant les directions syndicales. Ça a été les technicentres, les contrôleurs, les aiguilleurs, pour ensuite s’unifier, surtout en région parisienne, en exigeant ensemble des compensations pour les JO contre le surcroit de travail qui allait leur être demandé, 4 000 trains supplémentaires rien qu’en août. Ce mouvement global autour des JO avait d’abord été initié par plusieurs journées de mobilisation par les salariés du commerce qui ont débuté en janvier et qui ont été particulièrement suivies étant donné le caractère morcelé de cette profession.
Mais ce mouvement qui continue le 27 mai par l’organisation d’un village olympique revendicatif devant le ministère du travail, visant l’unification, en appelant tous les salariés à s’y rendre, n’a pas été très remarqué bien que suivi de manière inédite. Par contre celui des cheminots, par leur impact sur l’économie et surtout par leur succès, a commencé à changer quelque chose dans l’esprit d’un certain nombre de travailleurs et de militants… et de journalistes de l’ordre qui ont commencé à s’inquiéter et dénoncé une prise en otage. Ils ont gagné pour nombre d’entre eux un an et demi de retraite, pour certains un peu plus, d’autres un peu moins, mais globalement un succès revendicatif dans cette période tel qu’on en n’avait pas vu depuis les années 1970. Il était donc possible de gagner en faisant du chantage sur les JO. Et tout le monde s’y est mis. Et a gagné bien souvent aussi. Les aiguilleurs du ciel ont gagné une augmentation de revenus de 1 000 à 2 000 euros par mois et un an et demi sur les retraites. Les éboueurs parisiens en un jour de grève, ont gagné 80 euros d’augmentation et une prime de 600 à 1 900 euros. Les agents RATP, par la menace de la grève, une prime de 1 600 à 2 500 euros. Et puis d’autres professions voyant l’ouverture se lancent, les agents hospitaliers, les pompiers, les bibliothécaires, les salariés de la culture, les salariés d’Air France, ceux des aéroports, de la sécurité aéroportuaire, du transport routier et de la logistique, du Panthéon, de la tour Eiffel, les agents de nettoyage des gares, le périscolaire… c’est une véritable vague.
Et cela pourrait devenir un tsunami. En effet, les cheminots encouragés par leur victoire sur les retraites ont repris la grève le 21 mai, qui a rarement été aussi massive, cette fois pour des primes mais aussi des augmentations de salaires et encore pour certains, la gratuité des transports pour associer les citoyens au vu de la hausse du prix des transports parisiens durant les JO. Puis les aiguilleurs du ciel dont la presse soulagée croyait pouvoir annoncer la fin de leurs grèves, ont remis ça les 25 et 26 mai pour des embauches avec là aussi une participation massive tout en annonçant d’autres journées de grève s’ils n’obtenaient pas satisfaction. Le mouvement fait boule de neige et ne s’arrête pas, même gagnant. Au contraire ! Et surtout il peut devenir de plus en plus politique et agglutiner ainsi en un seul mouvement, non seulement les multiples grèves que ce réchauffement du climat social est en train de réveiller, mais aussi l’ensemble des classes populaires et des citoyens qui n’en peuvent plus du régime de Macron.
Et c’est là où les militants peuvent jouer un rôle, aider au passage d’un mouvement corporatiste à un mouvement politique. Déjà, le succès des grèves des cheminots, aiguilleurs du ciel, éboueurs parisiens, agents RATP de ces derniers jours et semaines est dû au fait que – pour le moment encore pas encore vraiment conscientes de leurs possibilités -, ce sont des grèves politiques parce qu’elles menacent directement le prestige et l’autorité du gouvernement Macron pendant ces JO. Il ne s’agit ainsi plus pour les militants de faire partager entièrement ses idées progressistes à quelques milliers de personnes, mais de se faire le porte-parole du mouvement de centaines de milliers de personnes en lutte pour en faire avancer d’un pas des millions. Mais un seul pas en avant de millions de personnes vaut un changement général du rapport de force et ouvre ainsi la porte aujourd’hui à de nombreux autres pas en avant. Bien sûr, c’est parce que ce mouvement est potentiellement politique et remet en cause Macron et son monde que les directions syndicales qui ne fonctionnent qu’à à l’intérieur de ce monde, ne veulent pas l’unifier. Y compris jusque dans les fédérations des cheminots qui n’ont organisé la journée du 21 mai que pour tenter de stopper un mouvement qui tend à leur échapper en ne critiquant pas les primes qu’à cédées la direction alors que la force du mouvement actuel pourrait obtenir bien plus. Mais les cheminots seront à nouveau dans la rue le 28 mai et pourront là se retrouver pour aller plus loin. Bien sûr aussi, parce que c’est un mouvement social de rue qui peut devenir politique, LFI ne s’en emparera pas. LFI ne jure que par des solutions électorales c’est-à-dire la séparation du social et du politique, ce qui lui vaut d’ailleurs ses déboires actuels faute d’avoir voulu donner au mouvement social des retraite une issue en visant à renverser Macron par la rue. Et rien n’a changé depuis.
Bien sûr encore, l’extrême-gauche, sur laquelle pèse les lourdes conséquences d’un lointain passé où s’est fait sa séparation des classes pauvres et qui ne sait plus depuis longtemps voir, sentir, entendre les courants d’opinion des classes populaires, ne saura pas se faire le porte-parole de leurs aspirations. Par contre les militants de ces trois courants, eux le peuvent, parce que même s’ils sont membres de ces organisations, les évènements récents leur ont appris aussi une certaine distance. C’est l’air du temps, tout autant celui des militants syndicalistes engagés dans les combats actuels que celui des militants qui dans le Zbeul 2024 essaient de discréditer ces Jeux.
Les passerelles sont là.
Et cela est d’autant plus possible que dans la situation actuelle, Macron a allumé le feu en Kanaky/Nouvelle-Calédonie et récolte un incendie d’ampleur qu’il ne maîtrisera pas de sitôt. Il est en faiblesse au point de concéder un nouveau référendum (certes flou mais annoncé dans l’horizon) face aux révoltes des jeunes de quartiers populaires à Nouméa, que les dirigeants indépendantistes n’encouragent pas, mais qu’ils ne dénoncent pas comme la plupart des partis de gauche l’avaient fait pour les mêmes révoltes dans l’Hexagone. Dans ce contexte, où également les écologistes annoncent des mobilisations cet été, l’unification des grèves pour les JO, serait le meilleur moyen d’aider les kanaks en rapprochant Macron du gouffre. Et cela d’autant que, cerise sur le gâteau, il attise encore les haines en lançant une nouvelle provocation de plus contre les chômeurs en rendant tellement difficile l’accès aux allocations chômage qu’il supprime quasiment ce droit pour les jeunes, les précaires et les saisonniers.
La volonté politique qui a manqué aux directions syndicales durant le mouvement des retraites et qui leur manque encore aujourd’hui comme à LFI et à l’extrême-gauche est par contre à l’esprit de nombreux de leurs militants. Nous avons une nouvelle occasion devant nous. Elle est à notre portée. Ne la ratons pas !
Jacques Chastaing 26 mai 2024
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