La vague de grèves économiques actuelles aussi importante soit-elle n’inquièterait pas tant les possédants s’il n’y avait pas en plein milieu de cette marée de colères populaires, le risque d’une motion de censure du gouvernement sur le budget et donc la possibilité de sa chute, en même temps que la possibilité de la mise en minorité du gouvernement par un vote à l’Assemblée contre la réforme des retraites et enfin le danger d’un retour institutionnel – et donc cette fois largement dans la rue – de la question de la destitution de Macron.
La hantise des classes possédantes a toujours été que s’inverse le débouché politique qu’elles donnent traditionnellement aux grèves économiques avec des élections dans le cadre de leur système dit représentatif et que ce débouché au mouvement social devienne le mouvement social lui-même devenu politique en étant porté à son terme par la grève générale politique, en d’autres termes, devenant un mouvement révolutionnaire.
Tout le système de représentation politique bourgeois est fait pour l’empêcher en séparant économique et politique. Les partis n’interviennent pas de manière active et ouverte dans les conflits sociaux et les directions syndicales cantonnent les grèves au domaine économique, ce qui signifie dans ce dernier cas une politique systématique d’émiettement de ces luttes, afin qu’elles ne prennent pas trop d’ampleur et ne s’affrontent pas au gouvernement pour le renverser. On l’a encore vu avec le mouvement des retraites, qui malgré la politique inefficace des journées saute moutons avait pris une telle ampleur qu’il portait largement le slogan « Macron démission », retrouvant le slogan des Gilets Jaunes. En même temps, la jeunesse activait ce slogan politique spontanément dans la rue en manifestant tous les soirs contre les 49.3 à répétition, donnant la logique que portait le mouvement en échappant au contrôle des directions syndicales et politiques. De la même manière, contre l’air général réactionnaire du moment, des manifestations écologiques radicales contre les mégabassines et de lutte contre la militarisation de la jeunesse avec le SNU, accompagnaient le mouvement social en le politisant qui fut d’ailleurs prolongé politiquement par les « casserolades » qui visaient le gouvernement en essayant d’empêcher les déplacements des ministres, montrant en quelque sorte que le pouvoir pouvait être aussi dans la rue.
C’est par crainte de cette évolution du conflit social vers des objectifs politiques, c’est-à-dire pouvant se donner des objectifs non plus défensifs mais offensifs qui dépassent le cadre de cette société capitaliste pour aller vers un autre monde meilleur plus fraternel et égalitaire, alors que les syndicats se battent au sein de ce cadre sans le remettre en cause, que les directions syndicales ont mis fin au mouvement alors qu’il était au plus haut après la 1er mai 2023. Il a fallu dans la foulée, l’abandon ou la trahison par la majorité des partis d’opposition et des directions syndicales, du mouvement des jeunes de quartier qui pouvait relancer, radicaliser et politiser celui des retraites, pour qu’en développant une vague de haine et de répression raciste contre ces jeunes, le souvenir de ce rapprochement économique et politique, c’est-à-dire l’espoir d’un autre monde construit par les exploités et opprimés, soit oublié.
Cependant aujourd’hui, toute la situation pousse en permanence à ce dépassement de l’économique par le politique. La contre révolution sociale et politique à laquelle se livre la bourgeoisie depuis des années, avec ses attaques incessantes contre la retraite, la protection contre le chômage et la maladie, le niveau de vie, les droits ouvriers mais aussi les droits démocratiques, les droits des femmes ou la protection de l’environnement changent l’ancien rapport de l’économique au politique pour les classes exploitées. La crainte de cette politisation du prolétariat, transforme peu à peu l’ancien système d’alternance gauche/droite, ou Démocrates/Républicains aux USA, qui dissimulait l’oppression de classe derrière l’apparence de liberté avec des débats contradictions au sein de ses institutions parlementaires ou de la presse qui peuvent profiter à la politisation de ceux d’en bas. Les capitalistes prennent directement en main le système avec les milliardaires et le remplacent par des régimes à leurs soldes de plus en plus autoritaires, ou dictatoriaux, passant par-dessus les institutions parlementaires et transformant la presse en simple instrument de propagande en cherchant globalement à liquider les libertés d’expression, de manifestation, de faire grève et tout simplement de protestation.
C’est très clairement le programme de Meloni ou celui de Trump. Du « cause toujours », on passe progressivement au « ferme ta gueule ».
Cela accélère en conséquence la tendance dans les classes populaires à comprendre qu’on ne peut plus avoir satisfaction sans remettre en cause le régime tout entier et à chercher pour cela ses informations en dehors de la grande presse. Retrouver l’ancien système de retraite signifie renverser Macron, défendre l’environnement signifie renverser Macron, etc. Et tout succès partiel dans ce cadre, n’arrêtant pas le recul social général, est surtout perçu par-delà l’amélioration immédiate, comme un encouragement moral à prendre confiance en sa force pour aller plus loin, c’est-à-dire dans la situation actuelle, une stimulation à renverser le système et ses défenseurs.
