Pour l’historien américano-israélien Omer Bartov, spécialiste de l’Holocauste, le gouvernement Netanyahu est passé de l’intention à l’action génocidaire. Selon lui, seule « une pression extérieure majeure » pourrait stopper l’engrenage mortel.
D’une alerte vigilante à une alarme pessimiste mais non résignée, l’historien israélo-américain continue d’avertir, à la lumière de l’Histoire et de son propre parcours personnel – il fut soldat durant la guerre dite du Kippour en 1973. Entretien, réalisé avant l’intensification des bombardements israéliens sur le Liban et l’assassinat de Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah.
Basta! : Alors que dans le New York Times, vous mettiez en garde contre un projet génocidaire, neuf mois plus tard dans le Guardian vous considérez qu’Israël se livre à des actes génocidaires à Gaza. Pourquoi cette évolution et quel a été le point de rupture pour vous ?
Omer Bartov : Lorsque l’armée israélienne a décidé d’envahir également Rafah [située tout au sud de la bande de Gaza, à la frontière avec l’Égypte, ndlr], en mai 2024, elle l’a fait contre l’avis des Américains qui ont averti que la ville comptait plus d’un million de personnes. L’armée israélienne a indiqué qu’elle allait évacuer la ville. Et c’est ce qu’elle a fait. Elle a déplacé un grand nombre de personnes de Rafah vers la plage.
Cette bataille de Rafah m’est apparue comme un tournant et l’aboutissement d’un processus cumulatif, au cours duquel l’armée israélienne, sous la direction du gouvernement du pays, s’est engagée depuis le tout début de la guerre dans une destruction systématique et intentionnelle des résidences, des universités, des hôpitaux, des écoles, des mosquées… À cela s’ajoutent les morts accidentelles ou délibérées dans la population gazaouie et le déplacement répété de la population, avec pour résultat que la population a été progressivement affaiblie par ces déplacements sans but, sans aucune infrastructure réelle pour survivre. Il semble donc que le but ultime d’Israël est de rendre Gaza de plus en plus inhabitable pour la population.
Ces actions répondent à l’un des points de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui indique qu’un génocide consiste entre autres à rendre l’existence impossible pour ce groupe en tant que tel. Plus précisément, dans l’article 2, section c, la convention de 1948 indique que le génocide s’entend notamment comme « la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ».
Depuis , les médias israéliens ont montré comment l’État israélien entend séparer le tiers nord de la bande de Gaza, y compris la ville de Gaza, du reste du territoire, puis de les expulser de cette zone ainsi délimitée. Cette même zone a été largement rasée, l’armée y a construit de nouvelles bases et une route (le corridor de Netzarim) qui sépare le tiers nord de la bande de Gaza du reste. Elle pourrait devenir la première zone dans laquelle aucune population civile ne serait autorisée. Cette mesure pourrait évidemment être progressivement étendue à d’autres parties de Gaza. ll semble donc qu’il s’agisse d’un processus progressif dont l’objectif est de vider Gaza, ou du moins une grande partie, de la population palestinienne et de rendre la vie de ses habitants de plus en plus impossible.
Mais l’armée israélienne soutient que ces destructions ne sont que les conséquences de la guerre. Y-a-t-il une une intention génocidaire, condition nécessaire pour qualifier ce crime international ?
Il me semble que c’est le cas. De nombreuses expressions d’intention ont été exprimées par un grand nombre de responsables israéliens dès le mois d’octobre. Il s’agit d’affirmations publiques qui indiquaient l’intention de vider, de détruire, et de désigner l’ensemble de la population civile comme étant responsables du massacre du 7 octobre. Ces affirmations pouvaient aussi être nuancées, expliquant par exemple que le Hamas utiliserait les civils comme boucliers humains et que l’armée israélienne n’avait pas le choix.
J’y vois surtout une sorte de double langage. Mais il faut observer ce que ces responsables ont dit et ce qu’ils font. Or, les actions sur le terrain indiquent au mieux un mépris total pour la population civile, malgré toutes les affirmations contraires. Plus de 40 000 personnes ont été tuées, dont plus de la moitié sont des femmes et des enfants. Dire que cela n’est pas intentionnel défie la raison. Il y a également tant de preuves de destruction systématique de ce qui fait la culture d’un groupe – les écoles, les universités, les lieux de culte… On observe un énorme fossé entre l’argument selon lequel il n’y a pas d’intention et la réalité sur le terrain.
