Arguments pour la lutte sociale | Lire sur le blog ou le lecteur |
1 Le macronisme toujours en place est la convergence entre les néolibéraux et l’extrême droite. La Ve République fonctionne comme un dispositif d’ordre militaro-policier, contre-insurrectionnel, face aux luttes. En dissolvant l’Assemblée nationale le soir même des élections européennes, Macron assumait la possibilité d’une cohabitation avec le Rassemblement national (RN) comme un « moindre mal » par rapport à l’hypothèse d’une croissance de la gauche radicale, dans la rue et dans les institutions, en vue des élections présidentielles de 2027. La décision de dissoudre l’Assemblée nationale constitue la dernière étape de la dérive réactionnaire du macronisme. 2 En huit ans de gouvernement, Macron a multiplié les privatisations et l’austérité, l’injustice fiscale et la répression des mouvements sociaux. Le bloc présidentiel a aiguisé ses traits autoritaires et identitaires, poursuivant le projet de destruction des services publics. Dans le processus de démantèlement du système social français, Macron a opéré un virage à droite de plus en plus marqué, en suivant le fil rouge de la répression. Sur le fil de la sécurité, de la domination raciale et de la constitutionnalisation de l’état d’urgence sont nées la loi de sécurité globale et celle sur le prétendu « séparatisme », authentiques validations juridiques de l’islamophobie d’État. Ce glissement à droite du macronisme doit se comprendre en fonction des formidables cycles de mouvements qui s’y sont opposés : celui des Gilets Jaunes (entre 2018 et 2020), les grèves sociales contre la réforme des chemins de fer et celle des retraites (2018, 2020 et 2023) et la révolte des banlieues contre le racisme d’État (été 2023), auxquelles le macronisme a répondu en se transformant en un dispositif gouvernemental contre-insurrectionnel. L’ouverture potentielle de Macron à l’extrême droite n’est pas un coup de tonnerre. Sur le plan de la propagande politique, l’ouverture aux lepénistes d’extrême droite a été préparée par l’assimilation systématique de la gauche radicale au « communautarisme », de l’antiracisme à l’islamisme, du pacifisme à l’antisémitisme. . Cette dérive est couronnée par l’affaire parlementaire de la loi immigration : une loi non seulement approuvée grâce aux voix des députés d’extrême droite, mais même inspirée des propositions programmatiques du RN de Marine Le Pen (propositions déclarées inconstitutionnelles par le Conseil Constitutionnel). Dans le débat public, l’ouverture au lepénisme a d’ailleurs été favorisée par sa « normalisation » par les médias centristes et le soutien enthousiaste du géant médiatique qu’est le groupe Bolloré. 3. Le macronisme réactive l’actualité toujours latente de ses origines : le « coup d’État permanent ». Née dans le contexte de la guerre de libération de l’Algérie avec les « référendums constituants » de De Gaulle, la constitution française actuelle s’inspire de celle de la République de Weimar en ce qui concerne les pouvoirs présidentiels et les relations entre le Président et le Parlement. Déjà corrompu et affaibli par la succession de réformes néolibérales et sécuritaires promues par les présidences Sarkozy et Hollande, ce modèle de concertation, fondé sur une dure dialectique entre luttes sociales et médiations institutionnelles, est entré irréversiblement en crise avec Macron. La déstabilisation macronienne des arrangements constitutionnels s’est poursuivie par l’exaspération des traits les plus autoritaires et verticaux de la Cinquième République. L’utilisation continue et sans scrupule des dispositifs législatifs contournant le débat parlementaire (vote bloqué, art. 47.1, art. 49.3), le refus de toute médiation avec les corps intermédiaires, et en premier lieu avec le monde syndical, sans oublier les arrestations massives et les mutilations de manifestants lors des mobilisations les plus intenses, ont contribué à déterminer une profonde coupure entre le pouvoir et la société. L’effondrement de « l’arc républicain » – c’est-à-dire de la stratégie électorale qui, au cours des trente dernières années, a empêché le parti de Le Pen d’accéder au pouvoir – trouve sa genèse matérielle et symbolique dans cette spirale « post-libérale ». La crise des institutions de la Cinquième République s’accomplit avec le dérapage du pôle politique macronien et ouvre l’horizon d’une nouvelle stabilisation, d’un signe pleinement réactionnaire. Depuis 2017, la coalition menée par Macron représente un bloc hégémonique minoritaire paradoxal, c’est-à-dire un bloc choisi par les électeurs en l’absence d’alternatives, contre l’extrême droite et avec les taux de participation les plus bas de l’histoire de France. . Sa décomposition actuelle met à l’ordre du jour la conquête du pouvoir par le RN de Marine Le Pen, qui a désormais attiré dans son orbite une partie substantielle des politiciens et des électeurs républicains. La « cohabitation », pour l’instant virtuelle, entre Macron et un gouvernement dirigé par le RN est préfigurée par la fin du « front républicain » et son renversement progressif en un « front antipopulaire », luttant contre l’avancée des forces radicales et progressistes. 