Front populaire : convoquons 10, 100, 1000 assemblées populaires locales pour gagner

 11 JUIN 2024

Sans sursaut populaire, l’extrême droite est en position d’arriver au pouvoir le 7 juillet. Que se dessine un accord entre les gauches et l’écologie politique est une bonne nouvelle. Mais ne les attendons pas pour mener campagne, notamment dans les 100 ou 150 « swing states », ces circonscriptions qui risquent de basculer RN : convoquons des assemblées populaires locales partout !

Maxime Combes

Economiste, travaillant sur les politiques climatiques, commerciales et d’investissement

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« Quand les blés sont sous la grêle

Fou qui fait le délicat

Fou qui songe à ses querelles

Au cœur du commun combat »

Aragon, La Rose et le Réséda, 1943

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Front populaire : convoquons 10, 100, 1000 assemblées populaires locales pour gagner © @MaximCombes

A l’annonce des résultats des élections européennes, Emmanuel Macron a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale, répondant ainsi favorablement à la demande de Jordan Bardella (RN). Elu par deux fois Président de la République pour faire barrage à l’extrême-droite, ayant promis en avril 2017 de « tout faire pour qu’il n’y ait plus aucune raison de voter pour l’extrême-droite », Emmanuel Macron en est devenu le principal marche-pied : jamais un parti d’extrême-droite n’avait atteint un tel score lors d’une élection en France, avec 31,5% des voix (7,8 millions de voix).

En position d’extrême faiblesse politique, Emmanuel Macron a décidé de jouer à pile ou face l’avenir politique du pays. Sans sursaut politique et populaire, l’extrême-droite pourrait officiellement arriver au pouvoir au soir du 7 juillet, date du second tour des élections législatives : à l’Elysée, depuis des années, un irresponsable Président de la République danse sur des stocks de poudre avec une torche allumée dans chaque main, au risque d’avoir déclenché l’irréversible et propagé l’incendie au pays tout entier.

A gauche, les premiers réflexes sont les bons. A l’heure où ces lignes sont écrites (lundi 10 juin en soirée), un accord autour d’un « Front populaire » semble même se dessiner, y compris avec celles et ceux qui nous ont expliqué pendant des mois qu’un tel rapprochement était impossible lors des Européennes. Mais passons. Sans naïveté, mais oui, passons. Parce que les blés sont sous la grêle. Parce que polémiquer sur le passé ne nous fera pas avancer. Parce qu’à l’insoutenable légèreté des tactiques politiques des uns et des autres, il est de notre responsabilité collective de répondre par la grandeur de notre engagement et la sincérité de nos convictions.

« Ne laissons pas les appareils politiques décider seuls » !

Il est même de notre responsabilité individuelle et collective, nous qui sommes soucieuses et soucieux de notre avenir commun, de ne pas laisser les états-majors des partis politiques de la gauche et de l’écologie décider seuls, à l’abris des regards et derrières portes closes, du contenu de ces rabibochages bienvenus, bien que de circonstance : si l’avenir politique et financier des partis de gauche et de l’écologie est en jeu, nous méritons mieux que les trop nombreux retournements de veste observés.

Dans les délais impartis – les candidatures doivent être déposées d’ici à dimanche 16 juin 18h – il est bien-évidemment difficile d’imaginer un processus réellement collectif et transparent. Il est néanmoins de notre responsabilité de l’exiger. Ainsi que de prendre toutes les initiatives citoyennes, associatives et syndicales possibles qui puissent à la fois influer sur les contours et le contenu de ce « front populaire » mais aussi contribuer à lever une espérance de transformation sociale, écologique et démocratique dans ce pays.

« Déborder les quartiers généraux »

Signer des pétitions, écrire des mails et espérer que les partis de gauche et de l’écologie s’entendent ne sera pas suffisant. Pourquoi ? Parce qu’arrivée à de tels niveaux électoraux, l’extrême-droite doit désormais être combattue partout et à chaque instant, tant dans les urnes que sur le terrain, tant sur les plateaux TV que dans les fêtes de village. Analyser, décrypter et informer sur le programme nocif du RN, ainsi que sur leurs votes anti-sociaux et anti-écolo systématiques, doit devenir une tâche prioritaire, décentralisée et généralisée.

Mais aussi, et surtout, parce qu’il est urgent de recréer des espaces collectifs où l’on puisse discuter de la situation politique et des initiatives à prendre à l’échelle d’un village, d’un canton, d’un quartier ou d’une ville : pour solder les différends et les animosités accumulées mais aussi, et surtout, pour se projeter dans cette grande bataille commune qui s’impose à nous. Sans attendre que la fumée blanche sorte des négociations en cours et sans attendre que les professions de foi et les bulletins du « Front populaire » nous parviennent.

« Créons 10, 100, 1000 assemblées locales du « front populaire  »

C’est une des principales limites identifiées de l’expérience NUPES de 2022 : qu’il n’ait pas été possible de constituer partout des assemblées locales et pérennes de la NUPES qui auraient du permettre, en plus de mener campagne, d’instituer un lieu d’échange et de construction politique locale. Il n’est jamais trop tard pour bien faire : créons 10, 100, 1000 assemblées locales du « front populaire ». Sans attendre l’autorisation des quartiers généraux, sans attendre que la consigne soit passée : n’attendons pas qu’il soit trop tard pour nous organiser.

