En France, des groupes d’ultra-droite désinhibés par le triomphe électoral du RN

Depuis le succès du Rassemblement national aux élections européennes du 9 juin, et dans la perspective des législatives, les groupes nationalistes multiplient les démonstrations de force dans plusieurs villes françaises, souvent assorties de violences.

Des membres du groupe d’extrême droite «Comité du 9-Mai» (C9M) participent à une manifestation pour commémorer le 30e anniversaire de la mort de Sébastien Deyzieu du groupe ultranationaliste Oeuvre française, à Paris, le 11 mai 2024 (photo d’illustration). AFP – DIMITAR DILKOFF

Armés de ceintures ou de parapluies, le poing levé ou la main serrée autour d’un drapeau arborant une croix celtique, étendard historique de l’ultradroite, une cinquantaine d’individus cagoulés et vêtus de noir défilent sur le pavé du Vieux-Lyon. Galvanisés par une possible victoire de l’extrême droite aux élections législatives anticipées du 30 juin et 7 juillet, ils vocifèrent : « On est nazis putain ! », « Islam, hors d’Europe ! » ou encore «  Bleu, blanc rouge, la France aux Français ! ». Plusieurs passants sont victimes de ce déchaînement de violence. « J’ai vu un homme se faire passer à tabac à coups de chaîne de vélo. Ils ont aussi jeté des chaises sur les gens, ont renversé des tables, c’était le chaos », témoigne Sarah auprès de Libération.

Cette scène n’est pas sans rappeler les militants du GUD interpellés pour une agression homophobe à Paris suivant l’annonce du triomphe électoral de Jordan Bardella aux élections européennes – « vivement dans trois semaines, on pourra casser du PD autant qu’on veut », aurait lâché l’un d’eux -, le concert à Angers récemment attaqué par des militants d’extrême droite, ou encore les violentes altercations en plein centre-ville de Nancy après l’organisation d’une manifestation antifasciste.

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« Participer au sacre de Bardella »

Dans plusieurs canaux de la messagerie cryptée Telegram consultés par RFI, des groupes d’extrême droite tels que « Division Aryenne Française » ou « Canal Natio » diffusent même une liste de rassemblements anti-RN. Les membres y appellent aux « ratonnades » et incitent les militants à s’en prendre aux cortèges de « gauchistes », pour « défendre notre drapeau, notre pays, notre patrie ». Certains diffusent des vidéos de violences en félicitant leurs auteurs, quand d’autres prodiguent des conseils pour mieux s’en prendre à leurs adversaires : « Infiltrez-vous dans la foule, attendez la fin de la manifestation, suivez un groupe jusqu’à un endroit sans caméra et occupez-vous d’eux ».

Une telle désinhibition s’explique, d’après Erwan Lestrohan, par la « sur-mobilisation de l’électorat du Rassemblement national », qui semble être interprétée comme un blanc-seing à leurs actions, voire à leur existence même. Si ce phénomène reste « assez peu mesuré » selon le directeur conseil de l’institut de sondages politiques Odoxa, impossible d’ignorer que les idées nationalistes, légitimées par les urnes, deviennent ainsi plus acceptables.

Xavier Crettiez, politologue membre de l’Observatoire des radicalités politiques, parle même d’un « effet de cadrage ». « Quand il y a une action collective violente, elle doit, pour avoir lieu, être cadrée et entrer en résonance avec un cadrage dominant. Ce cadrage dominant, porté par le RN, diffuse un message qui serait axé sur une menace migratoire, un danger de l’étranger, un refus de l’altérité et une volonté de repli national », pointe l’expert, qui rappelle que les années trente, qui ont vu la montée du nationalisme radical en France, ont elles aussi connu une « miliciarisation de la rue » et une hausse des expéditions violentes.

