Ajax-Maccabi
Affrontements avec des supporters israéliens à Amsterdam : surenchère dans l’instrumentalisation
5-0. C’est le score sans appel de l’Ajax d’Amsterdam contre le Maccabi Tel-Aviv, jeudi soir, lors de la quatrième journée de la Ligue Europa. Mais ce qui fait la une de la presse israélienne et néerlandaise, vendredi matin, c’est la nuit d’échauffourées qui a suivi le match après lesquelles cinq supporters israéliens ont été hospitalisés avant de sortir, vendredi à midi.
8 novembre
Autant habitué des bombes qu’il déverse sur Gaza et le Liban et qui ont fait déjà plus de 42.000 morts que des outrances et des superlatifs, dès lors qu’il faut parler de ce que vivent les Israéliens, Benjamin Netanyahu a aussitôt parlé de « pogrom antisémite » contre les supporters israéliens, ciblés en tant que « Juifs ». Le gouvernement israélien a annoncé l’envoi de deux avions spéciaux pour rapatrier les supporters ainsi que le déploiement, aux Pays-Bas, d’une « mission de sauvetage » de Tsahal avec des équipes médicales, alors que le ministre des Affaires étrangères entend se rendre au plus vite sur place, pour faire part de sa grande colère.
L’objectif de cette opération totalement disproportionnée est clair : faire oublier les bombes au quotidien sur Gaza et le Liban, ainsi que les déboires internes de la coalition, avec un « Watergate » israélien dans lequel le Premier ministre est enfoncé jusqu’au cou. Et ça marche. Ainsi, Macron a plongé dans la combine, en tweetant toute sa compassion pour les supporters israéliens, peu après midi. Dans le même temps, depuis ce vendredi matin, c’est toute une machine médiatique et politique qui s’est mise en branle pour relayer la même rhétorique, saisissant l’occasion des violences pour criminaliser encore un peu plus le soutien à la Palestine.
Que s’est-il vraiment passé à Amsterdam ?
Rien n’annonçait, pourtant, un match plus tendu que d’habitude, entre supporters. Les tribunes néerlandaises, celles du Feyenoord comme de l’Ajax, sont connues pour être souvent très agitées. Les supporters des clubs israéliens, dont certains groupes sont classés à l’extrême droite, comme ceux du Beitar Jérusalem ou du Maccabi Tel-Aviv, ne sont pas étrangers à certaines actions violentes en marge des compétitions, lorsqu’ils jouent à domicile ou en déplacement. Néanmoins, comme l’a souligné la maire de centre-gauche Femke Halsema en conférence de presse, ce vendredi, le NCTV (Nationaal Coördinator Terrorismebestrijding en Veiligheid), le service de police et d’antiterrorisme en charge de la prévention et des risques d’affrontements entre clubs de supporters lors des matchs, n’avait aucunement prévu que les rues d’Amsterdam puissent être le théâtre d’échauffourées. Que s’est-il donc passé ?
Sur fond d’une très forte sensibilisation de l’opinion publique aux Pays-Bas vis-à-vis de la question palestinienne, avec des manifestations très nourries dès le début de l’agression contre Gaza, suivies d’une forte mobilisation dans la jeunesse, au printemps, une partie des quelque 3000 supporters du Maccabi ayant fait le déplacement à Amsterdam ont tout simplement multiplié les provocations, dès l’avant-veille du match. Ainsi, un grand drapeau palestinien, suspendu à l’une des maisons emblématiques de Rokin, l’une des artères touristiques, occupée par des militants pour le droit au logement, a été arraché par les supporters du Maccabi qui ont, mercredi, brûlé un autre drapeau palestinien, Place du Dam, devant le Palais royal, en scandant des slogans anti-arabes et anti-palestiniens.
Par la suite, des échauffourées ont éclaté, notamment avec des chauffeurs de taxi et de VTC, identifiés comme « arabes ». Les provocations se sont poursuivies, jeudi, dans les rues de la capitale, avec des supporters arborant les couleurs bleu-et-jaune du club israélien, alors que la municipalité avait décidé d’interdire une manifestation de solidarité avec Gaza et le Liban devant se tenir devant le stade, avant le match. Selon les déclarations des responsables de la police, peu après 23h, dans la nuit de jeudi à vendredi, bien après le coup de sifflet final, les affrontements ont repris, cette fois-ci contre des groupes de supporters israéliens, moins nourris, rentrant vers leur hôtel. Ce sont ces images, extrêmement violentes, et qui laissent entrevoir parfois des motifs antisémites, qui ont tourné en boucle et qui ont été qualifiées de « pogrom antisémite » par les autorités israéliennes.
