France Inter : après sa blague sur Nétanyahou, le sort de Guillaume Meurice tranché ce jeudi

Guillaume Meurice signs his book at the Paris Book Festival, at the ephemeral Grand Palais on April 12, 2024. Photo By Thibaud MORITZ/ABACAPRESS.COM
Commission de discipline

L’humoriste de la radio publique s’explique ce jeudi 30 mai devant une commission de discipline et risque une sanction pouvant aller jusqu’à la rupture anticipée de son contrat de travail pour «faute grave». La décision ne pourrait être connue que dans les prochains jours.

par Laurence Benhamou

publié aujourd’hui

Après douze ans sur France Inter, Guillaume Meurice sera-t-il licencié pour avoir qualifié Benyamin Nétanyahou, dans un sketch, de «nazi sans prépuce» ? C’est ce jeudi, à 14h30, que l’humoriste passe devant une commission de discipline réunie par la direction de Radio France, qui lui reproche d’avoir répété sa blague malgré une première mise en garde de l’Arcom. Il risque une sanction pouvant aller jusqu’à la rupture anticipée de son contrat de travail pour «faute grave». L’issue ne devrait pas être connue immédiatement. «Aucune décision définitive de sanction» ne sera «notifiée moins de deux jours ouvrables après la tenue de la commission», avait indiqué la direction début mai. L’éventail des possibilités comprend aussi un abandon de la procédure, un blâme ou une mise à pied de plusieurs semaines avec suspension de salaire.

En six mois, l’affaire Meurice, qui divise Radio France et les Français, a pris une tournure politique, sur fond de tensions croissantes liées à la guerre à Gaza et la hausse des actes antisémites. Tout est parti d’un sketch diffusé le 29 octobre dans l’émission de Charline Vanhoenacker, le Grand Dimanche soir, où Guillaume Meurice imagine pour Halloween un «déguisement Nétanyahou»«une sorte de nazi, mais sans prépuce». Ce qui fait rire le public en plateau mais choque beaucoup d’auditeurs, qui jugent la blague antisémite, tout comme des personnalités politiques et de la culture. L’Arcom, le gendarme de l’audiovisuel, est saisie. Les réactions s’emballent. Pascal Praud diffuse l’extrait de sa chronique sur CNews. Meyer Habib, le député des Français de l’étranger dont la circonscription contient Israël, traite l’humoriste de «petite vermine antisémite». Gérard Larcher déclare que «la limite du respect et de la dignité a été franchie». La rabbine Delphine Horvilleur propose de lui «circoncire le temps d’antenne».

Ambiance lourde à Radio France

La direction de Radio France se désolidarise de ses propos et exige que l’humoriste s’excuse, ce qu’il refuse. Sibyle Veil, la patronne de Radio France, lui colle un avertissement, pas tant pour la blague que pour ne pas avoir pris la parole après l’émoi qu’elle a suscitée, mais il revient cependant à l’antenne. Défendu par les syndicats, le chroniqueur reçoit en revanche de nombreuses insultes et menaces sur les réseaux sociaux, au point que l’émission du 12 novembre se déroule sans public. Mais il est aussi soutenu par des messages de soutien d’auditeurs, qui sont un million à écouter le «Moment Meurice» chaque dimanche. L’humoriste, lui, crie à l’injustice et estime juste avoir fait son métier. A Radio France, l’ambiance s’alourdit.

Pour expliquer sa décision, Sibyle Veil déclare à ses salariés que «ce n’est pas entraver la liberté d’expression et le droit à la caricature – auxquels nous sommes très attachés – que d’appeler au discernement». Guillaume Meurice se défend : «Je pratique l’humour, la caricature, la satire politique, et l’outrance en fait partie. Pour moi, la limite, c’est la loi», et tweete #JeSuisCharlie. «L’esprit Charlie, ce n’est pas une poubelle qu’on sort du placard quand ça vous arrange, pour y jeter ses propres cochonneries», réplique Riss, directeur de la publication du journal satirique.

Dans une prise de position rare pour une séquence humoristique, l’Arcom adresse le 23 novembre une mise en garde à France Inter, en soulignant l’importance de la protection de «la liberté d’expression des humoristes» mais estimant que «dans un contexte marqué par la recrudescence des actes à caractère antisémite», la séquence a «porté atteinte au bon exercice par Radio France de ses missions et à la relation de confiance qu’elle se doit d’entretenir avec l’ensemble de ses auditeurs». Guillaume Meurice est aussi convoqué en audition libre par la brigade de répression de la délinquance contre les personnes, dans le cadre d’une plainte déposée notamment par l’Organisation juive européenne et Avocats sans frontières. On l’interroge sur des liens – imaginaires – avec Dieudonné ou sur ce qu’il considère comme «le nazi absolu», une convocation qui le sidère, lui qui se défend de tout antisémitisme.

«Signe très inquiétant pour la liberté d’expression»

L’histoire se tasse, jusqu’au 18 avril, quand le parquet de Nanterre classe sans suite la plainte déposée contre lui pour «provocation à la violence et à la haine antisémite» et «injures publiques à caractère antisémite». Quelques jours plus tard, à l’antenne, Guillaume Meurice se félicite de la décision de justice. Et répète sa blague : «Il y a des choses qu’on peut dire. Par exemple, si je dis “Nétanyahou est une sorte de nazi mais sans prépuce”, c’est bon. Le procureur a dit que c’était bon, cette semaine. Vous pouvez en faire des mugs, des tee-shirts, c’est ma première blague autorisée par la loi française.» Cette fois, Radio France le suspend d’antenne le 2 mai et le convoque à un entretien préalable, en vue d’une possible sanction. Pour Radio France, la réitération de ces propos met en danger l’entreprise, déjà mise en garde par l’Arcom. La direction l’accuse aussi d’avoir répété cette blague «afin de servir ses intérêts personnels» et dénonce «un manque de loyauté envers son employeur». Ce qui indigne Guillaume Meurice.

Les politiques de tous bords s’en mêlent. Des leaders écolos et insoumis montent au créneau pour le défendre, au nom de la liberté d’expression. «Etre Charlie, c’est accepter que les blagues puissent blesser, heurter des convictions, provoquer les interdits. Nous nous sommes levés pour conserver ce droit», a réagi l’écologiste Sandrine Rousseau. Auprès de Libération, Manon Aubry s’insurge : «Mais c’est un truc de ouf ! Se faire licencier pour avoir fait des blagues ?!» Les salariés de France Inter, quoique divisés, notamment ses humoristes, prennent aussi sa défense, en voyant dans cette convocation un «signe très inquiétant pour la liberté d’expression». «Nous demandons le maintien à l’antenne de Guillaume Meurice, sans délai», ont déclaré les sociétés des journalistes (SDJ) et des producteurs (SDPI) de France Inter, dans un rare communiqué commun. En signe de protestation, un autre humoriste de la bande de Charline Vanhoenacker, Djamil le Shlag, démissionne en direct. Une grève contre sa suspension est menée le 12 mai. De quoi déstabiliser un peu plus la Maison ronde, déjà secouée par le projet de loi sur la fusion de l’audiovisuel public et les suppressions d’émissions portant sur les luttes sociales ou la refonte d’émissions sur l’environnement comme la Terre au carré.

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