Profilage de la guerre mondiale, suite.

Par aplutsoc2 le 25 juillet 2024

Photo illustrant cet article : le ministre russe Kolokoltev atterrissant à New York le 26 juin dernier.

Voici une semaine, tout en soulignant l’instabilité sociale et politique fondamentale, sous des formes propres, de chacune des trois principales puissances impérialistes, Etats-Unis, Chine et Russie, ainsi que l’indétermination des alliances notamment dans le cas de l’Inde ou de la Turquie, j’écrivais qu’il « est aujourd’hui assez facile de voir se dessiner les éléments d’une guerre inter-impérialiste mondiale entre un bloc euro-atlantique et un bloc eurasiatique. »

Ce premier article était écrit sous la tonalité du maintien calamiteux de la candidature Biden aux présidentielles nord-américaines. Dans ce cadre, la « pression populaire » pour un gouvernement répondant aux aspirations majoritaires, à Paris et à Londres, et la résistance ukrainienne, étaient signalées comme ayant un rôle central à jouer.

Aux Etats-Unis.

Le 21 juillet, Biden a jeté l’éponge. Ce qui apparaissait comme une évidence à tout commentateur sérieux depuis longtemps n’était pourtant pas si évident et aura trainé pendant des mois en raison de la résistance de l’appareil démocrate, verrouillé sur le choix initial et craignant de se diviser en cas de retournement. Mais comme celui-ci s’est imposé pratiquement comme une urgence médicale et humanitaire, son remplacement par Kamala Harris, partie tout de suite en campagne, semble acquis. C’est un mauvais coup pour Trump, malgré son oreille de pseudo-miraculé, d’avoir face à lui une femme, « de couleur », et juriste – et c’est aussi un symbole non négligeable d’affirmation de la place des femmes. Quant aux « antisionistes », il leur sera difficile voire impossible de lancer une formule analogue à « Génocide Joe » envers K. Harris. L’issue apparaît à nouveau ouverte.

Le bruit fait par la tentative d’assassinat contre Trump, puis par le retrait de Biden, a couvert un autre évènement : le changement de discours de Trump à propos de la Chine lors de la convention républicaine de Milwaukee, d’autant plus frappant que sur tout le reste Trump est dans la continuité aggravée de Trump. Il a affirmé qu’il n’y a pas à défendre Taiwan en cas d’attaque chinoise, vu que les Etats-Unis se sont comportés comme une agence d’assurance avec Taiwan qui ne leur a rien payé en retour mais a localisé sur son territoire l’essentiel de la production mondiale de semi-conducteurs. Cet argument des semi-conducteurs est réversible, certes (il pourrait justifier une guerre !), mais un Trump « munichois » envers la Chine aurait-il remplacé le Trump belliqueux ?

Gaza et Xin Jiang.

D’autre part, le premier acte diplomatique fort de Kamala Harris candidate est un « non-acte » : ce 24 juillet, elle n’a pas été présente au Congrès lors de la visite de Benjamin Netanyahou, sa première sortie d’Israël depuis le 7 octobre 2023, officiellement parce qu’elle a dû être à Philadelphie à l’invitation d’une « sororité » afro-américaine. Cette visite est boycottée ouvertement par de nombreux élus démocrates, dont B. Sanders et A. Ocasio-Cortez. Netanyahou doit rencontrer Harris ce jeudi ; elle a annoncé qu’elle lui rappellerait le droit à « l’autodétermination » des Palestiniens. Mais pour finir, c’est Trump que Netanyahou a prévu de rencontrer. S’il est probable qu’il tente aussi de réactiver ses soutiens de plus en plus embarrassés chez les Démocrates, il est peu probable que ceux-ci aient les moyens de mettre en cause la candidature de Harris : comme Poutine et avec lui, la droite et l’extrême-droite israéliennes misent sur Trump et ses soutiens évangélistes.

Dans son discours au Congrès, Netanyahou a défini la guerre actuelle comme étant « non pas un choc de civilisation », mais « un choc entre la barbarie et la civilisation », la barbarie étant incarnée par l’Iran et la civilisation par « les Etats-Unis, Israël et nos amis arabes ». On notera l’« oubli » de l’Europe dans « la civilisation » et l’inclusion des dictatures et monarchies sunnites. Et, surtout et bien entendu, le déni de toute existence et de toute agentivité propre de la nation palestinienne. Pour ce faire, le Hamas reste le meilleur atout de Netanyahou. Autre atout en ce sens, les Houthis, parvenus à envoyer un drone à Tel-Aviv ; Israël a riposté par le bombardement d’Hodeïda au Yémen :  rien de tout cela ne présente le moindre intérêt pour la cause palestinienne, au contraire.

Netanyahou prétend faire de Gaza un territoire « démilitarisé et déradicalisé » et en même temps obtenir la libération des otages du Hamas, on ne sait comment. Cette phraséologie ne couvre que l’impasse : poursuivre à tout prix les massacres, détruire Gaza, coloniser toute la Cisjordanie.