Les membres de la majorité gouvernementale néerlandaise, classée très à droite et ouvertement islamophobe, se sont immédiatement solidarisés des déclarations de Netanyahu, accusant des « supporters marocains de l’Ajax » d’être à l’origine de véritables chasses à l’homme. Geert Wilders, l’homme fort de la coalition, a même voulu faire d’une pierre, deux coups, appelant à la démission de la maire d’Amsterdam, sa principale opposante modérée, et à « expulser » les supporters amstellodamois arrêtés, dans une équation raciste simple : « supporters = jeunes des quartiers = étrangers = expulsables ». A partir des rixes et des bagarres les plus violentes qui ont pu éclater dans la nuit de jeudi à vendredi, certains médias israéliens n’ont pas hésité à agiter la rumeur de « prises d’otage » et de personnes qui auraient été tuées, en construisant une sorte de fil de continuité entre « le 7 octobre » et le 7 novembre.
Netanyahu et ses ministres ont repris en boucle cette idée de « pogrom organisé » en orchestrant une opération de rapatriement à grand renfort de communication. En réalité, les cinq supporters israéliens hospitalisés pour des blessures légères pendant la nuit sont sortis quelques heures plus tard, peu après midi, vendredi. Sur la soixantaine de jeunes Amstellodamois interpellés pour les événements de la nuit, dix sont encore en garde-à-vue.
Une campagne médiatique et politique ultra-réactionnaire
Il n’y a aucun doute que ce qui s’est passé, mercredi et jeudi, à Amsterdam, dépasse les confrontations entre supporters dont les matchs de foot sont souvent le théâtre. Elles ont acquis une coloration très politique dans un contexte marqué par la colère que suscite le génocide à Gaza et les provocations des supporters du Maccabi qui ont choisi d’ouvrir les hostilités. Mais si la solidarité avec la Palestine et le rejet de la politique d’agression d’Israël a pu se traduire par de telles violences, avec de petits groupes qui ont voulu en découdre avec d’autres, voire avec des individus, c’est aussi et avant tout parce que toute manifestation était interdite par la coalition de centre-gauche à la tête de la capitale. Femke Halsema a d’ailleurs prolongé jusqu’à ce week-end toutes les interdictions de rassemblement à Amsterdam et Amstelveen, en banlieue de la capitale.
Qu’importe la réalité pour les médias et politiques français. Toute la journée de vendredi, ces derniers se sont alignés sur la rhétorique du gouvernement israélien, reprenant à leur compte la description des affrontements comme des « pogroms anti-Juifs ». Après l’évocation par Macron de scènes évoquant « les heures les plus indignes de l’Histoire », Marine Le Pen a expliqué : « la haine des juifs se répand comme une traînée de poudre dans plusieurs pays européens, portée par la rhétorique incendiaire de l’extrême-gauche gangrenée par l’idéologie islamiste. »
Ce cadrage a été largement nourri par les médias et les chaînes d’info en continu tout au long de la journée, mais on l’a retrouvé jusque du côté du Nouveau Front Populaire. Olivier Faure, a ainsi dénoncé sur X des « lynchages antisémites » et appelé à une prise de conscience « à la veille de l’anniversaire de la nuit de cristal ». Fabien Roussel a quant à lui affirmé sans détour que « des supporters ont été chassés, menacés et lynchés, dans la rue d’une ville européenne, car ils sont juifs. » Des sorties qui assimilent les affrontements d’Amsterdam au nazisme et à l’antisémitisme, en occultant totalement les fondements réels des tensions qui ont nourri les violences, et en alimentant l’association entre soutien à la Palestine et haine des Juifs.
Au regard de ce qui a réellement eu lieu, on ne peut que souligner que la solidarité avec Gaza et la Palestine ne pourra avancer en s’en prenant, individuellement ou à des petits groupes qui arborent un drapeau israélien. Et que de façon tout aussi cruciale, la lutte contre l’antisémitisme reste une nécessité vitale alors que les atrocités de l’Etat d’Israël, mais aussi les tentatives, y compris sur un terrain judiciaire, d’assimiler soutien à la cause palestinienne et antisémitisme participent à alimenter le racisme antijuif. Néanmoins, par-delà les instrumentalisations de tout bord, la principale violence en cours est celle du génocide perpétré contre Gaza. Et l’absurdité supplémentaire, ce n’est pas simplement les conceptions géographiques « élargies » des dirigeants de l’UEFA, qui incluent Israël (et non l’Egypte, le Liban ou la Syrie, qui pourraient tout autant y prétendre) comme partie-prenante du football « européen ». C’est aussi et surtout le fait de maintenir des matchs et des compétitions sportives, qui sont censées être apolitiques, avec des équipes dont les responsables politiques procèdent à un génocide en bonne et due forme. Mais sur ce plan, également, les dirigeants du foot-fric, autant que ceux des gouvernements européens, ont l’empathie à géométrie variable.
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