Le Front populaire est né : « Nous allons prouver que nous sommes prêts à gouverner »

Après d’âpres négociations, les dirigeants des partis de gauche ont conclu un accord définitif et ont rédigé un programme centré sur les cent premiers jours du mandat. Ils se félicitent d’avoir ainsi « déjoué les calculs politiciens » d’Emmanuel Macron.

Mathieu Dejean

C’est fait. Après quatre jours et quatre nuits de négociations, les partis de gauche sont parvenus, jeudi 13 juin, à sceller l’accord qui donne naissance au nouveau Front Populaire. « À partir d’aujourd’hui, partout en France, nous œuvrerons à élargir ce rassemblement avec toutes celles et ceux, Françaises, Français, associations, syndicats, partis politiques, personnalités engagées dans le débat public, qui partagent nos idées et nos orientations », s’engage la coalition de gauche et des écologistes dans un communiqué, ajoutant : « Désormais, l’arrivée du Rassemblement national au pouvoir n’est plus une fatalité ! »

Devant le siège des Écologistes, dans le Xarrondissement de Paris, où quelques militant·es s’étaient regroupé·es en attendant qu’une fumée blanche sorte du bâtiment où les dirigeants des Verts, du Parti socialiste (PS), de La France insoumise (LFI), du Parti communiste français (PCF) et de Place publique s’étaient réunis, le soulagement était palpable.

« C’est un mouvement historique important. Il faut construire le rapport de force du Front populaire, car même si, dans le pire des scénarios, Bardella gagne, ce sera un rempart », salue Jacky Lafortune, un vieux militant de gauche venu en voisin. Depuis le 9 juin et la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, partout où les états-majors des partis se rassemblent pour négocier à huis clos, des manifestant·es les suivent pour les sommer de s’unir au slogan : « Unissez vous, ne nous trahissez pas ! »

Marine Tondelier (Les Écologistes), Olivier Faure (PS) et Manuel Bompard (LFI) devant le siège des Écologistes, à Paris, le 13 juin 2024. © Photo Quentin De Groeve / Hans Lucas via AFP

La pression unitaire a donc porté ses fruits. « Le président de la République a joué à la roulette russe en pensant prendre de vitesse tout le monde. C’était inconséquent, car la seule force politique qui était prête était l’extrême droite, mais désormais, nous le sommes aussi, et nous allons prouver que nous sommes prêts à gouverner », se félicite l’eurodéputé écologiste David Cormand, qui faisait partie des négociateurs du jour.

LFI se réjouit aussi dans un communiqué d’avoir « déjoué les calculs politiciens » d’Emmanuel Macron.

Épilogue d’une journée chaotique

Le produit de ces longues heures de discussions, souvent âpres, est un programme « de rupture » se déclinant sur les cent premiers jours du mandat, qui devrait être révélé dans les prochaines heures. Abrogation de la réforme des retraites et du décret réformant l’assurance-chômage, interdiction du glyphosate et des mégabassines ou encore blocage des prix des produits essentiels devraient y figurer.

Mais surtout, les partis se sont accordés pour se répartir 577 circonscriptions. C’était le gros morceau de ces négociations : si l’équilibre avait été rétabli entre LFI (qui reste la première force à gauche avec 229 circonscriptions) et le PS (qui en gagne une centaine par rapport à 2022 avec 175 circonscriptions), il restait encore à les distribuer. Or certaines sont gagnables et d’autres non. C’est la raison pour laquelle les négociations ont été aussi longues, alors que les militant·es manifestent partout leur impatience à faire campagne pour éviter l’accession du Rassemblement national (RN) au pouvoir après les législatives anticipées, le 30 juin et le 7 juillet.

Du point de vue de Paul Vannier, ex-député LFI en charge des négociations sur les circonscriptions, il a fallu faire beaucoup de concessions pour y parvenir, notamment pour contenter les courants internes du PS : « Une fois de plus, on assume de prendre des décisions qui nous coûtent et qui coûtent aux militants implantés, légitimes, avec des profils conquérants. Il nous fallait trouver un accord, compte tenu du risque que fait planer l’extrême droite », dit-il.

