Un nouveau site sur la question de la nécessité d’une Constituante vient d’être rendu public ce 12 juillet 2024. Il s’agit, selon les initiateurs, de répondre à la crise institutionnelle de la Vème République par une réponse institutionnelle, donc de poser la question de la nécessité d’une Constituante.
Une première remarque, le texte disponible à l’URL suivante – https://constituante2024.fr/petition/ a été élaborée par « 500 citoyennes et citoyens », mais aucune liste des premiers signataires n’est révélée au public. C’est la première des choses qu’un citoyen responsable consulte lorsqu’il reçoit une pétition à contresigner. A l’heure qu’il est, la pétition revendique 44800 citoyens et citoyennes qui auraient apposé leur signature sans connaître la liste des premiers signataires. C’est le premier problème qui pose d’emblée une suspicion sur l’initiative. Une constituante masquée ?
Le texte rappelle, dans l’impossibilité actuelle « de voir émerger un gouvernement stable », le point suivant :
« La situation actuelle démontre que la Constitution de la Vᵉ République, élaborée dans le cadre d’un contexte de guerre civile, n’est plus adaptée à l’espace politique morcelé que nous connaissons aujourd’hui. Elle avait été élaborée dans l’intention de répondre à l’instabilité politique par un déséquilibre des pouvoirs en faveur de l’exécutif. Elle aura effectivement mené à une concentration du pouvoir entre les mains d’un seul individu, dont l’article 49-3 est le symbole le plus vibrant. Sans pour autant être capable, à ce jour, de garantir la stabilité des institutions. »
La crise institutionnelle n’est que l’expression juridique des rapports sociaux et politiques, la relation antagonique entre un peuple et sa représentation. Si Constituante il doit y avoir dans la situation actuelle, elle procédera des rapports vivants entre la majorité populaire qui vit de la vente de sa force de travail, de la jeunesse, et qui a trouvé sa traduction politique dans le mouvement actuel pour le Nouveau Front Populaire et la survie de la Vème République sous Macron. Oui, il faut construire une République sociale, démocratique et laïque qui redonne au peuple sa souveraineté, l’exerçant par lui-même ou par ses représentants élus (comme l’indique toujours la première déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789).
De cela il n’est pas question dans cette pétition.
1) « Nous demandons que cette Assemblée constituante soit composée de citoyennes et de citoyens tirés au sort. » Ce premier point jette par-dessus bord la question de la souveraineté. Le tirage au sort est l’ouverture à tous les tripatouillages bureaucratiques. La Constituante de la grande révolution bourgeoise de 1789 s’appuie sur le mouvement des cahiers de doléances, mouvement concret d’un peuple entré en révolution qui finira par abolir le principe monarchique procédant du ciel vers la terre, pour lui substituer celui qui vient d’en bas et de sa propre souveraineté. Ce n’est pas une discussion d’historien. C’est actuel.
Marx expliquait déjà à propos de 1848 la dérive des gouvernants face aux « classes dangereuses » vers le bonapartisme. Dans le texte sur le coup d’Etat de 1851 il écrit ceci :
« …La concentration du pouvoir de l’exécutif entre les mains du prince Louis Napoléon Bonaparte est pour lui un marqueur de la nature de son régime : le bonapartisme s’est imposé en raison de l’incapacité des partis à s’accorder au Parlement sur les réponses susceptibles de contrer la république sociale exigée par le peuple en 1848. Louis Bonaparte est porté au pouvoir par le jeu des rivalités politiques et des intérêts différents des classes dominantes (grands industriels, propriétaires fonciers, banque) dont il constitue la force résultante – au sens donné par les lois de la physique d’une force unique obtenue par l’addition de plusieurs forces appliquées à un point donné. Bonaparte apparaît alors comme le « sauveur » qui s’élève au-dessus des luttes de classe. »
Charles De Gaulle, le général maurrassien fondateur expliquait :
« J’ai rétabli la monarchie en ma faveur mais après, il n’y aura personne qui s’imposera au pas.… Aussi convient-il d’instaurer un régime présidentiel… il faut que le président soit élu au suffrage universel : ainsi élu, il aura, quelles que soient ses qualités, quand même un semblant d’autorité et de pouvoir durant son mandat ». (1)
De Gaulle avait raison sur un point : les piètres qualités de ses derniers successeurs dans le crépuscule de la Vème République… Il y a effectivement tout un monde entre Macron rendant hommage au maréchal Pétain et le père fondateur !
Cette idée d’une constituante à partir de noms de citoyens tirés au sort porte une signature, celle de Jean Luc Mélenchon dans la période d’émergence du mouvement France Insoumise dans la transition politique qui va de la liquidation du Front de Gauche à France Insoumise. Nous avons été un certain nombre à récuser cette conception et à la caractériser comme une Constituante octroyée.
2) Le deuxième point est tout aussi contestable :[constituante] « Épaulée par des spécialistes reconnus par leurs pairs », il s’agit d’opposer le régime dit « des experts » en lieu et place de la démocratie représentative. Ce n’est pas très original avec la Vème République, son corps préfectoral, ses hauts fonctionnaires issus de l’ENA (École Nationale d’Administration), ses structures administratives visant à intégrer les syndicats à l’État, nous sommes dans le régime des experts. La réduction à la portion congrue de la démocratie et des libertés. L’horizon d’un régime néo-fasciste avec le Rassemblement National en embuscade aujourd’hui.
3) Prenons la photo qui sert d’illustration au site et placée en tête de mon article. Un gouvernement de transition gère les affaires courantes sous l’autorité du président de la République, Macron. Gérer les affaires courantes signifie continuer les contre-réformes en cours. Le président de la République, Macron bien sûr, convoque l’Assemblée Constituante. Les citoyens doivent se contenter d’ « irriguer par des contributions populaires recueillies sur une plateforme participative en ligne. »
Voilà le tour est joué. Il s’agit de placer la Vème République sous la tente à oxygène, d’en prolonger l’agonie. Pour reprendre la phrase du Guépard de Visconti à propos de la Révolution italienne après 1848 : « Il faut que tout change pour que rien ne change », plus exactement donner l’illusion que tout peut changer, afin que rien ne change. Ici, pour les premiers signataires non révélés, 2027 est l’horizon !
RD, 17-07-2024.
1) Cité par Claude Serfati dans son livre « L’Etat radicalisé, la France à l’ère de la mondialisation armée ». 2023
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