François Boulo: L’oligarchie macro-lepéniste va tout détruire !

L’oligarchie macro-lepéniste va tout détruire !
Faut-il vraiment s’étonner de voir un macronisme inégalitaire-autoritaire s’allier ouvertement avec le RN ?
Mon analyse dans mon dernier article pour Elucid : lien en commentaire

L’oligarchie « macro-lepéniste » est en train de tout détruire – François Boulo

Le 7 juillet au soir, la France est officiellement entrée dans une crise de régime qui pourrait aboutir, à terme, à l’effondrement de la Ve République. En prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin dernier, Emmanuel Macron pensait réaliser un coup de maître en se reconstituant une majorité absolue sur les cendres d’une gauche qu’il pensait définitivement divisée, tout en activant une énième fois le fameux « barrage républicain ». Sa stratégie est un échec cuisant et plutôt que d’accepter sa défaite, il a fait le choix de se mettre à la merci du Rassemblement national, qui est désormais en position de censurer n’importe quel gouvernement, à commencer par celui de Michel Barnier. Faut-il vraiment s’étonner de voir celui qui s’est fait élire comme « rempart » face à la montée de l’extrême droite s’allier désormais ouvertement avec elle ? Que les deux forces politiques présentées depuis des décennies comme les plus opposées en viennent à s’entendre pour permettre la constitution d’un gouvernement n’est-il pas le signe que les institutions actuelles ne sont plus seulement à bout de souffle, mais bien agonisantes ?

Article Démocratie

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publié le 11/10/2024 Par François Boulo

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Si le macro-lepénisme, concept théorisé par Emmanuel Todd en 2020 (1), est devenu une réalité institutionnelle quatre ans plus tard, ce n’est pas le fruit du hasard. Certes, si l’on s’en tient à la surface des choses, l’extrême centre est censé incarner l’ouverture au monde et la promotion de la diversité, alors que l’extrême droite est présentée comme symbole du repli sur soi et du racisme. Ces discours et ces représentations largement relayés par les médias dominants fonctionnent à merveille dans l’opinion publique.

L’extrême centre parle aux gens relativement aisés et, en tout cas, plutôt satisfaits de leur sort, là où l’extrême droite séduit les mal-considérés (les « sans dents »), et plus largement tous ceux qui se plaignent de l’insécurité économique, urbaine ou culturelle. Il n’y a là rien d’illogique à ce que des gens qui se déclarent heureux se montrent disposés à s’ouvrir sur l’extérieur et qu’à l’inverse, ceux qui souffrent ou sont angoissés réclament de la protection et revendiquent une forme de retour aux traditions.

Macronisme et Lepénisme : les deux faces d’une même pièce

Ces considérations auront traversé le débat public français depuis au moins une quarantaine d’années, et plus intensément encore après l’accession au deuxième tour de l’élection présidentielle de Jean-Marie Le Pen en 2002. Or, ce clivage entre camp républicain d’un côté et menace fasciste de l’autre s’apprête à apparaître pour ce qu’il a toujours été : une tartufferie.

Après la fausse alternance gauche/droite qui aura gouverné le pays jusqu’en 2017 avant de fusionner dans le macronisme, voilà que l’autre grand clivage revendiqué dans le champ politique français est en train de s’évaporer sous nos yeux. Et il n’y a là rien de surprenant.

Si l’on fait fi du vernis superficiel qui passionne les journalistes politiques de salon, tout observateur politique avisé voit bien le rapprochement quasi achevé des positions idéologiques portées par l’extrême centre et l’extrême droite. Depuis 2017, le Rassemblement national n’a cessé de se « recentrer » en matière économique – en renonçant à toute politique de rupture avec l’Union européenne – alors que dans le même temps, le camp macroniste s’est progressivement radicalisé sur les questions culturelles, et en particulier sur son rapport à l’islam.

Sans que ces exemples soient exhaustifs, on pense à tel ministre macroniste mandatant le CNRS en 2021 pour mener une « étude scientifique » sur « l’islamo-gauchisme » dans les universités, à l’interdiction de l’abaya lors de la rentrée scolaire 2023, ou encore à Gérald Darmanin reprochant à Marine Le Pen d’être « un peu dans la mollesse » sur sa critique de l’islam, lors d’un débat télévisé sur le service public audiovisuel.