Pendant ce temps, la Chine, que la provocation pogromiste du Hamas le 7 octobre, supervisée par l’Iran et couverte par la Russie, avait court-circuité, a largement repris l’initiative dans la région. Le 23 juillet, sous le patronage actif du ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, un « accord d’unité nationale » a été signé par les représentants du Hamas et du Fatah, et 12 autres organisations palestiniennes dont le Jihad islamique, le FPLP, le FDLP, et l’Initiative Nationale Palestinienne. Hamas et Fatah et les autres organisations derrière eux annoncent vouloir former, une fois un cessez-le-feu réalisé, un gouvernement commun à Gaza et à la Cisjordanie.

Le gouvernement israélien proteste, bien entendu, en rappelant les pogroms du Hamas et la théorie selon laquelle rien n’est possible hors la destruction du Hamas. A ceci près que cette destruction est irréalisable par Israël, qui ne fait « que » détruire Gaza, et qu’en réalité la perpétuation du Hamas arrange bien Netanyahou.

Du point de vue du peuple palestinien, cet accord ne constitue pas un point d’appui à sa résistance et à sa lutte pour ses droits démocratiques et nationaux. C’est une union sacrée par laquelle Hamas et Fatah, tous deux discrédités et perçus comme criminel pour l’un, traitre pour l’autre, voire les deux, et répressifs tous deux, tentent de rendre éternel leur monopole de la représentation d’une nation qu’ils représentent de moins en moins.

Le jour même où cet accord était signé, l’Organisation de Coopération de Shanghai, démarrait des « exercices conjoints en situation de lutte contre le terrorisme » au Xin Jiang, dénommé « Interaction 2024 » selon une annonce du ministère chinois de la Sécurité publique. Ce fait, peu souligné par la presse, a une très grande importance. L’OSC comprend avec la Chine, la Russie, la Biélorussie, l’Inde, le Pakistan, l’Iran, le Kazakhstan, la Kirghizie et le Tadjikistan : tous cautionnent donc des « exercices conjoints » au Xin Jiang, au minimum par l’envoi d’observateurs, tous cautionnent donc, Modi le premier, l’apartheid et l’écrasement de la nation Ouïgoure par ce qui est présenté comme une belle affirmation de la « multipolarité » : multipolarité impérialiste et génocidaire !

Ukraine : le « plan de paix » se précise.

Dans l’activisme diplomatique récent, après la « tournée » d’Orban de Poutine en Xi Jinping et de Xi Jinping en Trump, le thème d’une « négociation de paix » sur l’Ukraine, présent en coulisses depuis des mois, s’est fait un peu plus bruyant, le président ukrainien Zelenski ayant annoncé souhaiter que, cette fois-ci, la Russie soit invitée à une prochaine conférence internationale, et ayant envoyé son ministre des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, en Chine, juste après que le sommet de l’OTAN ait désigné (avec l’accord de l’Ukraine) la Chine comme la cause principale de la prolongation de la guerre russe contre l’Ukraine.

On ne saurait juger ces initiatives diplomatiques du gouvernement ukrainien, qui a tout à fait le droit de les prendre. Elles sont, cela étant dit, conditionnées par l’épuisement : l’énergie de la nation ukrainienne est consumée par la guerre, la tenue du front, les bombardements, les coupures d’eau et d’électricité, et affaiblie par la politique ultra-libérale de ce gouvernement, contre-productive au plan militaire. Ainsi, Vitaly Dudyn, avocat et militant du Sotsialny Rukh, communique ces seuls deux derniers jours, que la direction d’un centre d’accueil pour enfants handicapés à K’yiv baisse les salaires et cherche à humilier le personnel, et qu’un centre anti-cancer à Zaporijjia et un Centre de soins à Pryluky, près de Chernihiv, sont menacés de fermeture …

Les soldats et soldates ukrainiens ont inventé en matière militaire et technique, résistant sans aviation ni artillerie suffisante, bricolant des drones pour essayer de bloquer les ravages des bombes rasantes russes. Les fourmis de l’arrière, dont des centaines de milliers de femmes de la classe ouvrière comme celle que rencontre Daria Saburova dans son livre Travailleuses de la résistance, ont tout autant innové en assurant nourriture et entretien des combattants, des habitants proches de la ligne de front, des réfugiés, et en se substituant aux services publics détruits. Seule cette formidable poussée d’en bas a tenu Poutine en échec et le fait trembler. Mais, encadrée par un Etat qui la dessaisit de ses propres initiatives et sabote la situation à l’arrière par sa politique, et chichement armée par les Etats américain et européens qui veulent bien que l’Ukraine tienne mais pas qu’elle contre-attaque, elle fatigue.

