Lors des premières assemblées d’adhérents de « l’Après » tenues en visio en plein été, ce sont des centaines et des centaines de militantes et de militants qui se sont manifestés, dont beaucoup, issus de LFI, avaient d’accablantes histoires de refus de toute démocratie, de calomnies, de méthodes violentes, à raconter. D’où, parmi elles et eux, la volonté très ferme de ne plus connaître cela, combinée à un attachement légitime à ce pour quoi ils avaient à l’origine adhéré à LFI. Et, souvent, un désir de ne pas revenir sur ce moment, pourtant plus qu’un épisode.
Ceci est pourtant indispensable, non seulement parce que le problème de LFI n’est pas réglé – il est plus aigüe que jamais – mais parce que la contradiction entre l’aspiration émancipatrice que l’on veut au cœur d’un engagement militant et la pratique de la haine de la démocratie entre militants doit être interrogée – et résolue. Il est compréhensible de vouloir tourner dans l’immédiat le dos à un passé trop présent, mais le deuil ne sera fait, et plus important, l’efficacité politique ne sera pleine et entière, que par un retour sur les tenants et aboutissants de cette terrible contradiction.
Pour les médias, et aussi pour la droite, extrême ou non, pour Macron et les courants issus de son pouvoir, et pour certains courants qui se veulent « social-démocrates », LFI est « d’extrême-gauche ». Rien n’est plus faux et, sur des questions fondamentales – celles du pouvoir et du régime en France, les questions politiques les plus concrètes -, LFI est plus à droite que bien des « social-démocrates » et autres réformistes mous.
Les courants d’ « extrême-gauche », à commencer par les deux NPA, partagent cette représentation idéologico-médiatique dominante à ceci près qu’elle est pour eux positive : ils prennent LFI pour un courant se situant à la gauche du PS et du PCF, « réformiste de gauche », « centriste de gauche » comme disait Trotsky de Marceau Pivert, « gauche de rupture », « gauche radicale », « gauche antilibérale » …
Tout en se voulant non seulement « radicaux » mais « révolutionnaires », non seulement « antilibéraux» mais « anticapitalistes », ils trouvent que c’est vraiment déjà un gros progrès que d’être « de rupture », « radical » et « antilibéral ».
Pourtant, J.L. Mélenchon lui-même, tel qu’en lui-même il veut être, n’est pas de gauche : il est le Chef d’un Peuple en construction. Ce noyau idéologique, adopté vers 2015, n’a pas varié.
De manière caractéristique, le NPA-l’Anticapitaliste voulait faire liste commune aux Européennes avec LFI et a été éconduit à cause de son soutien à la cause ukrainienne, mais a voulu croire que ce n’était là qu’un prétexte. Il s’est vu offrir par LFI l’investiture de la candidature de Philippe Poutou aux législatives -mais dans une circonscription perdue d’avance, où il a d’ailleurs mené une belle bataille. Il a hésité et pas vraiment tranché dans la pratique sur qui soutenir aux législatives là où LFI a tenté de battre ses anciens députés exclus et calomniés. La création de l’Après l’interroge : avoir des relations avec ce nouveau mouvement ne risque-t-il pas de vexer LFI ? Car LFI et son Chef sont très irritables, comme chacun sait !
Ainsi, pendant que s’élaborait l’appel contre la répression exercée par Maduro au Venezuela, certains se demandaient s’il ne fallait pas attendre, sans les irriter, que les dirigeants de LFI, et donc « LE » dirigeant, veuillent bien se prononcer, ou être atteint par la missive implorante de tel ou tel membre de la cour. Ne pas les chatouiller dans l’espoir vain qu’ils pourraient défendre un tantinet la population contre la répression …
La question du populisme est occultée et ignorée : Mélenchon est toujours perçu comme l’ancien socialiste ayant rompu, alors qu’il a muté, vers 2015, de façon radicale. Mélenchon n’est ni Bernie Sanders, ni Jérémy Corbyn. Eux relèvent d’une histoire qui est celle des mouvements ouvriers, américain et britannique, avec leurs forces et surtout leurs faiblesses. Mélenchon a rompu, volontairement et de manière affirmée, avec la base de classe de son histoire. Et aussi, du coup, avec la démocratie.
Les mots, postures, formules convenues, looks, drapeaux et grigris, ont d’autant plus de poids dans cette imagerie sur une « gauche de rupture » que les vraies questions des grands mouvements sociaux, la manière dont les revendications et heurts réels, objectifs, inévitables, convergent ici et maintenant vers la question du pouvoir et de l’Etat, ne sont pas des sujets vivants pour la plupart des tenants des « idées révolutionnaires ». Telle est la racine de cette perception de LFI.
« La Palestine », thème favori de communion entre « extrême-gauche » et « gauche de rupture », illustre au mieux cela : son invocation est identitaire et n’apporte strictement rien à la cause palestinienne réelle. Jamais les massacres n’ont été aussi quotidiens à Gaza. Quelles actions concrètes pour stopper réellement cela, stopper les livraisons d’armes, imposer un cessez-le-feu, maintenant que Science-Po est en vacances scolaires et que Rima Hassan est députée européenne ?
Laquelle, censée incarner la « cause », apporte tout son soutien au régime algérien qui écrase les aspirations démocratiques de la nation algérienne, et séjournait en Syrie fin 2023, donc avec l’accord du régime syrien, qu’il faut bien appeler le pire régime d’extrême-droite du monde, y compris par le nombre de Palestiniens qu’il a torturés puis tués, qui n’a probablement dû être dépassé par Israël qu’après le 7 octobre 2023 …
En Seine-Saint-Denis, bastion électoral de LFI, le grand mouvement social du printemps 2024 n’a pourtant pas été cette communion identitaire sur « Gaza », mais la mobilisation populaire contre le « choc des savoirs » à l’école publique. Ce mouvement là ne saurait attendre une élection présidentielle : sa proche échéance est la rentrée.
C’est du point de vue des besoins et intérêts réels de la majorité prolétarienne, donc du point de vue de la lutte des classes et de la démocratie, que je vais revenir ici sur le bilan et l’histoire de LFI, en reprenant les principales idées de mes articles (liens ci-dessous) sur ce sujet de 2017, dont je crois pouvoir me permettre de dire qu’ils n’ont pas vieilli : il sera question successivement du populisme, du campisme, de la V° République, du ‘lambertisme », de quelques autres choses encore, et pour finir du plus important : la démocratie dans nos rangs.
7 juin 2017 : Quelques réflexions sur la « France insoumise ».
29 juillet 2017 : Quelques réflexions sur la « France insoumise », suite.
31 août 2017 : Du « populisme » d’après Laclau, Mouffe, Errejon.
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