De son côté, le RN a opéré une toute nouvelle série de reculs sur son programme économique lors des dernières élections législatives, parmi lesquels le retour de l’âge légal de départ en retraite à 62 ans, l’exonération de l’impôt sur le revenu pour les jeunes de moins de 30 ans, ou encore la sortie du marché européen de l’électricité. En réalité, la seule différence notable (et elle est quand même de taille !), c’est que l’arrivée au pouvoir du RN – dont le discours répand le venin de la division en stigmatisant certaines communautés minoritaires – accélèrerait plus encore la libération des paroles et des actes racistes.

À cette exception près, force est de constater que ces deux forces politiques s’attirent en réalité comme des aimants. Au point où nous sommes rendus, on a peine à les distinguer puisqu’en retenant une grille de classification de fond, ces deux partis sont inégalitaires (économiquement), autoritaires (démocratiquement) et conservateurs (culturellement). Dit autrement, Emmanuel Macron n’a jamais été un libéral ; il est un inégalitaire-autoritaire !

À la fin, c’est l’oligarchie qui gagne…

Une fois admis cet état de fait, tout s’éclaire. On comprend mieux pourquoi Emmanuel Macron s’est obstinément refusé à désigner un Premier ministre issu du Nouveau Front Populaire (NFP), alors même que c’est le groupe politique qui compte le plus de députés à l’Assemblée, et alors que la France insoumise – excommuniée arbitrairement du « champ républicain » – se montrait disposée à ne pas entrer au gouvernement. Certes, rien n’obligeait Macron dans la lettre de la Constitution, mais l’esprit démocratique, lui, l’imposait.

On est loin de la leçon d’exemplarité donnée par le Général de Gaulle, lui qui démissionnait de la Présidence en 1969 après avoir été désavoué lors d’un référendum par une très courte majorité de 52,41 %. Emmanuel Macron, lui, s’obstine contre vents et marées alors qu’au moins 70 % des Français rejettent sa politique (c’est même 75 % selon un récent sondage Odoxa) ! Que fallait-il néanmoins espérer d’un Président de la République qui, à maintes reprises, a piétiné la démocratie en s’accrochant coûte que coûte à une lecture purement légaliste de la Constitution pour bafouer la volonté exprimée par le peuple ? Rien, à l’évidence.

Le passage en force de la réforme des retraites en 2023 était jusqu’alors la dernière démonstration de sa pratique extrêmement autoritaire du pouvoir. Le double coup de force de la dissolution surprise suivie du refus de tenir compte du résultat des élections n’en est que la continuité.

Pourquoi ? Pourquoi empêcher par tout moyen le Nouveau Front Populaire (NFP) d’accéder au pouvoir ? Le programme de cette gauche issue d’une alliance de circonstances n’avait strictement rien de révolutionnaire. Mais pour la bourgeoisie française, les quelques mesures de justice fiscale et l’abrogation de la réforme des retraites, c’était déjà trop. Et c’est là que nous touchons à l’un des points caractéristiques de la période. Les classes dominantes ne veulent plus faire aucun compromis, aucune concession. Elles veulent le gâteau tout entier, et même les miettes ! Elles tiennent l’appareil d’État et n’ont jamais été aussi arrogantes et sûres d’elles-mêmes.

C’est pour cela qu’il était hors de question pour Macron de prendre le risque de laisser un gouvernement NFP se former. Même si celui-ci était assez certain de tomber par censure dès le vote de confiance voire au bout de seulement quelques semaines, il ne fallait pas même concéder au peuple, en particulier de gauche, une victoire ne serait-ce que symbolique. Pourquoi s’abaisser à s’incliner face à la volonté majoritairement exprimée par les citoyens (même si relative) quand on a la possibilité de s’allier avec l’extrême droite ?

