Répression pour empêcher l’approvisionnement des « écureuils » de la Crem’arbre, en février 2024. – X / La Voie est Libre
La coordination anti-repression de l’A69, qui regroupe des collectifs d’opposants au projet d’autoroute, a comptabilisé les gardes à vue, poursuites et détentions subies par les militants. Des dizaines de procès sont à venir.
Des centaines de gardes à vue, 130 personnes poursuivies, 60 procès passés et à venir, 7 personnes placées en détention, 44 personnes sous contrôle judiciaire et 27 privées de territoire… C’est le bilan de la répression subie depuis le début des travaux de l’A69, en février 2023, par les opposants au projet. Un comptage établi par la coordination anti-rep (anti-répression) de l’autoroute (ARA), qui regroupe des collectifs menant la fronde, et publié dans un communiqué jeudi 8 août. Dans le détail, une personne a été condamnée et a purgé quatre mois de prison ferme, une autre six mois. Quatre militants ont écopé de six mois d’emprisonnement avec aménagement de peine, sous bracelet à domicile.
Parmi les militants recensés placés en garde à vue figure Geoffrey, professeur tarnais de 39 ans. « Ils cherchent à nous mettre la pression et à nous intimider », résume le membre de La Voie est libre (LVEL). Comme 9 autres militants de son collectif, d’Attac et du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA), il a été placé en garde à vue le 30 mai dernier pour « complicité de dégradation de biens » et « violence sur gendarmes » lors de la manifestation du 9 décembre 2023 contre des centrales à bitume. À cette occasion, une cabane de chantier a été incendiée et une voiture du constructeur de la future autoroute NGE a été dégradée. Ils ont tous été relâchés sans poursuites au bout de quelques heures.
« Ils m’ont traité comme un criminel, un terroriste »
Jérôme, 59 ans, faisait lui aussi partie de ce groupe de 10 militants. Un épisode de plus de « harcèlement judiciaire » pour le Tarnais, qui peinait déjà à se remettre d’une interpellation à son domicile, intervenue un mois auparavant. À 6h30, le 25 avril, il a été cueilli au réveil par les gendarmes à son domicile. « Violemment plaqué au sol » et « menotté dans le dos », le Castrais a été emmené « toutes sirènes hurlantes » à la gendarmerie d’Albi. « Ils m’ont traité comme un criminel, un terroriste. Je me suis même demandé s’ils ne s’étaient pas trompé de personne, car je n’ai jamais commis d’acte de violence », soupire Jérôme, encore secoué. Après l’interpellation, il a souffert d’une triple fracture au visage, qui lui a valu une opération, comme l’atteste un certificat médical.
Malgré son état, Jérôme a été interrogé. Poursuivi pour « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique », il a d’abord nié les faits au cours de l’audition, mais a fini par « cocher la case [admettant sa responsabilité], pour sortir au plus vite de cet enfer ». Il a été transféré au tribunal de Castres pour être jugé, toujours le 25 avril, en « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » et a, finalement, plaidé l’innocence.
Les faits qui lui ont alors été reprochés se seraient déroulés le 1er mars 2024, alors qu’il tentait de ravitailler les « écureuils », ces militants perchés dans les arbres menacés d’abattage, à Saïx. On l’aperçoit avec un sac de vivres, projeté au sol par un gendarme, dans une vidéo publiée par La Voie est Libre sur Instagram. Malgré la demande, adressée par le rapporteur spécial des Nations unies aux autorités françaises, d’autoriser « sans délai et sans entrave du ravitaillement en nourriture et en eau potable », dans un rapport publié trois jours plus tôt, les gendarmes ont empêché les militants d’accéder aux arbres.
Face au tribunal, Jérôme, « dans un état second », a de nouveau cédé face à « la menace d’une peine alourdie ». À l’issue d’un procès qu’il qualifie d’« expéditif », il a écopé de 10 mois de prison avec sursis probatoire de deux ans pour « violence sur personne dépositaire de l’autorité publique » qui aurait entraîné plus de huit jours d’incapacité totale de travail (ITT) pour un gendarme. Il a fait appel de sa condamnation et porté plainte pour « violence par personne dépositaire de l’autorité publique » au cours de son interpellation, qui lui a valu, en plus de son opération, 10 jours d’ITT.
« Vous pouvez faire passer le message : le parquet sera intransigeant »
« Quel que soit le combat que l’on mène, on doit respecter les forces de l’ordre. Vous pouvez repartir sur vos zad et faire passer le message : le parquet sera intransigeant », a lâché le procureur, le 12 février dernier, dans la salle d’audience du tribunal correctionnel de Castres où deux militants ont été condamnés après avoir défendu la zad de la Crem’arbre, quelques jours auparavant, face à des gendarmes. L’un à quatre mois de prison ferme sous bracelet pour des jets de projectile, l’autre à six mois de prison avec sursis pour avoir insulté les forces de l’ordre et s’être rebellé lors de son interpellation, rapporte France 3.
