C’est une décision qui restera dans les annales. Le Libanais Georges Ibrahim Abdallah, considéré par certains comme le « plus vieux prisonnier au monde lié au conflit du Moyen-Orient », doit retrouver la liberté après quarante ans derrière les barreaux en France.
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Le militant communiste libanais, ancien instituteur, ardent défenseur de la cause palestinienne, était depuis quarante ans derrière les murs de la prison de Lannemezan, dans le sud-ouest de la France. Sous le numéro d’écrou 2388/A221, il était considéré comme le « prisonnier politique » le plus ancien d’Europe, incarcéré pour complicité d’assassinat, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 1986.
« Je suis heureux, déjà. Même si le parquet fait appel, évidemment. C’est déjà une victoire et politique et judiciaire. La décision du tribunal n’est pas conditionnée à la prise d’un arrêté d’expulsion par le gouvernement », a réagi sur RFI son avocat Jean-Louis Chalanset. « Comme c’est le plus vieux prisonnier au monde lié au conflit du Moyen-Orient, je pense que la Cour d’appel aura la même lecture que le tribunal. C’est une condamnation à mort sinon. »
« Je viens d’apprendre la nouvelle, mais est-ce que le parquet n’est pas en train de faire appel déjà ? », a déclaré à RFI, visiblement émue, la prix Nobel de littérature Annie Ernaux, soutien de la libération de Georges Ibrahim Abdallah. « C’est formidable parce que ça fait plusieurs années que je suis l’histoire, le parcours de Georges Ibrahim Abdallah, et que je vois à quel point il y a un déni de justice et qu’à chaque fois, sa demande de libération était recalée pour des raisons totalement politiques. C’est la France, mais aussi les États-Unis. Donc, j’éprouve un sentiment extraordinaire de libération. Moi aussi, d’une certaine façon. Et j’espère ce qu’il souhaite, c’est-à-dire de retourner au Liban. Je suis encore sous le coup et en même temps j’ai peur, effectivement, qu’à nouveau une entrave soit décidée par le gouvernement français, sous influence dirais-je, dans le contexte qui est le nôtre, la Palestine, Gaza, sous les bombes et considérée. Je veux dire que, voilà, on la considère toujours comme l’ennemi, c’est effrayant. »
Complicité d’assassinat
Âgé de 33 ans le 24 octobre 1984, le militant chrétien libanais, ancien du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), entre dans un commissariat de la ville de Lyon pour demander à être protégé de ce qu’il pense être des agents du Mossad à ses trousses. En réalité, ce sont des agents français qui le filent, car il occupe à l’époque un appartement au nom d’un individu arrêté en Italie avec six kilos d’explosifs.
Malgré son passeport algérien, la Direction de la surveillance du territoire (DST) s’aperçoit qu’il est le cofondateur des Fractions armées révolutionnaires libanaises, groupuscule marxiste qui considère qu’il faut mener des actions armées à l’étranger contre Israël et les États-Unis. Les FARL revendiquent cinq attentats, dont quatre mortels, en 1981-1982 en France. C’est l’époque d’une nouvelle offensive israélienne au Liban.
Georges Abdallah est arrêté en 1984 pour détention d’armes et usage de faux papiers. En 1985, un Français est pris en otage à Tripoli, au Liban, par le groupe révolutionnaire. Un deal est alors mis en place avec entre Alger et Paris : la libération de Georges Abdallah contre celle du Français Gilles Sidney. Mais le marché ne verra jamais le jour et seul le ressortissant français sera libéré. Car des armes sont découvertes au domicile du militant libanais à Paris, ces mêmes armes qui ont tué deux diplomates en 1982 à Paris : l’Américain Charles Ray et l’Israélien Yacov Barsimantov, qui se révèleront être des agents de la CIA et du Mossad.
Il est alors condamné, en 1987, à la réclusion criminelle à perpétuité, avec une peine de sureté de quinze ans, après avoir été reconnu coupable de complicité d’assassinat à Paris. Le climat dans lequel se déroule le procès est particulièrement houleux : Paris est traversé par une vague d’attentats et de prise d’otages au Liban qui, on le saura plus tard, ne sont pas le fait des FARL mais de groupuscules pro-iraniens. Aussi, à partir de 1986, le jugement des crimes terroristes relève de la cour d’assises spécialement composée de magistrats professionnels et non des jurés issus de la société civile. Le procès du militant libanais sera le premier de cette cour spéciale.
Une affaire pleine de secrets et de mensonges
Emprisonné depuis son arrestation en octobre 1984, Georges Ibrahim Abdallah était libérable depuis 1999, mais toutes ses demandes de libération conditionnelle avaient été retoquées, au motif qu’il n’a jamais émis de regrets vis-à-vis des crimes qu’il a toujours niés. Sauf une, en 2013, acceptée sous réserve qu’il fasse l’objet d’un arrêté d’expulsion. Mais le ministre de l’Intérieur d’alors, Manuel Valls, ne signe pas cet arrêté, rendant donc impossible sa libération alors que le Premier ministre libanais Najib Mikati, en visite à Paris, avait demandé en personne aux autorités françaises la libération de ce compatriote qu’il qualifiait de « prisonnier politique ». Nelson Mandela, l’un des prisonniers politiques les plus connus au monde, est resté derrière les barreaux 27 ans et 190 jours.