Pour la bourgeoisie, il importe avant tout que le camp au pouvoir soit inégalitaire et autoritaire. Qu’il s’agisse ensuite de l’extrême centre ou de l’extrême droite, c’est bonnet blanc ou blanc bonnet. Dans le moment, la conservation du pouvoir bourgeois passe par un gouvernement de droite macroniste soutenu par l’extrême droite. Demain, ce sera peut-être l’inverse : un gouvernement d’extrême droite soutenue par l’extrême centre. Peu importe la formule, tant que la bourgeoisie garde la main pour servir ses intérêts…

… et la France qui perd

Reste qu’aux yeux de la plupart des électeurs – plus sensibles aux apparences et aux personnalités qu’à l’analyse des programmes et des idéologies –, le macronisme et le lepénisme demeurent à ce jour deux camps politiques radicalement opposés, d’où une tripartition de l’électorat entre gauche, extrême centre et extrême droite, qui empêche de dégager une majorité absolue à l’Assemblée.

Cette tripartition institutionnellement neutralisante, ou à tout le moins incapacitante, pourrait durer plusieurs années, car elle repose sur des critères relativement structurants : une fracture générationnelle entre la gauche (jeune) et l’extrême centre (vieillissant) et une fracture éducative entre la gauche (plutôt diplômée) et l’extrême droite (plutôt peu diplômée). Pour autant, cette tripartition porte en elle une fragilité substantielle, car elle repose fondamentalement sur l’idée – on l’a vue erronée – que le RN serait un parti de « rupture » (preuve en est la justification brandie par nombre de ses électeurs « On n’a jamais essayé »).

Le drame de la scène qui se joue sous nos yeux est que l’extrême droite réussit – avec la complaisance des médias officiels – à se présenter auprès de leurs électeurs comme une alternative à l’extrême centre alors qu’elle n’est que l’autre visage (moins présentable) des classes dominantes. Après 40 ans de néolibéralisme au cours desquels les « élites » ont trahi la nation française en dilapidant le patrimoine public, en bradant une grande part de l’industrie aux puissances étrangères, et en appauvrissant ainsi une part toujours croissante de la population, l’envie des électeurs de renverser la table n’a jamais été aussi forte, et on les comprend ! Là est le point commun entre l’électorat de gauche et celui d’extrême droite.

Mais les électeurs du RN sont les dindons de la farce. La vie politique française est bloquée dans ce paradoxe où 2/3 des Français expriment la volonté d’une rupture politique radicale, mais où dans le même temps, 2/3 d’entre eux votent aussi pour la continuité (extrême centre et extrême droite). Il est à espérer que le soutien de Marine Le Pen au gouvernement Barnier – même s’il ne tiendra peut-être pas dans le temps – agisse comme un révélateur…

L’autre drame est que la France entre en crise institutionnelle au même moment où elle sombre sur le plan économique.

Pendant que la bourgeoisie se gave en battant chaque année de nouveaux records de détention de richesse – les 500 familles françaises les plus fortunées détiennent désormais 1 228 milliard d’euros de patrimoine, soit 50 % du PIB français (c’était 6,4 % en 1996…) – la France, elle, court tout droit à la ruine. Niveau d’endettement, déficit public, balance commerciale… tous les indicateurs sont dans le rouge, à tel point que la Commission européenne vient de déclencher une procédure pour déficit excessif à son encontre, ce qui promet déjà un plan d’austérité drastique pour les années à venir, et cela dans un contexte où l’ensemble de la production au sein de l’Union européenne décroche significativement face à la concurrence mondiale.

Avec des capacités industrielles pulvérisées par les délocalisations massives – causées en grande partie par l’euro et le marché unique européen –, la France ne dispose plus de beaucoup de marges de manœuvre pour se relancer. Il faudrait assumer une rupture avec les règles de l’Union européenne, ce qui, dans un premier temps, produirait inévitablement un choc économique douloureux pour l’ensemble de la population. Or, aucun représentant politique n’assumera de prendre un tel risque. Rien de bon et durable n’adviendra tant que l’Union européenne – dans sa construction actuelle – n’aura pas implosé.

Les crises de régime finissent mal, en général…

Résumons. La France est en déclin économique, une large majorité de la population ne le supporte plus et réclame du changement, mais la bourgeoisie entend plus que jamais continuer à s’accaparer toujours plus de richesses, et aucun représentant politique n’aura le courage ni la légitimité de prendre les décisions radicales (et pour certaines impopulaires) qui s’imposent… et tout cela dans une configuration où plus aucune majorité absolue ne parvient de toute façon à se dégager à l’Assemblée nationale.