Du droit international, rien de tout cela ne tient non plus la route. En effet, les munitions utilisées sont telles qu’elles causent des pertes importantes en vies humaines. On peut s’interroger sur la proportionnalité d’une telle utilisation. De nombreux cas d’utilisation d’armes, de façon disproportionnée et destructrice ont été documentés.
Au-delà de cela, l’armée israélienne contrôle désormais Gaza. En tant que puissance occupante de cette région, elle est responsable des habitants. Or, il est évident qu’elle ne s’emploie pas à protéger ces populations, mais au contraire à leur rendre la vie de plus en plus impossible en termes d’approvisionnement en nourriture et en eau potable et de mise en danger.
Au-delà du nombre de personnes tuées, qui est probablement beaucoup plus élevé que l’estimation actuelle, les effets à long terme seront catastrophiques pour ceux qui ne peuvent pas se faire soigner dans les hôpitaux, ceux qui souffrent de maladies chroniques, le grand nombre de personnes mutilées, d’enfants et la pénurie permanente de nourriture. Tout cela aura des conséquences terribles, en particulier sur les enfants qui grandissent. Cela dure depuis un an, et je pense qu’il est tout à fait vain de ne pas en assumer la responsabilité et de prétendre qu’il ne s’agit que de dommages collatéraux, que l’on n’a pas voulu que cela se produise.
Selon le droit international, comment qualifier l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023 ?
À mon sens, les attaques du Hamas pourraient certainement être qualifiées de crimes de guerre, et très probablement aussi de crimes contre l’humanité. Une qualification qui a également été suggérée par le procureur de la Cour pénale internationale d’ailleurs. En s’appuyant sur la Charte originale du Hamas, qui est une sorte de document génocidaire et antisémite, on pourrait même démontrer qu’il s’agissait d’une action génocidaire ou d’une tentative d’action génocidaire. En ce sens, les personnes qui ont commis les crimes du Hamas devraient être tenues pour responsables.
Cependant, il faut rappeler que selon le droit international et la simple morale, les populations occupées, les populations opprimées, ont le droit de résister à l’oppression. Si vous êtes opprimé, si on vous prive de vos droits, vous avez le droit de résister.
Je pense que les Palestiniens qui sont occupés et opprimés ont le droit de résister à leur oppression. Mais cela ne vous donne pas le droit de commettre des crimes. La résistance elle-même n’est pas un crime. La résistance est en fait légale. Ce qui compte, c’est la manière dont vous menez cette résistance. Israël et d’autres essaient de confondre les actions criminelles du Hamas avec la légitimité de la résistance à l’oppression.
Il en va de même pour la guerre. On peut mener une guerre juste, certainement dans le cas d’une guerre d’autodéfense. C’est ce qu’Israël prétend faire, bien que l’on puisse douter de la véracité de cette affirmation. Mais cela ne donne pas le droit de commettre des crimes durant cette guerre.
En Europe, et plus particulièrement en Allemagne et en France, il y a un vrai malaise à accuser Israël de génocide. En est-il de même aux États-Unis ?
Les États-Unis n’ont pas la même histoire que l’Allemagne et la France en ce qui concerne l’Holocauste, qu’il s’agisse de la collaboration en France ou du nazisme en Allemagne. Les États-Unis se considèrent comme le pays qui a contribué à mettre fin à l’Holocauste. En Allemagne, de façon très forte, les élites intellectuelles, universitaires et politiques ont une culture de la mémoire et de la responsabilité dans l’Holocauste. L’Allemagne fait ainsi de la défense d’Israël une raison d’État (Staatsräson).
Au cours des 40 ou 50 dernières années, les États-Unis ont pour leur part développé un très fort sentiment de soutien à Israël. Cela s’explique évidemment par l’influence – intellectuelle, culturelle, politique, économique – de la communauté juive, mais aussi de nombreuses autres communautés aux États-Unis, notamment les évangéliques, qui constituent un groupe beaucoup plus important et influent.