« C’est terrible de savoir la prison si proche », s’indigne Loup (qui souhaite rester anonyme), 24 ans, comptabilisée dans les militants condamnés. En février, elle était présente à l’arrivée de la centaine de gendarmes aux abords de la Crem’arbre. Elle y campait depuis la veille pour participer à la « Cabanade », événement festif en présence de l’activiste suédoise Greta Thunberg. Prise dans la cohue de l’affrontement, la militante a tenté de « fuir une charge des forces de l’ordre », mais a été interceptée et placée en garde à vue.
À la gendarmerie, l’étudiante en sociologie politique a appris qu’elle était poursuivie pour « violence » sur un gendarme « sans incapacité ». On la soupçonne d’avoir lancé des cailloux sur les gendarmes. Il lui est interdit de se rendre dans le Tarn et la Haute-Garonne jusqu’à son procès, fixé le 15 mai. D’ici là, la Béarnaise qui venait de recevoir une promesse d’embauche à Toulouse, devait mettre ses projets personnels entre parenthèses. Elle a été placée sous contrôle judiciaire, contrainte de pointer au commissariat chaque semaine.
« Je ressens le poids d’un procès politique dont les enjeux me dépassent totalement »
Dans son dossier, « il n’y a rien d’autre que les deux dépositions de deux gendarmes qui disent m’avoir vue », assure Loup. « Je ressens le poids d’un procès politique dont les enjeux me dépassent totalement. La question ne portait pas sur les faits. Il ne s’agissait pas de déterminer si j’avais jeté des cailloux. J’étais forcément coupable parce que j’étais sur place. J’étais coupable d’être contre l’A69 », analyse la militante. Le verdict est tombé : un an de prison avec sursis et deux ans d’interdiction de paraître dans le Tarn. « Pour moi, ça veut dire : range-toi, arrête de militer », conclut la militante, qui a fait appel de la décision.
Une « méthode pour affaiblir la lutte »
Selon la coordination anti-rep de l’A69, qui détaille le traitement judiciaire des militants, le cas de Loup n’est pas isolé et trahit une « méthode » pour « affaiblir la lutte ». D’abord, « procéder à des “interpellations d’opportunité”, c’est-à-dire attraper des personnes aléatoirement ». Puis « imposer une garde à vue en prétextant un important délit prononcé sans preuve, tel que violences sur agents ». Dans les tribunaux, « la défense est très souvent méprisée dans des procédures judiciaires accélérées, et avec une présomption de culpabilité », estime l’ARA.
« Ils essayent de démotiver les militants », abonde Roxane, qui souhaite rester anonyme. Perchée dans son arbre de la Cal’arbre, sur le lieu-dit de Calarié, à Saïx, la militante de 22 ans a investi cette seconde zad dès sa création, en mars dernier, après avoir été interdite de territoire sur plusieurs communes traversées par le tracé de l’A69 pendant six mois pour avoir tenté de s’attacher à une abatteuse.
Occupation d’arbre qualifiée d’« opposition par voie de fait ou violence à l’exécution de travaux publics », « installation en réunion en vue d’y établir son habitation sur un terrain appartenant à autrui », refus de donner ses empreintes et son ADN… Les faits reprochés à la salariée agricole lui ont valu d’être convoquée à deux procès dans les mois à venir. « C’est lunaire, mais plus rien ne m’étonne », soupire Roxane.
« L’État veut montrer qu’il ne cédera pas »
À partir de la rentrée, « une quarantaine de procès sont à venir », annonce l’avocate de plusieurs militants opposés à l’A69, Claire Dujardin. Selon elle, tous les « écureuils » qui ont grimpé dans les arbres ou se sont attachés aux machines ont été placés sous contrôle judiciaire. L’opposition à ce projet défendu au plus haut niveau de l’État fait l’objet d’une « politique pénale particulière », d’après l’avocate.
« L’État veut montrer qu’il ne cédera pas », résume-t-elle. Cela passe, entre autres, par la « réponse pénale systématique et rapide » que souhaitait Éric Dupont-Moretti dans une circulaire du 9 novembre 2022, révélée par Mediapart. Le garde des Sceaux appelait à un « traitement judiciaire spécifique » des « infractions commises dans le cadre de contestations de projets d’aménagement du territoire ». Le message envoyé cinq mois avant le début des travaux de l’A69 a visiblement été reçu par les magistrats du Tarn. Contacté, le parquet de Castres ne nous a pas répondu.
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