En y ajoutant les traditionnelles ambitions personnelles des représentants politiques, il ne serait pas étonnant d’assister dans les prochains mois et prochaines années à une valse des gouvernements comme au temps de la IVe République. À court terme, même la possibilité d’une démission contrainte du Président Macron, malgré son indéfectible volonté de s’accrocher au pouvoir, est désormais une hypothèse tout à fait envisageable. Quelle autre option aura-t-il si le gouvernement Barnier venait à tomber ? Il est bien possible que lui-même ne parvienne pas à répondre à cette question.

Les impasses sont partout. C’est pourquoi, même si la gauche parvenait à accéder au pouvoir, elle pourrait être balayée par les forces de l’Histoire. En 1936, le Front Populaire a certes réussi a légué un héritage social encore d’actualité, mais il n’a rien pu faire pour enrayer les dynamiques guerrières de l’époque, et en particulier la montée du nazisme en Allemagne qui se rêvait en grande puissance européenne. Quatre ans plus tard, la défaite de juin 1940 aboutissait à la fin de la IIIe République et accouchait du régime de Vichy ce qui, on le rappelle, n’avait posé strictement aucun problème à la bourgeoisie française…

Des outils institutionnels pour sortir de la crise ?

Pour sortir de la crise de régime actuelle, nombreux sont ceux dans les sphères militantes qui préconisent l’instauration de nouveaux outils institutionnels permettant une intervention plus directe des citoyens dans le processus démocratiqueRéférendum d’initiative citoyenne, tirage au sort pour composer les assemblées représentatives, élection au jugement majoritaire, généralisation du dispositif de convention citoyenne sont autant de propositions présentées comme remèdes à nos impasses.

Si ces dispositifs peuvent paraître séduisants en théorie, et que leur discussion présente un incontestable intérêt pédagogique pour la conscience citoyenne, il faut avoir la lucidité et l’honnêteté d’affirmer qu’il s’agit certes d’un moyen de mobilisation important, mais que la solution ne viendra pas là. Et pour une raison fort simple : les classes dominantes n’ont pas du tout l’intention de céder la moindre parcelle de pouvoir au peuple. Elles viennent, d’une main en la personne d’Emmanuel Macron, de refuser le résultat des élections législatives, ce n’est certainement pas pour concéder de l’autre main quelque largesse que ce soit !

La sortie de crise ne se fera malheureusement pas dans l’apaisement et la discussion raisonnable. On ne fera pas l’économie du rapport de force. Autrement dit, seule une force politique réellement de rupture accédant au pouvoir serait disposée à introduire de nouveaux outils institutionnels. Mais encore faut-il déjà accéder au pouvoir, ce qui est pratiquement impossible face à la censure et à la propagande que les médias dominants pratiquent chaque jour avec plus d’autoritarisme et de sectarisme.

En tout état de cause, aucun texte juridique, aussi brillant soit-il, ne sauvera la démocratie. Une Constitution, aussi bien écrite soit-elle, ne constitue jamais un garde-fou absolu. Pour preuve, l’article 2 de la Constitution de 1958 énonce que « le principe de la République est celui du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». On sait ce qu’il en est de ce beau principe aujourd’hui.

Une Constitution est toujours menacée d’être victime d’un coup de force de la part d’une minorité agissante. Cela peut être le fruit d’un putsch militaire, mais aussi, bien plus subtilement, d’une emprise de plus en plus grande d’un pouvoir oligarchique sur l’ensemble des leviers du pouvoir institutionnel. Face à cette menace, il n’existe qu’un seul gardien du temple : un peuple éclairé, soudé et combatif. La souveraineté du peuple est proportionnelle à son niveau de conscience politique.

La période actuelle est certes très incertaine et couve de terribles dangers. Mais une crise systémique comme celle que nous connaissons aujourd’hui ouvre aussi des brèches, des opportunités pour convaincre la masse des gens jusqu’alors insouciante qu’il va désormais falloir prendre les problèmes à bras-le-corps. L’avenir n’est pas ce qui advient, mais ce que nous en ferons. Au travail !

Ce champ est nécessaire.

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