Cette grande réticence à critiquer Israël a, au printemps dernier, abouti à une réaction américaine véhémente contre ceux qui protestaient contre la guerre à Gaza. Sur les campus universitaires, la police est intervenue pour réprimer toute condamnation de ce qu’Israël fait à Gaza. Or Israël ne pourrait pas agir comme il le fait sans le soutien total des États-Unis, qu’il s’agisse du soutien diplomatique à l’ONU ou des fournitures militaires. Sans cette aide militaire, Israël ne pourrait mener cette guerre.
La réaction américaine aux manifestations a été très forte, plus forte qu’en Europe. Je pense que cela révèle une sorte de fossé au sein de la société américaine sur cette question. Les manifestants sur les campus américains le font non seulement parce qu’ils trouvent la guerre à Gaza odieuse, mais aussi parce qu’ils la financent en tant que contribuables. Pourtant, une grande partie de l’élite politique américaine et les administrations des universités – parce que la plupart des manifestations se sont déroulées sur les campus – affirment que ces protestations sont antisémites. L’allégation d’antisémitisme est devenue un outil, en grande partie aux États-Unis, pour faire taire les protestations, ce que je trouve très grave. Aussi troublant et grave que les élites allemandes accusant des gens comme moi d’être antisémites. L’antisémitisme a été instrumentalisé d’une manière que je juge très dangereuse car ces accusations infondées pourraient contribuer à la montée d’un véritable antisémitisme.
Poser la question du génocide à Gaza, c’est aussi aborder la question de la complicité de l’Occident avec ce génocide. Cette question est surtout portée dans les pays du Sud…
Les États-Unis fournissent environ 80 % des systèmes d’armes utilisés par Israël. Israël est un énorme importateur d’armes et de technologies militaires. C’est également un exportateur de ces mêmes technologies. D’autres pays sont engagés dans l’approvisionnement d’Israël : l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas. Certains d’entre eux, notamment l’Espagne, les Pays-Bas et maintenant, dans une certaine mesure, la Grande-Bretagne, ont commencé à restreindre ou à arrêter complètement les livraisons d’armes à Israël.
Le principal fournisseur d’armes d’Israël, outre les États-Unis, est l’Allemagne. Officiellement, mais seulement officiellement, l’Allemagne n’a pas limité ses livraisons. Selon certaines informations, il existerait de fait des restrictions officieuses sur les livraisons allemandes.
La Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale enquêtent sur Israël pour des faits de violations graves du droit humanitaire international. Or les lois des pays fournisseurs, tenus par le droit international, ne leur permettent pas, en théorie, de fournir des armes à des pays qui violent ce même droit. Mais tant que ces pays fourniront des armes à Israël et tant qu’ils ne s’y opposeront pas politiquement, alors oui, ils seront manifestement complices.
D’autant que le Sud global, avec le cas le plus notable des actions devant la Cour internationale de justice (CIJ) de l’Afrique du Sud, dénonce cette guerre. Cette requête devant la CIJ, aura des répercussions significatives. Mais pour ce Sud global, Israël est plus, je dirais, un prétexte. En effet, le Sud global essaye d’affirmer son indépendance par rapport au Nord, de tracer sa propre voie politique. Quoi qu’il en soit, la saisine de la CIJ était la bonne chose à faire parce qu’Israël bénéficie de l’impunité pour ses actions à Gaza. Une réalité qui est évidemment catastrophique pour les Palestiniens et, je le pense vraiment, également dangereuse pour les intérêts israéliens eux-mêmes.
Pourquoi ce qui se passe à Gaza fait autant réagir. En France, nous avons eu ce débat, certains alléguant que le Congo, le Soudan ou encore l’Éthiopie ne suscitaient pas autant d’intérêt…
Selon moi, ce genre d’argument sur les autres guerres est l’habituel « what-aboutism ». C’est aussi un argument que j’entends en Israël : pourquoi les gens ne protestent-ils pas contre ce qui se passe au Congo, en Syrie, au Tibet, pour les Ouïghours… C’est sans fin. Ce qui se passe ailleurs ne vous exonère pas de ce que vous faites. Si vous tuez quelqu’un, vous ne pouvez pas vous en tirer en disant : « Mais d’autres personnes tuent aussi d’autres personnes. »
Qui plus est, Israël s’est présenté, a été perçu et traité par les autres pays comme forcément moral. Personne n’attend des rebelles au Congo ou au Soudan, de l’armée serbe ou des soldats de Poutine qu’ils se comportent de manière morale. Or, Israël est perçu et présenté en Europe et aux États-Unis comme la seule démocratie du Moyen-Orient. Comme un pays progressiste, un pays qui mérite notre soutien moral, ainsi que notre soutien économique et militaire. Et qui est, pour ainsi dire, l’un des nôtres. En même temps, ce pays ne veut pas être tenu pour responsable de ses actes.
