LR: En marge de la publication du nouveau livre de Thomas Piketty, « Capital et Idéologie » qui paraît ce jeudi 12 septembre.
lacroix.com
Une centaine d’économistes viennent de publier le premier rapport sur les inégalités mondiales.
Ils alertent sur les disparités de patrimoine et de revenus partout dans le monde.
C’est un phénomène d’ampleur planétaire qui ne cesse de progresser depuis près de quarante ans. Dans un rapport publié hier, 116 chercheurs de toutes origines font état de l’explosion des inégalités « dans presque toutes les régions du monde ». S’appuyant sur une base de données colossale, ce rapport compare de façon inédite la répartition des richesses et son évolution sur les dernières décennies.
Leur travail minutieux se base sur des enquêtes déclaratives sur le revenu et le patrimoine des ménages, mais aussi sur des données fiscales et administratives ainsi que des statistiques provenant des comptabilités nationales réunies par World Wealth and Income Database (WID. world). Aucune étude sur le sujet n’avait encore combiné ces différents types de données.
Le rapport s’intéresse dans un premier temps aux écarts de revenus. « Entre 1980 et 2016, les 1 % les plus riches du monde ont capté 27 % de la croissance mondiale », souligne l’étude, pilotée notamment par Facundo Alvaredo, Lucas Chancel et Thomas Piketty, de l’école d’économie de Paris. À titre de comparaison, les 50 % les plus pauvres en ont capté 12 % sur cette même période.uo
Ce phénomène est illustré par la désormais fameuse « courbe de l’éléphant » : les principaux bénéficiaires des fruits de la croissance ont été les habitants de pays émergents – principalement la Chine, le Brésil et l’Inde – et les 1 % les plus riches. Les victimes collatérales ont été les classes moyennes des pays développés.
Bien sûr, les inégalités de revenus internes aux pays ne progressent pas de la même manière partout. Sur les trois dernières décennies, elles ont davantage augmenté aux États-Unis qu’en Europe, notamment sous l’effet de la vague libérale lancée sous la présidence de Ronald Reagan.
« La diversité des tendances observées montre que les dynamiques nationales (…) sont la résultante de contextes institutionnels et politiques variés », explique le rapport. « Le degré d’ouverture de l’économie », le « niveau de déréglementation » ou « l’accès à l’éducation » demeurent des variables importantes.
L’autre volet majeur du rapport porte sur les disparités de patrimoine. Les chercheurs rappellent qu’elles s’étaient considérablement réduites depuis le début du XXe siècle. Mais à partir des années 1980, ils observent de nouveau une accumulation du capital par les populations les plus aisées.
Ce rebond est particulièrement visible dans les pays ayant transité du communisme vers le capitalisme. En Russie par exemple, les 1 % de personnes au patrimoine le plus élevé détenaient, en 2015, 43 % du patrimoine total des ménages russes, contre 22 % en 1995.
Les prévisions des économistes ne sont pas vraiment optimistes : si les tendances actuelles se poursuivent, les inégalités de revenus et de patrimoine se creuseront. Ils envisagent cependant deux scénarios possibles, selon que les États s’inspirent plus du modèle américain ou du modèle européen.
Dans l’hypothèse où les pays suivront la tendance fortement inégalitaire des États-Unis depuis les années 1980, la situation ne fera qu’empirer, avec des écarts de revenus de plus en plus grands, entre une classe moyenne au « revenu comprimé » et des élites qui continueront d’accumuler le capital.
Mais « une telle situation n’est pas inévitable », assure le rapport. Si les pays suivent la trajectoire de l’Union européenne, où les politiques éducatives et salariales sont « plus favorables aux classes moyennes et populaires », les inégalités reculeront légèrement. D’après les prévisions de WID World, le revenu de la moitié la plus pauvre de la population mondiale en 2050 pourrait varier du simple au double selon le modèle choisi, s’établissant entre 4 500 € et 9 100 €.
La réduction des inégalités ne se fera pas de manière naturelle. Cet objectif requiert « d’importants changements de politique fiscale au niveau national et mondial ». Les chercheurs recommandent aux États de faire appel à des outils qui ont déjà démontré leur efficacité pour diminuer les écarts de revenus et de patrimoine, notamment « l’impôt progressif ».
Ils proposent également la création d’un « registre mondial des titres financiers », afin de combattre l’évasion fiscale, obstacle majeur dans la lutte contre les inégalités. Enfin, les auteurs assurent que la révision des politiques éducatives, salariales ou encore la question de la gouvernance des entreprises sont également des enjeux décisifs.
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