Le Conseil d’État annule le décret qui permettait la location de logements indignes

mediapart

Saisie par un collectif d’associations, l’institution a annulé un texte qui facilitait la vie des « marchands de sommeil ». Le Conseil d’État souligne un étrange passage en force pour faire adopter ce décret.

Lucie Delaporte

C’est une belle victoire pour les associations qui bataillaient depuis un an contre le décret habitat rebaptisé « décret marchand de sommeil ».

Le Conseil d’État, qui avait été saisi par l’association Droit au logement (DAL), rejoint par un collectif d’associations dont la Fondation Abbé Pierre, ATD Quart Monde et le Secours catholique, vient en effet d’annuler, dans une décision publiée le 29 août, la majeure partie du décret pour défaut de consultation du Haut Conseil pour la santé publique.

« Il s’agit d’une décision de bon sens », s’est réjoui le DAL dans un communiqué, en pensant aux conséquences pour les « locataires aux mains des marchands de sommeil, petits et grands ».

Dans la chambre de Clément Adjei, 70 ans. Son logement du quartier de La Guillotière à Lyon dans lequel il vit depuis 2015, a une hauteur sous plafond d’environ 1,80 mètre. © Photo Bastien Doudaine pour Mediapart

Adopté en catimini, il y a tout juste un an, au cœur de l’été, le décret habitat 2023-695 se présentait en effet comme un incroyable cadeau aux marchands de sommeil et autres propriétaires abusifs.

Il ouvrait la possibilité de louer des surfaces « atypiques », selon l’euphémisme du ministre du logement démissionnaire Guillaume Kasbarian : des logements de moins de 1 mètre 80 sous plafond, des locaux en sous-sols à peine éclairés… Le principal était, dans la logique de ce texte, que les locataires disposent d’un « volume habitable suffisant ».

Parmi les associations luttant contre le mal-logement le tollé avait été immédiat. À l’Alpil, par exemple, qui accompagne les locataires confrontés à des logements insalubres, on avait commencé à mesurer que près d’un tiers de leurs procédures contre les marchands de sommeil tombaient, de fait, avec ce nouveau décret.

Alors moi, 1 mètre 80, je passe !

La ministre démissionnaire Marie Lebec

« Ce décret est un cadeau à ceux qui veulent maximiser la rentabilité de leur propriété. Des propriétaires dont le logement a été déclaré insalubre commencent à demander la levée des procédures et vont reprendre une activité florissante »s’indignait récemment dans Mediapart Sarah Folléas, chargée de projet à l’Alpil. Les agences régionales de santé (ARS), compétentes en matière de salubrité de l’habitat, étaient en effet de plus en plus sollicitées ces derniers mois par des propriétaires se demandant si leur sous-sol ou leur cave étaient désormais éligibles à la location…

Dans sa décision, datée du 29 août, le Conseil d’État relève le curieux procédé qui a abouti à l’adoption estivale du décret. Le texte soumis au Haut Conseil pour la santé publique, conformément à la procédure en vigueur, n’était en effet pas le même que celui finalement adopté ! Les mesures les plus ouvertement scandaleuses – comme « l’enfouissement » du logement ou la hauteur sous plafond d’1 mètre 80 – ont en effet été rajoutées après l’avis du Haut Conseil pour la santé publique. Pratique.

Fin janvier, l’Assemblée nationale avait adopté un texte contre l’habitat indigne comportant une batterie de mesures plutôt consensuelles pour résorber ce fléau qui concerne environ 1,5 million de logements.

Le gouvernement avait rejeté tous les amendements de l’opposition visant à supprimer ce décret. « Alors moi, 1 mètre 80, je passe ! », avait osé la ministre chargée des relations avec le Parlement, Marie Lebec lors des débats dans l’hémicycle.

Pour le ministre délégué au logement Guillaume Kasbarian, qui allait être nommé quelques jours plus tard, l’intérêt de ce décret était pourtant clair. « Comme on est dans la crise du logement et qu’on a des zones sur lesquelles on manque de biens sur le marché locatif, je voudrais juste m’assurer qu’on ne va pas retirer du marché des biens un peu atypiques en termes de plafond, de largeur, de longueur, de superficie », avait-il argumenté.

Mettre sur le marché des taudis pour résoudre la crise du logement ? L’idée avait manifestement bien cheminé en Macronie ces derniers temps. Le Conseil d’État vient de rappeler qu’il restait encore quelques garde-fous contre cette cynique réponse au manque de plus en plus criant de logements.

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