LA HOUILLE D’OR : UNE BRÈVE HISTOIRE DU SOLAIRE PHOTOVOLTAÏQUE

Elzeard, Lure en résistance 

Le 21 juillet, je devais intervenir dans le cadre d’un festival organisé à Montlaux, dans les Alpes-de-Haute-Provence, en défense de la montagne de Lure, située juste à côté. En défense de la montagne de Lure, parce qu’à l’instar de nombreux espaces naturels en France et ailleurs, celle-ci est actuellement attaquée par le développement de projets de centrales énergétiques (photovoltaïque, en l’occurrence). Le développement des énergies dites « vertes », « propres », « renouvelables », « décarbonées » ou encore « bas carbone », comme tout développement industriel, c’est le développement d’une myriade de nouvelles nuisances pour le monde naturel, et c’est aussi le sujet d’un livre que je viens de publier il y a quelques semaines.
Malheureusement, le festival a été annulé sous la pression d’un groupe de militants soi-disant « queer-antifas », opposés à ma venue ainsi qu’à celle des camarades de PMO (Pièces et Main d’Œuvre).
Je comptais présenter le texte suivant lors du festival (une partie, du moins, j’ai profité de sa publication sous ce format pour l’augmenter).
—————————
À l’origine de l’invention de la cellule solaire photovoltaïque, on trouve le physicien français Edmond Becquerel, fils du physicien et polytechnicien Antoine Becquerel, officier du génie dans les campagnes d’Espagne et de France sous le Premier Empire. Edmond Becquerel réussit le concours d’entrée à l’École polytechnique en 1838. Il abandonne cependant ses études afin d’aider son père dans ses travaux à la chaire de physique appliquée aux sciences naturelles du Muséum national d’histoire naturelle. En 1839, Edmond Becquerel découvre l’« effet photovoltaïque », qui désigne la capacité qu’ont certains matériaux de convertir directement les composantes de la lumière (et non de la chaleur) du soleil en électricité.
Edmond Becquerel préside la Société d’encouragement pour l’industrie nationale de 1864 à 1888. Cette Société, qui existe encore aujourd’hui, a été fondée en 1801 à l’initiative d’un groupe de savants, hauts fonctionnaires, experts techniques, banquiers, entrepreneurs, réunis autour de l’industriel Jean-Antoine Chaptal, alors ministre de l’Intérieur de Napoléon Bonaparte, dans le but de d’encourager le développement industriel.
Becquerel incarne la consubstantialité qui existe entre l’État, le capital, la science, l’industrie.
Dans les années 1860, le mathématicien français Augustin Mouchot, inspiré par les découvertes d’Edmond Becquerel, commence à déposer des brevets de moteurs solaires. Dans un livre intitulé La chaleur solaire et ses applications industrielles, publié en 1869, Mouchot anticipe l’épuisement prévisible des combustibles fossiles et le besoin qu’aura l’industrie, plusieurs décennies dans le futur, d’utiliser d’autres sources d’énergie, dont l’énergie solaire. Il écrit :
« Si, dans nos climat, l’industrie peut se passer de l’emploi direct de la chaleur solaire, il arrivera nécessairement un jour où, faute de combustible, elle sera bien forcée de revenir au travail des autres agents naturels. Que les dépôts de houille et de pétrole lui fournissent longtemps encore leur énorme puissance calorifique, nous n’en doutons pas. Mais ces dépôts s’épuiseront […]. »
Comme le titre de son livre l’indique, Mouchot envisage d’utiliser l’énergie solaire sous sa forme calorifique. En 1866, il invente le premier moteur solaire composé d’un réflecteur parabolique et d’une chaudière cylindrique en verre qui alimentent une petite machine à vapeur. Cette machine impressionne Napoléon III. En 1877, le Ministère de l’Instruction publique confie à Mouchot une mission en Algérie. Il s’agit d’expérimenter des appareils susceptibles d’accompagner l’exploitation du territoire colonisé. Mouchot réalise ainsi plusieurs appareils alimentés à l’énergie solaire : appareils à vapeur alimentant par exemple des pompes, des coupe-racines, un moulin ou encore une batteuse. Par la suite, Mouchot tentera de fabriquer des appareils capables de produire de l’électricité à partir de la chaleur solaire.