Ce constat n’est pas contredit par le fait que la flotte russe et ses bases navales en Crimée et en mer d’Azov sont totalement déstructurées par les attaques de « drones kamikazes » ukrainiens. Olekxandr Syrsky, général en chef ayant remplacé V. Zaluznyi (à présent ambassadeur à Londres) l’automne dernier, dans sa première interview à la presse étrangère depuis sa prise de fonction, ce mercredi 24 dans le Guardian, s’appuie sur le « qualitatif » technique et humain pour affirmer que la Crimée sera reprise et dire : « Je sais que nous gagnerons   – et comment. » Mais dans le détail, ses propos confirment l’écrasante supériorité quantitative en matériel et en hommes, déployée à un prix élevé, de la Russie. En fait, l’épuisement physique de l’Ukraine et l’effondrement des structures russes en mer d’Azov sont conjoints.

Les 26-27 juin derniers, mais l’information n’est vraiment diffusée que ces derniers jours, le ministre de l’Intérieur russe, Kolokoltsev, bien qu’officiellement ciblé par des sanctions américaines et européennes, a pu se rendre à New York à un sommet des chefs de police des Nations Unies, et a communiqué aux Américains le détail d’une paix possible selon Poutine. Tout le Donbass serait évacué par l’Ukraine, mais le Sud du Dnipro à la mer lui serait restitué (il n’est pas précisé jusqu’où irait ce « Sud » vers l’Est, vers Marioupol), sous condition d’une démilitarisation, la Crimée démilitarisée passant sous contrôle russo-ukrainien. L’Ukraine ne doit pas adhérer à l’OTAN mais peut entrer dans l’UE.

Remarquons que ce « plan » ressemble beaucoup, en dehors de la délimitation des zones occupées ou libérées et donc des frontières, à ce qui avait été temporairement envisagé peu après l’invasion généralisée de février 2022, y compris la possibilité pour l’Ukraine d’entrer dans l’UE mais pas dans l’OTAN, selon des pseudos-révélations diffusées ce printemps depuis le think tank néoconservateur Rand corporation, et reprise en France – comme il se doit ! –  par le Monde Diplomatique.

Inacceptable du point de vue ukrainien et du point de vue démocratique, mais tenant compte du rapport de force qui se dessine à propos de la Crimée, ce « plan de paix » est en réalité un plan de mise en tutelle, l’Ukraine neutralisée et amputée cogérant la Crimée avec la Russie étant, à la manière dont le prévoyaient les accords de Minsk, soumise à l’influence russe et même, éventuellement, projetée dans l’UE comme cheval de Troie avec la Hongrie, le RN français, etc. L’impérialisme russe veut plus que jamais s’étendre vers l’ouest !

Munich mondial et lutte des classes.

Si nous considérons simultanément le « plan de paix » officieux de Poutine, et les propos de Trump à Milwaukee sur Taiwan, nous avons les éléments d’une sorte de « Munich » mondial. Rappelons qu’à Munich, les représentants des impérialismes rivaux, Chamberlain pour le Royaume-Uni, Daladier pour la France, Hitler pour l’Allemagne, Mussolini pour l’Italie, s’étaient entendus pour que Hitler prenne sa « part » de la Tchécoslovaquie, évitant ainsi la guerre immédiate et la différant, dans des conditions considérablement aggravées, d’une année. Le « Munich mondial », telle pourrait être désignée la politique de Trump, associée, sur le plan intérieur, à une offensive réactionnaire forcenée contre les femmes, les noirs, les syndicats, avec le déploiement probable de milices néofascistes. Mais nous pouvons lui donner un autre nom, plus « moderne » : multipolarité impérialiste.

Dans cette hypothèse théorique, la guerre mondiale en effet ne serait pas conjurée, mais les gains de la Russie en Ukraine et donc en Europe, et ceux de la Chine à Taiwan et donc en Asie-Pacifique, la rendraient à la fois plus probable à terme et plus terrible.

C’est donc, concluons à nouveau ainsi, plus que jamais l’intervention d’en bas qui peut la conjurer réellement. Aux Etats-Unis il faut battre Trump à la présidentielle, en votant Harris évidemment, sans que cela ne signifie aucun alignement politique sur le parti Démocrate. En France, l’affrontement démocratique et social que prépare rapidement la crise de régime participe complétement de cet enjeu mondial et peut en être un facteur actif positif si la pression populaire organisée contraint Macron à se soumettre ou se démettre et refoule le RN. L’action organisée pour reconstituer une solidarité internationaliste active, envers la résistance ukrainienne et envers la défense des droits nationaux et démocratiques des Palestiniens, associant les deux causes et brisant avec l’alignement campiste sur les impérialismes eurasiatiques et leurs alliés trumpistes ou lepénistes, doit s’affirmer de plus en plus, c’est indispensable. Enfin, saluons l’irruption de la jeunesse et du peuple bangladais, affrontant Etat, armée, police, milices, pour la démocratie et donc pour chasser le pouvoir exécutif en place !

VP, le 25/07/24.

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