Depuis quarante ans, de nombreux témoignages, ne provenant pas seulement de la défense de Georges Ibrahim Abdallah, avaient fait surface sur cette affaire hors normes. Jacques Vergès, son avocat d’alors, en produisant des documents du département d’État américain, dénonçait : « C’est le gouvernement des États-Unis qui oppose un veto intolérable à sa libération. » La main des États-Unis a été pointée à plusieurs reprises pour expliquer le blocage de la procédure de libération. Depuis le début, Washington suivait de très près l’enquête menée à Paris, jusqu’à se constituer partie civile, et les acteurs du monde judiciaire ou de la lutte anti-terroriste, dans leurs mémoires, racontent tous aujourd’hui avoir subi des pressions dans ce dossier. Comme Yves Bonnet, ancien patron des services secrets français (DST), qui parlait désormais d’une vengeance d’État contre Georges Ibrahim Abdallah, orchestrée par les Américains.
Ainsi, ce serait eux qui auraient fait pression sur la France pour prononcer à l’époque une telle peine. WikiLeaks révèlera plus tard qu’en effet, les États-Unis ont poussé, voire forcé, les autorités, pour que le militant libanais reste en prison. En 2007, un exemple parmi tant d’autres révélé par les câbles diplomatiques, le département d’État affirmait : « Le gouvernement des États-Unis exprime sa ferme opposition quant à l’éventualité d’une mise en liberté conditionnelle de Georges Ibrahim Abdallah. »
Peine incompatible avec la Convention européenne des droits de l’homme
Aussi, un mois après le verdict, en mars 1987, le premier avocat de Georges Ibrahim Abdallah publiait un livre dans lequel il avouait être une taupe pour le renseignement français. Mais le procès n’a pourtant pas été révisé. Pour ses défenseurs, le militant libanais était un bouc émissaire victime de la raison d’État. Un prisonnier politique. Un terme utilisé par les soutiens de Georges Abdallah et qui est aujourd’hui encore utilisé par de nombreux avocats. « Mais il a disparu parce que dans la loi, on ne veut plus avoir de prisonniers politiques, expliquait en 2022 sur RFI Antoine Mégie, spécialiste de la justice anti-terroriste. Dans les années 1980, avec l’abrogation de la peine de mort, mais aussi cette fin des crimes politiques, on considère qu’en France plus personne n’est un prisonnier politique. Oui, d’un point de vue légal, il n’y a plus de prisonniers politiques en France, mais il est évident que la justice et son interaction avec le politique restent prédominantes dans le traitement de ce qu’on va appeler le terrorisme. Mais cette qualification de terroriste est, là aussi, extrêmement fluide. Cette affaire est devenue le symbole du prisonnier politique alors même qu’on cherchait à la dépolitiser. »
En 2021, la Cour européenne des droits de l’homme estimait que les peines de réclusion à vie, avec possibilité de libération conditionnelle seulement après quarante ans d’incarcération, étaient incompatibles avec la Convention européenne des droits de l’homme. D’autres s’interrogeaient : pourquoi Georges Abdallah est toujours en prison alors que l’assassin de l’ancien Premier ministre iranien Chapour Bakhtiar a été libéré moins de vingt ans après l
« Je trouve anormal et scandaleux de maintenir encore Georges Ibrahim Abdallah en prison, déclarait déjà en 2012 Yves Bonnet. Je considère qu’il avait le droit de revendiquer les actes commis par les FARL comme des actes de résistance. Après, on peut ne pas être d’accord, c’est un autre débat. Mais il faut se souvenir du contexte, aussi, des massacres de Sabra et Chatilah dont les coupables n’ont jamais été punis. Et aujourd’hui, la France garde cet homme derrière les barreaux alors qu’elle a libéré Maurice Papon* ? »
Lundi 7 octobre, la justice française avait examiné cette onzième demande de libération conditionnelle en présence de Georges Abdallah, 73 ans aujourd’hui, de son avocat, du conseil des États-Unis, partie civile, et de deux représentantes du Parquet national antiterroriste (Pnat). Les deux procureures du Pnat s’étaient « opposées très vivement » à sa libération, « qu’elles ont essayé de lier au Hamas et au Hezbollah (…) pour dire qu’il représenterait un danger s’il était libéré », confiait à l’issue de l’audience Me Chalanset. La requête de remise en liberté conditionnelle était accompagnée d’une demande d’expulsion vers le Liban du militant qui craint pour sa sécurité s’il devait rester en France.
Plus vieux prisonnier politique d’Europe, son cas n’était plus évoqué ni dans les médias ni dans le milieu judiciaire ou politique depuis bien longtemps. Pourtant, Georges Ibrahim Abdallah était le prisonnier politique recevant le plus de courrier en prison. Depuis sa cellule de 9 m², il continuait de militer en faveur de la cause palestinienne. Le militantisme est le sens de sa vie.
Chaque 26 octobre depuis quatorze ans, des milliers de sympathisants se retrouvaient devant les grilles de la prison de Lannemezan pour réclamer sa libération et de nombreuses pancartes étaient régulièrement brandies dans les manifestations contre la guerre en Palestine et au Liban, deux pays dans lesquels il est un symbole de résistance et de lutte pour l’émancipation des peuples.
* Ancien haut fonctionnaire de Vichy condamné à 10 ans de prison pour crime contre l’humanité, pour avoir participé à la déportation de centaines de juifs vers Auschwitz. Il sera finalement libéré après trois ans de prison, en raison de son état de santé.
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