Dans le numéro du journal La Presse en date du 13 mai 1885, un article pose la question suivante : « Quand nous aurons épuisé nos provisions de houille, qu’adviendra-t-il de l’industrie et pour combien de temps en avons-nous encore ? » En guise de réponse, il rapporte le contenu d’une conférence faite à la Société industrielle d’Amiens :
« En résumé, il […] paraît probable que l’âge de la houille durera encore cinq ou six siècles. Quand ce délai, relativement court, sera écoulé, il faudra probablement recourir à l’énergie solaire, soit en recueillant directement la chaleur du soleil, soit en utilisant plus complètement qu’on ne le fait aujourd’hui la force du vent et celle des cours d’eau. […] Dès que le charbon deviendra rare, et par conséquent cher, nos arrière-petits-neveux s’ingénieront pour le remplacer. C’est très probablement au soleil qu’ils devront s’adresser, car c’est de lui que nous vient presque toute l’énergie dont nous disposons, sous les formes les plus variées : force vive, chaleur, lumière ou électricité. »
En 1890, l’ingénieur français Charles Tellier publie La Conquête pacifique de l’Afrique Occidental par le soleil, un livre dans lequel il propose d’utiliser l’énergie solaire pour coloniser et civiliser l’Afrique. Tellier estime que : « Dans le partage hâtif qui se fait ainsi du sol africain, la France a droit, entre toutes les nations, et par acte de justice, à la meilleure part. » Il affirme que dans la conquête de l’Afrique, « le Soleil nous donnera le moyen de remplacer le charbon, le bois, les chevaux et de naviguer gratuitement ». Il envisage aussi d’utiliser l’énergie du soleil pour les travaux agricoles, pour pomper de l’eau et produire de la lumière. Ainsi, l’énergie solaire, « deviendra l’auxiliaire le plus précieux de la civilisation, que la France a mission de faire naitre en ces contrées ».
En 1897, dans un discours prononcé à la Société astronomique de France, l’astronome Jules Janssen affirme que « quand nous voudrons nous adresser à l’énergie solaire, nous aurons là une source immense de force à mettre au service des besoins de la civilisation ».
La première cellule solaire photovoltaïque, conçue à base de sélénium, est construite par un ingénieur états-unien, Charles Fritts, en 1883. Aux États-Unis aussi, dès la fin du XIXe et le début du XXe siècle, des ingénieurs et des scientifiques tentent de concevoir des moyens d’utiliser l’énergie solaire, y compris photovoltaïque, pour alimenter le système techno-industriel. Parmi eux, plusieurs sont conscients du caractère limité des stocks de combustibles fossiles, et de leur épuisement à venir. Ils considèrent donc l’énergie solaire comme l’avenir de la civilisation industrielle (qu’ils assimilent, évidemment, à l’humanité, selon la téléologie progressiste habituelle).
En 1908, un ingénieur états-unien, Frank Shuman, conçoit un système de miroirs qui chauffent de l’eau pour produire de l’énergie. En 1912, avec le soutien d’investisseurs britanniques, Shuman construit la première centrale solaire thermique au monde à Maadi, en Égypte. Les puissances coloniales d’Europe occidentale saluent les travaux de Shuman et les immenses profits que laisse entrevoir l’usage de l’énergie solaire en Afrique. Le maréchal britannique Lord Kitchener offre à la Sun Power Company de Shuman une plantation de coton de 30 000 acres au Soudan britannique pour y tester l’irrigation à l’énergie solaire. Peu avant le début de la Première guerre mondiale, le gouvernement allemand propose à Shuman d’intervenir lors d’une session spéciale du Reichstag, un honneur jamais accordé à un inventeur. Shuman y décrit les fantastiques possibilités de l’énergie solaire en montrant des films de l’usine de Maadi en fonctionnement. Impressionnés, les gouvernants allemands offrent à Shuman deux cent mille dollars en deutsche marks pour la construction d’une centrale solaire dans le sud-ouest de l’Afrique allemande.
