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Procès Bettencourt #19. Pourquoi Eric Woerth est relaxé
Le tribunal de Bordeaux a sévèrement jugé, jeudi 28 mai, huit des dix prévenus de l’affaire Bettencourt, qui (presque) tous sont condamnés à une peine de prison, avec ou sans sursis, et à rembourser des sommes colossales pour avoir abusé de la faiblesse de la vieille milliardaire. Deux en réchappent. Alain Thurin, l’infirmier de Liliane Bettencourt, parce qu’il a tenté de mettre fin à ses jours à la veille de l’audience en janvier et sera jugé, si son état le permet, en octobre. L’autre, Eric Woerth, le trésorier de l’UMP et seul politique jugé à l’audience, a été relaxé dans les deux affaires où il était poursuivi. L’ancien ministre de Nicolas Sarkozy a aussitôt fait part de son « immense soulagement » et s’est réjoui de « retrouver pleinement [son] honneur ». La lecture des 282 pages du jugement du président Denis Roucou est cependant de nature à refroidir son enthousiasme, le tribunal n’a visiblement pas cru un mot de sa version mais n’a pas trouvé suffisamment d’éléments probants pour le condamner.
« C’est bien pratique d’avoir des comptes en Suisse »
Personne ne conteste en effet que les Bettencourt distribuait assez libéralement du liquide aux politiques, Nicolas Sarkozy lui-même, qui n’a pas été renvoyé devant le tribunal, a dû s’expliquer sur quelques troublants rendez-vous. La comptable de Liliane, Claire Thibout, a toujours soutenu que Patrice Maistre lui avait réclamé en 2007 150 000 euros pour Eric Woerth, elle ne lui en avait remis que 50 000 euros dans une enveloppe kraft. L’homme de confiance de la vieille dame en avait ajouté 100 000 en lui disant, « comme quoi, c’est bien pratique d’avoir des comptes en Suisse », ce qui n’est d’ailleurs pas contestable.
Patrice de Maistre admet bien avoir rencontré Eric Woerth, mais pas du tout lui avoir remis un sou. Le tribunal a cependant « la conviction de la réalité de cette remise d’argent à Patrice de Maistre » et estime qu’« une telle opération financière est contraire au financement légal d’une campagne électorale ». Pire : de Maistre est accusé d’avoir touché 400 000 euros le 5 février 2007 deux jours avant une rencontre avec le trésorier de l’UMP, « coïncidence pour le moins étrange ». Patrice de Maistre, à la torture, s’est refusé à dire où allaient ces fonds.
Eric Woerth a nié lui aussi, avec un tranquille aplomb. Le tribunal doute, alors qu’il était « très occupé par l’organisation de campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy » qu’il ait pris du temps de rencontrer Patrice de Maistre pour parler « de l’avenir des petites entreprises ». « Il existe donc une forte suspicion de remise d’argent des fonds Bettencourt, sans que la démonstration de la remise soit totalement acquise. » Même si elle l’était, l’ancien ministre du budget a obtenu un non-lieu définitif en 2013 sur le financement illicite de parti politique. Pour qu’il soit condamné pour recel d’abus de faiblesse, il faudrait qu’il ait eu connaissance à la fois de l’origine illicite des fonds et de la vulnérabilité de la vieille dame, ce qui « n’est pas démontré », constate équitablement le tribunal.
Dans le second procès, « il est établi qu’Eric Woerth est bien à l’initiative de la demande de légion d’honneur pour Patrice de Maistre, dans des conditions totalement atypiques ». Et même « s’il est certain qu’il peut exister un intérêt personnel pour Patrice de Maistre de recruter Florence Woerth », la femme du ministre, dans le but estimable de lui « rendre service », « il n’est pas démontré l’existence d’un pacte de corruption dont la contrepartie serait l’emploi de Florence Woerth ».
Mince consolation
Les autres prévenus se sont eux fait étriller un par un. « L’avidité patrimoniale » du photographe François-Marie Banier, qui lui a permis de distraire 442,3 millions d’euros à son élue de cœur, est rudement dénoncée. « Il n’a pas hésité à exercer une emprise particulièrement destructrice sur cette victime âgée en situation de particulière vulnérabilité », indique le tribunal, « il a brisé les liens familiaux », « organisé et planifié son projet délictueux » avec « une boulimie d’appropriation de la fortune de Liliane Bettencourt ». Il est condamné à trois ans de prison, dont six mois avec sursis et 375 000 euros d’amende – la peine maximale, hors le sursis. Ses biens sont saisis, et il devra rembourser 158 millions d’euros à la vieille dame. Le tribunal lui a rendu sa caution de 10 millions d’euros, mais c’est une mince consolation.
Son compagnon, Martin d’Orgeval, est pour le tribunal « le maillon éclairé et essentiel de la stratégie mise en place par François-Marie Banier »: il est condamné à 18 mois d’emprisonnement avec sursis, 150 000 euros d’amende et doit rembourser 2,3 millions. Patrice de Maistre a lui aussi « bien mesuré l’état de détresse et de fragilité » de Liliane, et fait preuve « d’une avidité financière sans rapport avec la réalité de son travail ». Il est condamné à 30 mois de prison dont 12 avec sursis et 250 000 euros d’amende. Ses biens sont confisqués, il devra rembourser 12 millions. Comme il a déjà passé 88 jours en détention provisoire, il lui reste 15 mois à purger.
Les seconds rôles ne sont pas épargnés, Carlos Vejarano, l’intendant de l’île d’Arros, aux Seychelles, est condamné à 18 mois de prison dont 9 avec sursis et 250 000 euros d’amende. Les deux notaires, le patelin Me Jean-Michel Normand, est condamné à 12 mois de prison, que son grand âge lui a permis d’obtenir avec sursis et 100 000 euros d’amende, Me Patrice Bonduelle prend six mois avec sursis et 80 000 euros d’amende.
Me Wilhem a« éprouvé sa puissance sur la faiblesse d’une vieille dame »
Le parquet avait demandé la relaxe des notaires et de Me Pascal Wilhelm, le second homme de confiance de Liliane et son ami Stéphane Courbit. Le tribunal n’en a tenu aucun compte et condamné le premier à 30 mois de prison dont 12 avec sursis et 250 000 euros d’amende, le second, qui a déjà tout remboursé, à 250 000 euros d’amende. Le jugement a des mots très durs pour l’avocat – pourtant blanchi par ses pairs – qui « a mis en place une véritable stratégie pour élargir sa sphère d’influence », multiplié les conflits d’intérêt et a « éprouvé sa puissance sur la faiblesse d’une vieille dame qui lui faisait confiance ».
La plupart des condamnés feront appel et seront à nouveau jugés dans près d’un an. Au risque de détromper François-Marie Banier qui écrivait dans Les femmes du métro Pompe (Gallimard), « Les rendez-vous avec notre passé sont les seuls auxquels on peut se rendre sans risque d’attendre ».
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