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Une résurgence d’autant plus efficace que le parti lepéniste a le vent en poupe : outre son succès historique aux européennes qui a rendu tant de radicaux euphoriques – 31,5 % des voix, contre 23,34 % en 2019 –, la base de soutien au Rassemblement national a nettement enflé au fil des années. En 2012, Marine Le Pen réunissait ainsi 6,4 millions d’électeurs. Dix ans plus tard, en 2022, ce chiffre s’élevait à 13,3 millions. « Cette impression de monter dans le train du gagnant et de participer au sacre de Bardella ou à la victoire du RN peut amener un sympathisant à rallier ce camp et à être plus démonstratif », voire violent, analyse Erwan Lestrohan.

Une tendance que même la Cocarde étudiante, syndicat d’extrême droite, a constaté. « Le soir de l’annonce des résultats des européennes et de la dissolution, nous avons enregistré une dizaine de nouvelles adhésions, contre une tous les trois jours en temps normal », détaille Edouard Bina, président de l’organisation qui se targue d’avoir à ses côtés 500 adhérents et 22 sections.

« Nous avons eu une nouvelle vague de jeunes qui sont arrivés en voyant des vidéos de Jordan Bardella passer sur les réseaux sociaux », collégiens compris, précise-t-il. Ses membres se définissent comme « de droite, à tendance union de la droite », bien que certains s’adonnent parfois à des violences. Pour le patron du syndicat étudiant, en revanche, la hausse des violences des groupuscules d’ultra-droite tient moins au succès du RN dans les urnes qu’au « chaos engendré par l’extrême gauche », qui pousse les militants à « assurer l’ordre » à la place de l’État.

La violence comme marqueur identitaire

Dans les chaînes Telegram, cette même justification revient d’ailleurs régulièrement. « Protégez-vous, l’État ne le fera pas », lit-on dans la « Division Aryenne Française ». « Nous sommes entrés dans la lutte du Bien contre les forces du Mal », soutient l’administrateur du canal « Memora Natio », qui se réclame du nationalisme, du royalisme et du catholicisme – et se félicite d’avoir reçu « des dizaines de nouveaux camarades rejoignant [ses] rangs » depuis la percée sans précédent du RN.

Entre chants nazis et messages à la gloire d’Hitler se succèdent ceux truffés de haine envers leurs adversaires, dont la liste est longue : les « antifa », le Nouveau Front populaire, les membres de la communauté LGBTQI+, les immigrés, les juifs…

Pour les membres de ces groupuscules d’extrême droite, dont le nombre est estimé à environ 3 500 – dont 1 300 fichés S –, la violence est un « marqueur identitaire », souligne Xavier Crettiez. « C’est une violence contre les individus qui incarnent une opposition par rapport à leur vision fantasmée d’une nation homogène, à savoir blanche, nationaliste, française et catholique, détaille l’expert. Aller se battre dans la rue contre un adversaire, ça crée une identité forte qui entre en résonance avec l’idéologie nationale. C’est un groupe soudé de frères d’armes. »

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Si ces groupuscules bénéficient des succès électoraux du RN, ils ne se contentent pas de cette proposition politique. Accusé de s’embourgeoiser ou même de se « gauchiser », la formation lepéniste y est parfois décrite comme un « parti du système » à la solde de sa « politique de dédiabolisation » pour accéder au pouvoir.

« Ils ne sont pas des alliés objectifs du Rassemblement national, ils essaient au contraire de le concurrencer et le contraindre à la fermeté en représentant une frange radicale », résume Xavier Crettiez. Une frange souvent encombrante pour le RN. Jordan Bardella a promis, mercredi 19 juin, de dissoudre toutes « les organisations d’ultradroite et d’ultragauche », dont le GUD, s’il devenait Premier ministre.

Les mots d’Yvan Benedetti, ancien élu FN de Vénissieux condamné pour contestation de crime contre l’humanité, sont par ailleurs relayés dans ces boucles Telegram : « Quel que le soit le résultat des législatives, les institutions ne permettront pas de mener une politique de rupture qui seule pourrait rétablir la France. » Les membres prônent alors la mise en place d’un « Front de la résistance », qui nécessite de « faire exploser la fenêtre d’Overton dans [leur] camp ». L’objectif est clair : repousser les limites du politiquement correct pour permettre à une ligne nationaliste encore plus radicale de voir le jour.

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