Ce pays a été créé dans le sillage de l’Holocauste dans une décision internationale légitime. Être confrontés à un nouvel Holocauste reste une vraie peur en Israël. Au même moment, on a assisté à la création du droit international actuel, dont les actes fondateurs sont la Convention sur le génocide, le tribunal de Nuremberg ou la Convention de Genève. Le fait qu’Israël soit aujourd’hui accusé de crimes de guerre et potentiellement de génocide est, bien sûr, très difficile à concilier et penser. Israël a toujours soutenu qu’en raison de l’Holocauste, il devait bénéficier – pour utiliser un terme inapproprié – d’un « traitement spécial ». Il ne devrait pas être considéré comme les autres pays.
Vous vivez aux États-Unis : la position de la jeunesse juive américaine vis-à-vis d’Israël a-t-elle évolué ?
Je pense qu’il y a un changement plus général parmi les jeunes Américains, que je constate d’ailleurs sur les campus universitaires. C’est un changement positif car ces jeunes Américains sont de plus en plus nombreux à s’engager politiquement. Ils ne se préoccupent pas seulement de leur carrière, mais aussi du monde qui les entoure.
Parmi les jeunes juifs américains, y compris ceux qui suivent les cours que je donne, beaucoup ont manifesté et beaucoup ont été accusés d’être antisémites, ce qui était tout simplement absurde. Certains jeunes, et certainement de nombreux jeunes juifs, sont très mal à l’aise avec ce que fait Israël, parce qu’ils sont pour la plupart libéraux au sens politique du terme. Dans l’ensemble, Israël perd donc le soutien des jeunes Américains, juifs ou pas.
Et qu’en est-il des Afro-Américains, comment perçoivent-ils la situation à Gaza et en Israël ?
Pour beaucoup d’Afro-Américains, notamment dans les milieux universitaires, la guerre à Gaza et plus largement la situation entre Israël et les Palestiniens font écho à la lutte sociale et au combat pour les droits civiques aux États-Unis. Israël est perçu également comme l’avant-poste de l’impérialisme américain, du colonialisme européen, du colonialisme de peuplement. Une analyse évidemment partagée par le milieu universitaire américain et parmi l’intelligentsia des universitaires afro-américains.
Mais je pense que ce parallèle est faux car il repose sur une incompréhension totale de la situation en Israël. Pour certains Afro-américains, ce sont des Israéliens blancs qui tuent des Palestiniens. C’est faux, car un grand nombre de soldats israéliens ne sont pas blancs. Ils viennent d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient d’où leurs familles sont originaires. Un grand nombre d’entre eux sont éthiopiens donc noirs.
Comment expliquer le soutien de Netanyahu et parfois d’institutions juives américaines comme l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) à Trump, malgré ses discours antisémites ?
Cet homme, Trump, est raciste et antisémite. Mais Netanyahou soutient également Orban ou Poutine. Qu’Orban puisse être aussi antisémite n’a pas d’importance pour Netanyahou parce qu’Orban promeut une démocratie illibérale. Ce qui est précisément ce que Netanyahou veut pour son propre pays. Ils s’accordent donc sur un point de vue idéologique particulier, qui est antilibéral, antidémocratique et intolérant. Chacun est intolérant à l’égard de ses propres minorités.
Le fait que Trump puisse être antisémite n’a pas vraiment d’importance pour Netanyahou. Trump a déplacé l’ambassade des États-Unis à Jérusalem (en 2018). C’est seulement cela qui intéresse Netanyahou. La grande majorité des juifs américains votent pour les démocrates, pas pour les républicains. Mais l’AIPAC et certaines de ces organisations juives sont alignées sur la droite israélienne et Netanyahou. Ce sont des gens qui prétendent représenter la communauté juive, ce qui n’est pas le cas. Pour moi, ceci est grave et constitue un grave danger, car ces organisations, qui ne représentent pas les Américains juifs, peuvent en fait contribuer à la montée de l’antisémitisme.