Le projet tombe à l’eau à cause du déclenchement de la Première guerre mondiale. Les deux guerres mondiales freinent beaucoup le développement de l’exploitation industrielle de l’énergie solaire, en favorisant plutôt un vif essor de l’utilisation des combustibles fossiles. Puis de l’énergie nucléaire. On observe cependant, durant cette période, un développement notable de l’utilisation industrielle de l’énergie solaire comme moyen de chauffage de l’eau, notamment aux Etats-Unis. Des industries de chauffage solaire de l’eau se développent aussi dans des régions du monde ensoleillées où les combustibles fossiles font défaut. En Israël et au Japon dans les années 1950 et 1960, par exemple, ou dans certaines régions d’Afrique du Sud et d’Australie.
En 1931, après avoir construit un module photovoltaïque également à base de sélénium, Bruno Lange, un scientifique allemand, prédit que « dans un avenir assez proche, d’immenses usines utiliseront des milliers de ces plaques pour transformer la lumière du soleil en énergie électrique […] qui pourra concurrencer les générateurs hydroélectriques et à vapeur pour faire fonctionner les usines et éclairer les maisons ». Mais les performances du module de Lange ne sont pas meilleures que celles de celui de Fritts, conçu près de 50 ans auparavant, puisqu’il converti en électricité moins de 1 % de la lumière solaire qu’il reçoit.
Le 22 août 1940, un journal marseillais publie un article intitulé « La houille d’or », avec pour sous-titre : « Source inépuisable d’énergie, la chaleur du soleil pourrait actionner des moteurs ». Le numéro du 20 octobre 1949 du Nouvelliste de la Guadeloupe explique qu’il s’agit « simplement de savoir dans quelles conditions la substitution de l’énergie solaire aux sources d’énergies ordinaires serait rentable et ne grèverait pas les prix de revient des produits industriels ». Le 15 septembre 1950, l’hebdomadaire socialiste Le Populaire publie un texte intitulé « Nourrir les machines, c’est encore nourrir les hommes », qui affirme :
« Aujourd’hui, dans presque tous les pays, des savants cherchent à tirer le meilleur parti possible de toutes les sources d’énergie, qu’elles soient nouvelles ou anciennes : hydraulique, éolienne, marémotrice, toutes tributaires du soleil. Mais les recherches les plus importantes sont celles qui ont trait à l’utilisation directe de l’énergie solaire, dont les possibilités sont immenses. »
L’article rapporte les propos d’un thermodynamicien britannique, F.-E. Simon, selon lequel « l’énergie solaire promet de devenir l’une des principales sources d’énergie de l’avenir. Le jour viendra où elle remplacera les carburants devenus rares et ceux dont l’extraction est difficile. » Toutes ces recherches, lit-on en conclusion, visent à faire en sorte que « le développement de l’humanité ne soit jamais entravé par une pénurie d’énergie ». Bien sûr, par « le développement de l’humanité », il faut comprendre « le développement de la civilisation industrielle ».
