« La gauche unie a sauvé la République » : le Nouveau Front populaire surprend son monde

En se hissant en tête des élections législatives et en reléguant l’extrême droite à la troisième position, l’alliance de gauche et écologiste se présente à Emmanuel Macron comme la seule alternative pour gouverner. Récit d’une soirée qui a déjoué tous les pronostics.

Mathieu Dejean et Pauline Graulle

Un peu avant 20 heures, place de Stalingrad, dans le XIXe arrondissement de Paris, le visage de Paul Vannier s’éclaire. Le responsable aux élections de La France insoumise (LFI), qui a fait de la Rotonde son QG du soir, n’est pas du genre à se réjouir trop vite. Mais la soirée du second tour des élections législatives est en train de prendre un tournant historique, dans le bon sens du terme pour la gauche et les écologistes.

Sur son téléphone, les premières estimations des instituts de sondage défilent. À chaque fois, l’ordre d’arrivée des forces politiques est le même : le Nouveau Front populaire (NFP) se hisse en tête, suivi par le camp présidentiel, loin devant le Rassemblement national (RN). « Si ça se confirme, c’est vers nous que Macron doit se tourner. C’est à nous de gouverner », souffle Paul Vannier avant de filer.

Quand les premiers résultats officiels tombent, la Rotonde explose de joie. Le NFP est en tête, rassemblant entre 177 et 192 sièges, devant Ensemble (152 à 158 sièges) et le RN (138 à 145 sièges). « Nouveau Front populaire ! »« Tout le monde déteste les fachos ! » scandent les militant·es qui se prennent dans les bras. Très vite, Jean-Luc Mélenchon prend la parole entouré des cadres de LFI, Mathilde Panot, Manuel Bompard et Younous Omarjee. Son discours est retransmis sur un grand écran place de Stalingrad, où la foule grossit de minute en minute et entrecoupe son discours d’acclamations.

Les premier mots du leader insoumis vont aux militant·es qui ont mené une vaste campagne de terrain dans un contexte inédit, et qui ont convaincu une majorité de personnes en un temps record. Puis, ils s’adressent à celles et ceux qui « se sont sentis terriblement menacés » par l’hypothèse d’une prise de pouvoir de l’extrême droite : « Que ces personnes se rassurent, elles ont gagné. Une majorité a fait un autre choix pour le pays. La volonté du peuple doit être strictement respectée. »

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Les membres de La France insoumise célèbrent les premiers résultats du second tour des législatives 2024 à la Rotonde à Paris. © Anton Karliner / Sipa

Visiblement ému, Jean-Luc Mélenchon affirme que le NFP « est prêt à gouverner » sur « son programme, rien que son programme, mais tout son programme » et qu’il refuse d’entrer « dans des négociations » avec le parti présidentiel. « Ses composantes se sont montrées à la hauteur des circonstances et ont déjoué le piège tendu au pays. À sa manière, une fois de plus, la gauche unie a sauvé la République », conclut-il.

Les composantes du NFP, qui ne pensaient pas s’en sortir aussi bien, sont pourtant momentanément séparées, chacune d’entre elles ayant organisé sa soirée en aparté. Au siège des Écologistes, où le NFP a vu le jour il y a trois semaines, Marine Tondelier lançait, vers 20 heures : « C’est l’espoir immense créé par cette union de la gauche et des écologistes qui est le fait politique majeur de cette élection. […] Ce soir, c’est le temps du travail et du collectif. »

Ascenseur émotionnel, joie et gravité

Dans la salle des Oliviers de La Bellevilloise (Paris XXe), Olivier Faure a fendu la foule qui venait de crier de joie à l’annonce des résultats. Le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) – qui a doublé son nombre de député·es – est monté au pupitre pour un discours solennel, entouré de ses proches lieutenants Sébastien Vincini et Stéphane Troussel, président du département de Seine-Saint-Denis, mais aussi du maire de Rouen (Seine-Maritime) Nicolas Mayer-Rossignol et du maire de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) Mathieu Hanotin.

Loin d’être triomphaliste, le député socialiste, réélu dès le premier tour, a rappelé que le NFP aurait pour « seule boussole » le programme « ambitieux » de l’alliance : abrogation de la réforme des retraites, bifurcation écologique, taxation des « super riches », retour d’une police « respectueuse et respectée », respect des droits des femmes « et de tous les Français quelles que soient leurs origines, religion ou orientation sexuelle ».