Vous êtes retourné en Israël en juin dernier et vous avez expliqué dans l’article du Guardian que vous aviez découvert un pays très différent de celui que vous aviez connu. D’après vos observations, comment la société israélienne est-elle également transformée de l’intérieur par la guerre à Gaza ?
Ce qui m’a le plus frappé, c’est à quel point les Israéliens sont tout simplement totalement indifférents à ce que fait Israël à Gaza. Soit ils ne veulent pas savoir, soit ils y sont indifférents. Le coût destructeur de la guerre pour les Palestiniens à Gaza n’est pas nié, mais la réponse est simplement : « Nous ne voulons pas en savoir plus. On s’en fiche. » D’autres personnes, qui connaissent Israël, m’ont indiqué avoir fait le même constat.
L’attitude générale est que ce que le Hamas a fait le 7 octobre, tous les habitants de Gaza l’ont soutenu. Par conséquent, ils doivent tous être anéantis. Il y avait déjà, avant le 7 octobre, une grande indifférence à l’égard du sort des Palestiniens. Ce n’était même pas une question ou un enjeu politique, même si l’occupation devenait de plus en plus oppressive et violente. Mais l’ampleur des destructions actuelles est évidemment sans précédent. Depuis le début du 21e siècle, il n’y a qu’un seul autre cas, outre Gaza, où 2 % de la population a été tuée durant une guerre. Il s’agit de la Syrie. Mais en Syrie, cela a pris 13 ans, et à Gaza, 10 mois ont suffi.
Ce qui frappe aussi en Israël est le sentiment d’insécurité très fort. Les Israéliens ne se sentent pas en sécurité. Ils ne peuvent donc pas penser politiquement. Des dizaines de milliers d’Israéliens sont sans abri, le Nord a été dévasté [par la guerre de bombardements que se mènent Israël et le Hezbollah depuis le 7 octobre, ndlr]. Pourtant le gouvernement n’a aucune stratégie militaire. Les Israéliens sont encore dans leur propre choc du 7 octobre, avec un fort sentiment d’être victimes, d’abord du Hamas, mais aussi en raison de l’abandon par l’armée et de l’État. Tout cela les rend moralement indifférents à ce qui se fait en leur nom.
Êtes-vous pessimiste ou optimiste quant à l’avenir d’Israël et de la Palestine ?
Je suis certainement pessimiste à court et moyen terme. Je crains qu’Israël n’évolue vers un régime d’apartheid à part entière et qu’il ne s’appauvrisse de plus en plus sur les plans économique, politique et intellectuel. Les fascistes juifs, les racistes et les suprémacistes juifs, Ben Gvir (ministre de la Sécurité nationale) et Smotrich (ministre des Finances) et les gens de leur acabit prendront le relais parce qu’il n’y a pas de véritable opposition en Israël pour le moment. Et les Palestiniens n’ont aucun pouvoir ni soutien.
Je ne pense donc pas que le changement puisse venir de l’intérieur. Il n’existe en Israël aucune opposition digne de ce nom. Ce qu’il faut donc, c’est une pression extérieure majeure. Mais je ne pense pas non plus que cela se produise – je ne pense pas que Kamala Harris sera différente du président Biden. J’espère bien sûr qu’elle sera élue, et non pas Trump, mais je ne vois pas de changement majeur dans la politique américaine.
Israël pourrait donc devenir une sorte d’État d’apartheid qui pourrait se maintenir encore deux ou trois décennies. Finalement, il implosera car la situation est déjà intenable. Il y a 7 millions de Palestiniens et 7 millions de Juifs dans cet espace. Même si Israël gagne un sursis, la coût en vies et en souffrances sera élevé.
Recueillis par Hassina Mechaï
En photo : Une jeune manifestante lors d’une manifestation en solidarité au peuple palestinien, à Toulouse, le 21 aout 2024 / © Patrick Batard (Hans Lucas).
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