Nous vivons en France et sur la planète depuis 2016 un enchainement d’évènements dense qui s’est encore accéléré ces derniers mois dans l’hexagone avec la dissolution de l’Assemblée, le coup de force de Macron et les évènements qui ont suivi, s’inscrivant en écho à des événements similaires dans le monde aussi bien aux USA avec Trump qu’en Israël avec Netanyahou.
Nous allons d’une tension à l’autre en même temps qu’au travers de ces cascades de tensions, beaucoup sentent bien que la période toute entière, en France comme dans le monde, qui est de plus en plus angoissante et critique, s’avance assurément, relativement lentement jusqu’à présent mais de plus en plus rapidement aujourd’hui, vers un dénouement qui décidera de l’avenir de générations et peut-être la planète elle-même.
Nous venons de connaître l’angoisse d’un gouvernement possible du RN pronostiqué par l’ensemble des sondages et des grands journaux et accepté ou poussé en avant par tout le système institutionnel. Puis nous avons connu la libération et la joie du 7 juillet occasionnés par les défaites du RN, de Macron et par le succès du NFP. Enfin, ça a été contre ce succès et l’espoir qu’il pouvait générer, le double coup de force de Macron, le piétinement de la démocratie avec le vol des élections et dans sa foulée le vol du perchoir de l’Assemblée par le vote illégal de ministres, avec au bout du processus, un gouvernement très marqué à droite avec la désignation au poste de premier ministre du parti qui a eu le moins de voix et tout cela offert au contrôle de l’extrême-droite.
Ça a été alors la riposte par l’appel à la destitution de Macron qui a été bien suivie dans la rue le 7 septembre – avec, il faut le noter, beaucoup de jeunes – mais qui a été lâchée ensuite par l’ensemble des directions syndicales empressées de donner une légitimité au gouvernement en retrouvant la pire des routines du prétendu dialogue social… avec des putschistes, cassant une dynamique possible ! C’est pourquoi, les mobilisations des 21 septembre et 1er octobre ont connu une baisse de participation importante illustrant que nous sommes entrés dans un moment de relatif repli où on souffle un peu mais aussi où on mûrit ce qui vient de se passer, où on essaie de comprendre et de tirer des leçons.
De fait, nous sommes mobilisés depuis des années et par contrecoup, nous traversons aujourd’hui une baisse d’un cran de l’énergie politique et sociale. Mais aussi, soyons en sûrs, ce n’est que momentané. Ce n’est pas un découragement, c’est une pause temporaire pour faire le point de ces quatre derniers mois où les forces souterraines qui animent le mouvement social et politique en France depuis 2016, cherchent à savoir où elles en sont, afin d’être plus fortes, plus nombreuses, plus conscientes, plus efficaces demain. Chacun des événements qui se déroule depuis les mouvements sociaux de 2016 et en conséquence l’éclatement de la sphère politique traditionnelle en 2017 par Macron avec toutes ses conséquences aujourd’hui, vérifie et construit toujours un peu plus l’idée que pour gagner il faudra que ce soit hors des sentiers battus, des impasses et des fausses solutions du monde d’hier et des appareils politiques et syndicaux qui n’arrivent pas à s’en dégager. Pour le moment, cette tendance se vérifie et s’expérimente tous les jours dans la radicalisation montante des mouvements écologistes, féministes, antiracistes, antifascistes ou Gilets Jaunes mais qui sont encore dispersés tandis que toute la situation aujourd’hui pousse la génération actuelle à unifier ces mouvements – ce qui s’est amorcé dans la mobilisation exceptionnelle de la campagne des législatives de juin/juillet -, pour renvoyer le RN et le capitalisme dans les oubliettes de l’histoire.
Ce n’est pas de l’optimisme excessif. Cette remontée est inéluctable et dans un temps bref, car nous vivons un moment unique dans l’histoire mondiale où de multiples crises, accumulées sur une longue période, s’expriment simultanément avec une intensité sans précédent et que c’est dans et par cette « polycrise » que se forme la jeune génération.
Cette « polycrise » c’est la concurrence exacerbée par le lent déclin des États-Unis et l’essor rapide de la Chine. Cette tendance historique est amplifiée par la crise climatique, la crise de la désagrégation progressive des échanges économiques mondiaux et la tendance au repli derrière ses frontières et le développement des forces politiques qui le justifient, la crise inversement des mouvements migratoires de masse jamais vus dans l’histoire, les crises mondiales de la dette et la menace de l’éclatement de bulles financières, la crise de l’émergence de tensions militaires adossées à une industrie de guerre meurtrière toujours plus importante et influente, et puis en conséquence, une vague de turbulences sociales, montées revendicatives, soulèvements populaires, insurrections et révolutions tels que l’humanité n’en a jamais connu dans son histoire, qui se combinent pour saper la stabilité de l’ordre actuel, pour former une crise de légitimité profonde de l’ordre mettant plus que jamais en évidence les faillites refoulées qui sous-tendaient jusque-là l’apparente stabilité d’un système qui marche vers sa banqueroute, politisant la partie la plus avancée des peuples.
