«La Russie est envahie, et Poutine est caché dans son bunker»

People evacuated from fighting between Russian and Ukrainian forces queue to receive humanitarian aid at a distribution center in Kursk, Russia, Monday, Aug. 12, 2024. (AP Photo)

«La Russie est envahie, et Poutine est caché dans son bunker» : face à l’incursion ukrainienne, le mécontentement gronde dans la population russe

Guerre entre l’Ukraine et la Russiedossier

Depuis l’attaque dans l’oblast de Koursk, lancée le 6 août, la méfiance à l’égard du Kremlin et l’inquiétude grandissent parmi les habitants de la région, en compromettant le récit officiel d’une «guerre sous contrôle».

publié le 12 août 2024

Pour tout le monde, c’était une attaque inattendue. Le conflit, qui devait rester éloigné, a soudainement franchi les frontières russes, semant l’inquiétude parmi la population. Depuis l’incursion des forces ukrainiennes dans l’oblast de Koursk, dans le sud-ouest de la Russie, le 6 août, au moins 121 000 personnes sont parties ou ont été évacuées de la région. Cette attaque, qualifiée par Vladimir Poutine de «provocation majeure», a mis en évidence une divergence croissante entre la perception de la guerre qu’ont les Russes de la région et ce qu’en dit le gouvernement.

Dans les rues de Koursk, l’inquiétude est vive. «Nous sommes partis parce que la vie de nos enfants est trop précieuse pour rester là-bas», explique une mère de trois enfants, dans une vidéo publiée sur le réseau social russe VKontakte. Dans les commentaires, une internaute s’interroge : «Pourquoi Poutine n’a-t-il pas adressé un discours à la nation ? […] Quels sont les délais et les plans pour reprendre le contrôle de la situation et rouvrir les écoles le 1er septembre [date de rentrée scolaire en Russie, ndlr] ?» «Cette attaque a été une surprise totale», écrit un autre. Si la peur et la désillusion prédominent chez les citoyens russes, Vladimir Pastukhov, politologue et chercheur russe associé à l’University College de Londres, observe un autre phénomène : «Ce qui m’inquiète, c’est de voir des gens complètement perdus, qui ont le sentiment d’avoir été abandonnés, analyse-t-il dans une interview sur la chaîne YouTube Khodorkovsky LiveMais je ne vois aucune lueur de réflexion dans leurs yeux. Ils ne relient pas leur situation désespérée à la guerre, encore moins au fait que cette guerre a été déclenchée par leur propre dirigeant.»

Compromettre le récit officiel

La réponse tardive et jugée insuffisante du Kremlin n’a fait qu’amplifier l’incertitude parmi la population. Sur X, un utilisateur s’indigne : «La Russie est maintenant envahie, et Poutine, caché dans son bunker, n’a même pas pris la peine de parler de ce qu’il s’est passé, qualifiant juste l’invasion de “provocation”.» Un autre internaute critique le président russe pour son manque supposé d’intérêt pour l’attaque : «Alors que les forces ukrainiennes ont capturé la moitié de l’oblast de Koursk, que le chef d’état-major a été pratiquement remplacé par le directeur du FSB [le service du renseignement intérieur], […] Poutine, lui, inaugure en grande pompe le “Forum international de l’armée 2024” et nous parle encore d’un “monde multipolaire” que la Russie est censée construire.» Le forum militaro-technique cité est un salon annuel et international de l’industrie de l’armement qui accueille cette année, dans la région de Moscou, plus de 120 entreprises internationales.

Les critiques émanent aussi des cercles ultra-patriotes. Nombreux sont ceux qui reprochent aux autorités russes d’avoir préféré instaurer un régime «antiterroriste» dans les régions de Koursk, Briansk et Belgorod, plutôt que de déclarer officiellement la guerre. Les blogueurs militaires et autres observateurs russes estiment que cela aurait permis aux autorités d’adopter des mesures plus radicales, telles que l’interdiction des manifestations, un couvre-feu, ou encore la mobilisation de la production industrielle à des fins militaires. Mais le Kremlin a opté pour une approche plus limitée. L’Institut pour l’étude de la guerre, un groupe de réflexion basé aux Etats-Unis, a émis l’hypothèse que ce choix visait à minimiser l’ampleur de l’invasion aux yeux du public et à limiter les réactions négatives. Selon le média russe indépendant VerstkaPoutine aurait évité d’utiliser une terminologie militaire lors d’une réunion avec le gouverneur par intérim de Koursk, Alexeï Smirnov, le 8 août.

Malgré la répression de toute opposition et la main de fer de Poutine sur la Russie, les récentes attaques de Koursk menacent de compromettre le récit officiel d’une «guerre sous contrôle», observe le journal américain The Hill. Selon Alena Kudzko, experte au sein du groupe de réflexion Globsec, la situation pourrait accroître la pression sur le Kremlin : «Il y aura davantage de mécontentement parmi la population à l’égard du gouvernementMême ceux qui, en principe, soutiennent la guerre, ne seront pas satisfaits des conséquences du conflit sur leur quotidien.»

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