Il a aussi longuement insisté sur la méthode de gouvernance : « bannissement du pouvoir personnel », retour des corps intermédiaires, accentuation du parlementarisme… « Nous ne nous prêterons à aucune coalition des contraires qui viendrait prolonger les politiques macronistes », a annoncé Olivier Faure, l’air grave, aligné sur la position exprimée par Jean-Luc Mélenchon un peu plus tôt. Puis d’avertir que le chemin sera long et escarpé : « Ce n’est pas une majorité absolue, je demande à ceux qui ont été désavoués à trois reprises [aux européennes, et aux deux tours des législatives – ndlr] qu’ils reconnaissent leur défaite et je leur demande que dans l’année qui vient ils ne mêlent jamais leurs voix à celles de l’extrême droite. »

Hors caméras, le premier secrétaire du PS a poursuivi par une adresse aux militant·es qu’il a chaleureusement remercié·es, insistant sur un point : pour que cette victoire ne soit pas qu’un « répit », il faut une « refondation » de la gauche. Puis, comme une adresse à Jean-Luc Mélenchon dont le discours avait été très applaudi par les socialistes quelques instants plus tôt : « Avancer ensemble suppose la démocratie en notre sein » et non des « paroles extérieures qui viendraient s’imposer à nous ». 

Une chose est sûre ce soir : c’est la fin de Jupiter et la fin de la Macronie. Pour le reste, personne ne sait comment va se passer la suite.

Christophe Clergeau, eurodéputé PS

Pour toutes et tous à gauche, l’ascenseur émotionnel a été fort durant cette soirée. L’hypothèse d’une majorité relative RN était probable, et les appels de groupuscules de l’extrême droite violente à descendre dans la rue faisaient craindre le pire. Dans la salle de concert de La Bellevilloise, investie par le PS, les sondages ont commencé à tomber vers 19 heures, avec des écarts allant jusqu’à cent sièges pour le RN entre les différents instituts. Peu après, le bureau national du parti s’est rassemblé au dernier étage pour une réunion au sommet avec tous les cadres, en présentiel ou en visio. Puis ils sont ressortis, les mines plus détendues. « Vous voulez la composition du gouvernement ? », plaisantait alors Luc Broussy, un proche d’Olivier Faure.

L’eurodéputé socialiste proche du premier secrétaire Christophe Clergeau confiait sa surprise : « Ces résultats heureux nous donnent une grande responsabilité. Une chose est sûre ce soir : c’est la fin de Jupiter et la fin de la Macronie. Pour le reste, personne ne sait comment va se passer la suite, si ce n’est que penser qu’on est tranquilles pendant un an est faux. » Toute la soirée, la petite foule de militant·es oscillait entre soulagement et crainte que le RN crie à la confiscation de la démocratie. « Depuis que j’ai 17 ans, je vis sous un gouvernement LREM [La République en Marche, ancien nom de Renaissance – ndlr]. Maintenant, il faut retourner dans les territoires délaissés, il faut dire que la lutte paie et il va falloir continuer à se battre », expliquait une jeune militante.

Où atterrir ?

Malgré l’euphorie, la gauche n’oublie pas en effet qu’elle a fait face à une vague RN très forte, en particulier en dehors des zones très urbaines. Les désistements des candidat·es du NFP et d’Ensemble arrivé·es en troisième position ont certes permis des victoires, souvent serrées. Plusieurs « swing circo », ces circonscriptions où la gauche était en ballottage parfois défavorable, ont ainsi été remportées de justesse. C’est le cas de celle de François Ruffin, dans la Somme, réélu avec 51,9 % des suffrages exprimés ; celle d’Élise Leboucher, réélue dans la Sarthe face à Marie-Caroline Le Pen à très peu de voix près ; celle de François Hollande, élu en Corrèze dans une triangulaire ; ou encore celle de Sébastien Peytavie, réélu en Dordogne face au RN.

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Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, à la soirée d’élection du second tour des législatives à Paris. © Stéphane de Sakutin / AFP

Mais il y a aussi des défaites qui marquent les difficultés de la gauche à s’enraciner en milieu rural : la socialiste Valérie Rabault perd son siège dans le Tarn-et-Garonne, le communiste Sébastien Jumel perd le sien en Seine-Maritime, ou encore le communiste Pierre Darrhéville battu par le RN dans les Bouches-du-Rhône…  L’analyse électorale viendra cependant plus tard. Pour l’instant, toute la gauche se projette à très court terme sur la suite. Gabriel Attal ayant annoncé qu’il remettrait sa démission le 8 juillet, la logique voudrait qu’Emmanuel Macron se tourne vers elle. Mais comment gouverner à gauche avec une majorité relative ?