4. Le nouveau pacte social et politique sur lequel convergent les néolibéraux et les néofascistes est un pacte économique à connotation ethno-raciale. L’effritement de l’ « arc républicain » et la constitution d’un « arc anti-populaire » sont liés à la redéfinition du débat public suite au soulèvement antiraciste de l’été 2023 et à la guerre génocidaire menée par Israël à Gaza après les attaques du 7 octobre. Un front composé par des forces politiques diversifiées représente désormais la France comme une société traversée et désintégrée par un prétendu « choc des civilisations ». Il s’ensuit l’identification de la « laïcité », valeur fondatrice de la République, à son contraire spéculaire : l’islamophobie, la xénophobie et la chasse aux opposants. Dans le régime de guerre français, l’ennemi intérieur se superpose ainsi à l’ennemi extérieur et s’incarne dans le prétendu « islamo-gauchisme », contre lequel les commentateurs « modérés » et « conservateurs » s’insurgent à cause de son prétendu enracinement dans les banlieues et les universités. Ce concept est associé au « séparatisme » et au « communautarisme », utilisés pour désigner la prétendue non-intégration des communautés les plus précaires des quartiers populaires, hâtivement définies comme « musulmanes », aux valeurs et aux institutions de la République, ainsi que, plus récemment, à l’infâme accusation d’ « antisémitisme » – un terme qui, grâce à la propagande israélienne, englobe désormais toute critique du colonialisme sioniste. La possibilité d’un gouvernement à guide RN pourrait être consolidée par la convergence autour de cet appel commun à la loi et l’ordre racistes, sans aucunement miner, voire plutôt exacerber, l’agenda économique austéritaire et néolibéral. 5. Le cycle des luttes françaises de ces dernières années constitue la condition de possibilité du nouveau Front populaire (NFP) et peut garantir son ouverture au-delà des dynamiques électorales et institutionnelles. La naissance même du Nouveau Front Populaire est l’expression directe du formidable cycle de luttes françaises de ces dernières années, qui constitue sa condition de possibilité historique. L’alliance des différentes formations progressistes, mais aussi la radicalité de leur programme de coalition sont la preuve tangible de la stratification des luttes et des revendications des mouvements sociaux. Le « pacte de rupture » du NFP intègre explicitement de nombreuses revendications de ces mouvements : du RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne, demandé par les Gilets Jaunes) à l’abrogation de l’infâme article 49.3 (qui permet de légiférer »par décret ») ; de l’abolition de la réforme des retraites à la reconnaissance de l’État de Palestine ; de la dissolution de la BRAV-M (brigade anti-émeute à moto, protagoniste des violences policières) à un vaste projet de revitalisation des services publics, et en particulier des soins de santé. Les mouvements sociaux, avec les expériences tumultueuses de lutte de ces dernières années, s’invitent dans le processus de constitution du Front populaire, imposant également un changement profond sur des questions telles que l’antiracisme et l’écologie. Le programme, en d’autres termes, n’est pas seulement formulé par les centrales des partis : les éléments non négociables vivent dans les rues et les lieux de travail. 6. La place des luttes. Les revendications sociales se combinent aux exigences de fond :
Ce sont les luttes sociales qui expriment le moteur et la stratégie – comme le montrent les positions prises par LFI sur le racisme, la laïcité et l’islamophobie grâce aux exceptionnelles mobilisations de ces dernières années – tandis que l’articulation politique et les tactiques agissent comme un multiplicateur des mouvements. S’il veut résister à la réaction du bloc macroniste et du bloc lepéniste, le « pacte de rupture » du NFP et le pouvoir constituant qui l’accompagne doivent s’ancrer dans les lieux de vie et de travail, s’inscrire dans la durée. Il ne manquera pas de batailles exemplaires et d’événements imprévus auxquels réagir. C’est la tâche de l’intelligence collective qui s’est formée et qui se manifeste dans les luttes de préparer les instruments politiques et les formes d’organisation pour agir sur ces différentes temporalités. Contre le fascisme, contre la guerre, contre la convergence entre le pôle bourgeois et l’extrême droite, il y a un horizon de vie commune qu’ensemble nous devons consolider et affirmer. JG, août 2024. |
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