Un exemple de ce type de moment a été la crise de l’ordre mondial à la fin du XIXe siècle, où la ruée vers les colonies a créé d’intenses antagonismes entre les grandes puissances européennes de l’époque. Cette rivalité inter-impérialiste a culminé avec deux guerres mondiales, la montée du fascisme, du communisme, des révolutions politiques et sociales, de vastes mouvements anticoloniaux et l’émergence des États-Unis comme principal hégémon de l’ordre mondial.
Dans de tels moments, les vieux récits, les vieilles certitudes idéologiques perdent de leur attrait et sont remplacés par la recherche de nouvelles idées, comme en témoignent la crise des démocraties libérales et la montée des partis/personnalités d’extrême droite mais aussi d’extrême-gauche même si c’est moins fréquent, mais que pour le moment, parce que le terreau qui y conduit est toujours plus riche, avec un nombre impressionnant de mouvements sociaux évoluant tous dans le monde entier dans le même sens, vers toujours plus de radicalisme et de politisation.
C’est dans ce cadre général que se produisent les secousses actuelles en France et ce n’est que dans ce cadre et à cette échelle de temps et d’espace qu’on peut mesurer la dynamique réelle des luttes de classes dans le pays et les rythmes de l’évolution des rapports de force, en commençant pour cela par observer ce qui se passe en bas, par les luttes en cours. Qui a remarqué qu’il y a à peine quelques jours, 40 000 salariés des ehpad sont entrés en grève en France ensemble tout au long d’une semaine ? Ce qui rappelle le même mouvement des ehpad qui en janvier 2018 -au moment où Macron se prenait pour Jupiter, – avait déclenché la grève de trois mois des cheminots, celle d’un mois des étudiants et électriciens et parallèlement au mouvement « Colère » et des motards, a entraîné le mouvement des Gilets Jaunes. Qui s’intéresse à la grève générale illimitée contre la vie chère depuis une semaine en Martinique et le mouvement plus général de la population contre cette vie chère depuis un mois ? C’est le même mouvement qui a vu les dockers américains gagner ces jours-ci une augmentation de salaire de 62% après déjà les victoires identiques des ouvriers de l’automobile, de l’hôtellerie, de l’éducation, de la santé, de l’aéronautique…avec une grève des ouvriers de Boeing qui menace l’industrie de l’armement américain et ses envois d’armes en Israël et tout cela en pleine campagne électorale présidentielle, ce qui est inédit aux USA.
C’est là, aussi bien aux USA qu’en France ou ailleurs, où se cherche et s’amorce en même temps que dans les manifestations de soutien au peuple palestinien et libanais, la riposte générale politique qui vient et la chute inéluctable de Macron.
Le vol des élections par Macron a pu repousser les échéance de sa chute de quelques mois, et a pu en décourager certains, mais si on raisonne avec cette vision d’ensemble, il est sûr, que comme partout dans le village planétaire, c’est la tendance générale à la montée de la classe ouvrière sur la scène politique qui l’emportera et qui fera que Macron tombera, par la rue, chassé par la bourgeoisie elle-même ou par les élections avec une participation électorale qui ne sera non pas moins importante la prochaine fois mais au contraire encore plus importante, avec une participation croissante dans les quartiers populaires, c’est-à-dire dans le prolétariat, tendant vers une période où comme dans les années 1950/1960, c’était dans les quartiers ouvriers qu’on votait le plus avec des taux de participation plus importants que dans les quartiers bourgeois.
Et plus encore, cette participation électorale croissante ne sera dans les circonstances actuelles que l’expression la plus visible dans un premier temps de la politisation en cours de la classe ouvrière et de sa marche vers l’utilisation de ses propres procédés de lutte qui culminent dans la grève générale politique, vers ses propres méthodes d’organisation qui s’expriment dans la démocratie directe et l’auto-organisation, vers ses propres objectifs qui sont la destruction du capitalisme, l’abolition de toute exploitation, de toute oppression et l’arrêt de la destruction de la nature.
Jacques Chastaing, 6 octobre 2024
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