Dans les années 1950, aux Etats-Unis, des scientifiques découvrent que l’utilisation de silicium permet de produire des panneaux solaires photovoltaïques dotés d’un bien meilleur rendement. La presse célèbre cette découverte. En 1954, un article intitulé « Carburant illimité » publié par le magazine U.S. News & World Report affirme : « Les bandes [de silicium] pourraient fournir plus d’énergie que tout le charbon, le pétrole et l’uranium du monde […] Les ingénieurs rêvent de centrales électriques à bandes de silicium . » Quelques semaines auparavant, le New York Times avançait que l’utilisation du silicium pourrait « marquer le début d’une nouvelle ère, conduisant finalement à la réalisation de l’un des rêves les plus chers de l’homme – l’exploitation de l’énergie presque illimitée du soleil pour les besoins de la civilisation . » Comme le montre un rapport de Newsweek paru en 1955, beaucoup s’imaginaient avec enthousiasme que le solaire photovoltaïque allait devenir un « concurrent de l’énergie atomique ». (Si les tendances actuelles se poursuivent, dans quelques années, au niveau mondial, le photovoltaïque produira effectivement davantage d’énergie que le nucléaire.) Car durant les années 50, aux Etats-Unis, on observe aussi le développement du programme Atoms for Peace (« Des atomes pour la paix »), dans lequel beaucoup d’industriels place de grands espoirs, et qui participe à entraver le développement du solaire photovoltaïque.
Mais fort heureusement (pour ses promoteurs), le développement du système industriel a produit un besoin que le photovoltaïque était particulièrement à même de combler : l’alimentation en énergie des satellites. En 1958, un grand ponte de l’armée des Etats-Unis, le contre-amiral Rawson Bennett, affirme que « l’importance de l’énergie [solaire] réside dans le fait que les satellites jouent un rôle important dans la guerre ». La même année, le scientifique soviétique Evgueni Fiodorov prédit que les modules solaires « deviendront à terme la principale source d’énergie dans l’espace ». Les événements lui ont donné raison. Comme on peut le lire dans un rapport du Conseil national de la recherche des États-Unis publié au début des années 1970, la cellule solaire photovoltaïque constitue « l’un des dispositifs les plus importants du programme spatial », car elle « s’est avérée la seule source d’énergie pratique » pour un grand nombre de satellites . Pour prendre un exemple connu et récent, les satellites de Starlink, la compagnie d’Elon Musk, sont alimentés en énergie par des panneaux solaires photovoltaïques.
Les besoins importants en cellules solaires de l’industrie militaire ont donc ouvert un marché relativement important pour les entreprises qui les fabriquaient. D’après le physicien états-unien Joseph Loferski : « À elles seules, sur le plan commercial, [les cellules photovoltaïques] n’auraient abouti à rien . » Et comme l’a affirmé le scientifique états-unien Martin Wolf, spécialiste du photovoltaïque, à l’écrivain John Perlin, « le début de l’ère spatiale a été le salut de l’industrie de la cellule solaire ».
(Je fais volontairement l’impasse sur les jeux de pouvoir et les compétitions entre intérêts financiers, entre industriels, qui ont freiné le développement du photovoltaïque à divers moments et à divers endroits. De tels phénomènes sont attendus dans le capitalisme, et ne changent pas grand-chose aux dynamiques générales à l’œuvre.)
Tout ça nous montre assez nettement que l’histoire du développement du photovoltaïque (et d’autres formes industrielles d’exploitation de l’énergie solaire) est loin d’être animée par des préoccupations écologistes. Elle est imbriquée dans l’expansion technoscientifique du capitalisme industriel. Le développement du photovoltaïque répond aux besoins du système techno-industriel. Au départ, on cherche à le développer pour la même raison qu’on cherche à développer l’emploi des combustibles fossiles, le nucléaire et toutes les manières possibles de produire de l’énergie : il s’agit simplement d’alimenter le développement de la civilisation industrielle, du techno-monde, du monde des machines. En outre, bien souvent, et à l’instar d’autres sources d’énergies, le photovoltaïque est perçu comme un moyen de remédier au problème de l’épuisement à venir des combustibles fossiles. Les espérances placées dans le développement du photovoltaïque s’inscrivent couramment dans le cadre de la quête d’une énergie infinie, illimitée, qui accompagne la civilisation industrielle depuis ses débuts.
Ce champ est nécessaire.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*