Ayons bien en tête que la gauche et l’écologie pèsent à peine 30 % de l’électorat. Moins que l’extrême-droite. Le résultat des législatives dépendra précisément du niveau de mobilisation différenciée des électorats de chacun des trois pôles. Celui de l’extrême-droite est visiblement mobilisé et convaincu qu’il peut gagner. Celui de la macronie et des droites est en piteux état. Celui des gauches et de l’écologie est éparse, désorganisé et porteur de rancoeurs diverses. Il doit être mis en mouvement : il faudra plus qu’un simple bulletin commun pour que l’espérance en train de se lever ne se transforme en une mobilisation puissante capable de faire refluer l’extrême-droite.

Pour gagner, il faut s’organiser, surtout là où les partis politiques sont faiblement présents.

Unis, la gauche et les écologistes gagneront quasi-automatiquement à nouveau 120 à 150 circonscriptions, soit à quelques ajustement près, celles qui ont été gagnées en juin 2022. Avec un électorat aussi mobilisé qu’aux Européennes, le RN en fera malheureusement autant. Macronie et droite en conserveront également une centaine, soit des circos à droite ingagnables par la gauche. Restent les 120 ou 150 « swing states », ces circonscriptions qui changent de couleur en fonction des majorités : elles ont été sarkozystes en 2007, (souvent) hollandistes en 2012 et macronistes en 2017 et 2022.

C’est en fonction du résultat dans ces circonscriptions que se joueront les élections des 30 juin et 7 juillet : soit la mobilisation des électorats des gauches et de l’écologie sera telle que ces circonscriptions basculeront du bon côté. Soit le RN en remportera suffisamment pour s’approcher dangereusement de la majorité absolue. La 11ème circonscription du Rhône, où je vis, en est une : PS en 1981 et 1988, droite en 1993, PS en 1997, droite en 2002 et 2007 et macroniste en 2017 et 2022. A l’aune des résultats de ce dimanche, il n’y a pas photo : si rien ne se passe, elle basculera RN.

Se mobiliser dans les « swing states », ces circos oubliées de la gauche et de l’écologie

Pour que le Front populaire soit victorieux les 30 juin et 7 juillet, ce sont dans ces circonscriptions qui basculent d’une élection à l’autre qu’il faut concentrer les efforts : débloquer des moyens humains et financiers conséquents, choisir des candidats réellement en mesure de gagner en tentant compte des situations locales ; assurer une présence forte des figures des gauches et de l’écologie. Malheureusement, grand est le risque de voir les états-majors des gauches et de l’écologie s’empailler sur le partage des dernières circonscriptions gagnables et délaisser ces 100 à 150 circonscriptions qui vont faire le résultat global des élections.

Avec une tripolarisation de la vie politique et la fin du réflexe du « barrage républicain » au second tour, il ne s’agit pas seulement d’être majoritaire en voix, ou proche de l’être : il faut gagner dans ces circonscriptions généralement oubliées de la gauche et de l’écologie, si tant est que l’objectif est bien de ne pas laisser l’extrême-droite devenir majoritaire au sein de l’Assemblée nationale. D’où que nous venions, quel que soit le lieu où nous vivons ou travaillons – pour celles et ceux qui ont un travail rémunéré – ne soyons pas les témoins passifs de ce grand moment démocratique : il nous faut nous organiser aussi vite que possible et multiplier les assemblées locales du Front populaire.

Sans naïveté, contribuons à renouveler le programme et les pratiques des gauches et de l’écologie

Notre première tâche collective sera de faire reculer les rancoeurs et ressentiments accumulés ces dernières années. Malgré les revers récents, malgré les déchirements et désaccords montés en épingle, certaines des propositions que nous portons depuis des décennies ont désormais trouvé leur place dans l’imaginaire commun de la gauche : refuser la fatalité ; en terminer avec les politiques d’austérité et l’emprise de la finance sur nos vies ; accélérer la bifurcation écologique et sociale ; faire refluer le racisme et la haine de l’autre; financer comme il se doit des services publics rénovés de qualité ; etc.

Il ne s’agit pas de signer un chèque en blanc aux partis politiques de la gauche et de l’écologie, mais d’empêcher l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir. Que chacune et chacun d’entre nous n’adhère pas pleinement à la totalité des programmes respectifs, ne soit pas dupe des jeux d’appareil, connaisse les limites de chaque leader des gauches et de l’écologie, ne doit pas être un frein à notre engagement. Trop grand est le risque de voir la gauche et l’écologie laminées au soir du 7 juillet et être spectateurs impuissants d’une arrivée au pouvoir de l’extrême-droite dont les peuples, la démocratie et la planète seraient les perdants assurés.

Nous avons collectivement l’opportunité de contribuer à construire une gauche renouvelée sur des bases clarifiées prenant le pas sur le spectacle des compétitions individuelles. Ne demandons pas que tous les différends soient tranchés avant l’élection, comme préalable indispensable au rassemblement. Puisque toutes les forces de gauche et de l’écologie proposent des réformes institutionnelles profondes et une démocratie plus directe et participative, les électeurs pourront contribuer à trancher les divergences existantes dans le cadre de ces mécanismes démocratiques rénovés ou d’un futur processus constituant.

Pour que vive et gagne le Front populaire, créons 10, 100, 1000 assemblées locales !

Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022). 

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