LFI a par exemple renoncé à une circonscription à Rouen (Seine-Maritime), où le premier secrétaire délégué du PS Nicolas Mayer-Rossignol, maire de la ville, devrait être investi. « Les socialistes ont tendu les relations en permanence. LFI a beaucoup cotisé, les écolos aussi, et malgré cela, le PS est aigri parce qu’il a beaucoup de cadres à satisfaire », rapporte une source non insoumise qui faisait partie des négociations.

La journée du 13 juin a ainsi été jalonnée de rumeurs sur les causes des blocages des négociations et de coups de gueule par médias interposés – comme celui du maire PS de Marseille (Bouches-du-Rhône), Benoît Payan, qui a menacé de se présenter contre Jean-Luc Mélenchon s’il était investi dans sa ville.

Le cas du député du Nord Adrien Quatennens, condamné pour violences conjugales, a aussi été avancé comme une raison de blocage. La porte-parole du PS Chloé Ridel a plaidé pour qu’une militante féministe, Amy Bah, soit investie à sa place. Selon Paul Vannier, son nom n’a pas été évoqué pendant les négociations, sauf à la fin, où les écologistes ont dit ce qu’ils en pensaient. Eux-mêmes n’ont pas investi leur ancien secrétaire national Julien Bayou, député sortant de Paris, visé par une plainte et une enquête interne, qui avait démissionné du parti.

L’enjeu du débordement des partis

« On est nombreuses à estimer impossible qu’Adrien Quatennens soit candidat derrière la bannière du Front populaire, explique la militante féministe et élue écologiste au conseil de Paris Raphaëlle Rémy-Leleu. Il y a un vrai risque de dissidence féministe en face de lui. »

L’information parue dans L’Opinion selon laquelle le député du Nord faisait circuler à ses proches un appel aux « femmes, de gauche, féministes » à soutenir sa candidature, a fait l’effet d’une provocation – rappelant son interview sur BFMTV quelques heures après sa condamnation. Le comité électoral de LFI doit se réunir dans la nuit pour décider des investitures, dont celle-ci.

Par ailleurs, des militant·es hors partis s’inquiètent aussi du manque de diversité des candidatures, après des listes aux européennes déjà trustées par des professionnels de la politique. En 2022 le débat existait déjà. Alors que depuis le 10 juin, les dirigeant·es de gauche disent compter sur l’engagement de la société civile organisée, des syndicats, des ONG, des associations, des candidatures d’ouverture, représentatives de leurs territoires, sont-elles à attendre ? Selon une source qui a suivi la répartition des circonscriptions, « c’est peut-être l’élément qui a été le plus sacrifié ». Une fois de plus, la satisfaction des cadres et des courants internes des appareils politiques pourrait avoir primé sur d’autres considérations.

« Pour nous, les candidatures de députés proposées aux suffrages doivent montrer ce lien nouveau avec des personnalités du monde associatif et syndical. Dans ce domaine comme dans les autres, les Insoumis seront exemplaires », promettent toutefois les Insoumis dans leur communiqué.

« Le Front populaire va continuer à s’ouvrir à la société civile », assure aussi Johanna Rolland, première secrétaire adjointe du PS. Il y a une responsabilité et un espoir fort qui se dégagent : après le choc du score du RN et la surprise de la dissolution, l’alternative est à gauche. »

Les professions de foi et les bulletins de vote arriveront en tout cas à temps en préfecture. « Pour écrire l’histoire, une puissante mobilisation populaire qui aille bien au-delà des convaincus et des appareils politiques doit se lever : il en va d’une possible victoire électorale et de sa réussite une fois au pouvoir. Emparons-nous en »a réagi l’économiste Maxime Combes. Une nouvelle tribune d’une centaine d’associations comme Greenpeace et Bloom vient d’ailleurs de paraître. La campagne peut commencer.

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