L’éventualité d’un « gouvernement technique », qui ne mènerait pas de réforme structurelle jusqu’aux prochaines législatives, s’est éloignée. « On a une majorité relative qui est forte, souligne l’eurodéputé LFI Younous Omarjee. Le président doit prendre acte de ce résultat. De notre côté nous sommes prêts à faire en sorte que la France soit gouvernée, et à assumer nos responsabilités. » Dans les rangs du NFP, beaucoup insistent sur le fait que son programme comprend des mesures d’urgence qui peuvent passer par décret, notamment le blocage des prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants. « Si demain un décret propose de passer le Smic à 1 600 euros, qui va s’y opposer ? », interroge aussi le député LFI Manuel Bompard, réélu dès le premier tour.

On est embourbés depuis sept ans dans des politiques qui, par leur essence antisociale, génèrent cette montée du RN. Il faut casser cela.

Francis Parny, membre de la coordination nationale de LFI

Reste à régler la question du casting. Qui pourrait, dans les rangs du NFP, entrer à Matignon ? Cette question a déjà fait l’objet de querelles qui ont divisé de manière latente l’alliance, de la proposition faite par Raphaël Glucksmann (l’ancien patron de la CFDT Laurent Berger) aux déclarations de Jean-Luc Mélenchon qui ne s’excluait pas. « On n’est pas là ce soir pour valoriser sa petite boutique. C’est passer à côté du moment historique. Notre premier ministre a un nom, c’est le programme », balaye Younous Omarjee.

Le député LFI de Loire-Atlantique Andy Kerbrat, réélu, confie une volonté à gauche de « mettre en place un congrès des parlementaires du NFP ». C’est dans le groupe majoritaire du NFP qu’Emmanuel Macron devrait faire un choix de premier ministre. Leur composition sera donc importante. Si LFI arrive en tête en nombre de sièges au sein de l’alliance, le PS n’est pas loin derrière. De plus, certains Insoumis, dont François Ruffin, pourraient rejoindre le groupe des communistes avec les ultramarins, ou celui des écologistes qui s’élargirait. « Nous sommes prêts à former un groupe, et prêts à accueillir celles et ceux qui se retrouvent dans cet état d’esprit de travail et de respect »a déclaré Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, dans son allocution.

Les leaders des partis de gauche s’étaient parlé avant les résultats, mais ceux-ci ont rebattu les cartes. « Il y a un enjeu à reprendre la discussion à la fois sur l’installation de l’Assemblée, ses postes clés et la confection d’un gouvernement », commente la présidente du groupe écologiste Cyrielle Chateleain, réélue en Isère, qui souhaite que l’Assemblée ait « plus que jamais une place prépondérante ». La question de la constitution du NFP en groupe unique devrait être posée dans les négociations qui auront lieu dans les prochaines heures.

Quoi qu’il arrive, le résultat du 7 juillet semble avoir mis un terme aux velléités de certain·es dans le camp social-démocrate de répondre à la main tendue par le camp macroniste pour faire une grande coalition. « Toutes les formations seront déterminées à respecter ce qu’elles ont dit aux électeurs. À cause de Macron, on est embourbés depuis sept ans dans des politiques qui, par leur essence antisociale, génèrent cette montée du RN. Il faut casser cela », assure Francis Parny, membre de la coordination nationale de LFI.

« Personne n’a le mode d’emploi car la situation est totalement nouvelle, nous devons nous adapter et chacun doit changer, analyse le socialiste Stéphane Troussel. Nous avons vocation à gouverner et à assumer nos responsabilités. Nous n’allons pas nous renier mais mettre en œuvre notre projet de manière ouverte. » Mais avant cela, la gauche unie va devoir passer l’épreuve des prochains jours, où des tensions risquent d’apparaître. Pour les dissiper, Andy Kerbrat, comme d’autres, compte sur la pression populaire. Sur toutes les lèvres, dimanche 7 juillet, une phrase : « L’espoir que nous avons créé nous oblige. »

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