Inversement, Macron et les possédants, doivent tout faire pour que les opprimés ne puissent pas avoir l’espoir d’un monde meilleur. Jamais, pas une minute, pas une seconde. Ils savent que le niveau de luttes politico-économiques n’a jamais été aussi haut dans le monde comme dans toute l’Europe. 2023 a ainsi battu tous les records. Certains pays comme les Pays-Bas ont atteint le plus haut niveau depuis 50 ans, d’autres comme la Norvège depuis la seconde guerre mondiale, pour Chypre de toute son histoire et pour la Finlande la plus longue grève générale politique de son histoire qui a fait tomber le gouvernement droite/extrême-droite.
La tendance est la même en France où la croissance des luttes a été de 71% par rapport à 2022, au Royaume Uni avec de nombreuses grèves victorieuses, en Roumanie où les salaires des enseignants sont augmentés de 25% avec des tendances semblables dans les pays baltes, et puis des luttes sans précédent en Serbie, Tchéquie, Slovaquie, des reprises de luttes importantes en Allemagne, avec des multiplications de journées de grèves générales en Italie, Grèce, Belgique, et même dans des pays peu habitués aux conflits sociaux. Et 2024 sera du même tonneau. Il suffit de peu pour que toute la situation bascule. Les possédants le savent et font tout pour que les classes populaires, elles, ne s’en rendent pas compte et que le nez dans le guidon des reculs sociaux et démocratiques, ne perçoivent pas en même temps la dynamique de leur force montante.
Pour freiner et diviser cette montée, pour démoraliser, les rangs populaires, en plus de leurs moyens de désinformation, les puissants ont aujourd’hui la xénophobie, le racisme, le sexisme ou encore le pessimisme, le désespoir qui sont devenus la forme moderne des discours de la servitude volontaire, serinés en permanence dans les rangs populaires par leur immense machine bureaucratique et médiatique…. On ne peut pas gagner, les gens sont trop cons… Et quand ça ne suffit pas, comme lors des législatives de juillet en France, ils font tout pour que le sentiment de victoire populaire n’aboutisse pas et soit oublié au plus vite. C’est pourquoi Macron a refusé de choisir un premier ministre issu du NFP, afin de contenir ce sentiment de réussite. C’est la principale raison.
Cependant, malgré tout ce qui se fait en haut pour empêcher les prises de conscience en bas, le simple déroulement de la vie pousse tous les jours à la prise de conscience de la nécessité d’une lutte d’ensemble et à sa traduction pratique en lutte articulant politique et social, pour une autre vie, un autre monde aux antipodes de la marche actuelle vers la guerre et du pouvoir aux mains de psychopathes. Ainsi, Macron a voulu faire des JO un moment de pause des luttes pour mieux célébrer sa gloire et mieux faire passer ses attaques. Mais c’est tout le contraire qui s’est passé. Il a récolté un formidable mouvement de grèves économiques pour des primes dans de nombreux secteurs professionnels (cheminots, RATP, aiguilleurs du ciel, hospitaliers, grande distribution… sans oublier des zones entières come la Polynésie) auquel le gouvernement a le plus souvent cédé et parfois à un niveau de concessions revendicatives pas vu depuis les années 1970, par peur que ce mouvement en se connectant avec celui, parallèle et politique, qui dénonçait en même temps le monde du fric et de l’abrutissement nationaliste des JO, ne finisse par transformer cette « fête du sport » en vitrine mondiale de la contestation de son régime et plus généralement du capitalisme. Pour empêcher le développement du sentiment de réussite contre les JO et le punir, il a dissous l’Assemblée afin de passer le flambeau gouvernemental au RN. Mais nouvel échec… Alors, contre le succès de la création du NFP, puis de sa victoire électorale, mais surtout contre la mobilisation de la base qui y a conduit et pour qu’elle ne prenne pas confiance en elle, il choisit le coup de force et forme un gouvernement Barnier, LR/LREM soutenu par le RN… au risque d’un gouvernement fragile, illégitime, à la merci d’une quelconque anicroche.
Il est ainsi à deux doigts de la débâcle, lorsque la jeunesse engage la lutte avec un certain succès le 7 septembre pour la destitution de Macron et la chute de son gouvernement. Il n’est alors sauvé in extremis que par le refus des directions syndicales de s’engager dans cette lutte politique, qui se précipitent au contraire pour donner une légitimité à ce gouvernent illégitime en lui quémandant des rencontres et du « dialogue social ».
Mais nouvelle accélération de la situation, c’est une vague de grèves principalement contre près de 200 plans sociaux et plus de 150 000 licenciements qui s’ajoute alors aux autres luttes pour des augmentations de salaires ou pour les conditions de travail… Et au beau milieu, il y a ce gouvernement fragile, minoritaire, illégitime. A la crise sociale s’ajoute la crise politique autour du vote du budget d’austérité, la réforme des retraites et la destitution de Macron remis sur l’ouvrage par LFI entraînant le NFP, avec à clef des 49.3, une motion de censure et la chute du gouvernement possible, tandis que le RN est tout à la fois empêtré dans son procès pour détournement de fonds publics et ne sait plus s’il doit continuer à soutenir le gouvernement Barnier/Macron au risque de perdre une partie de son électorat, ou de le censurer au risque, si près du pouvoir, de perdre le soutien de la bourgeoisie par sa participation au chaos ouvrier et non à l’ordre bourgeois.
Bien sûr, dans le cadre du système de l’alternance qu’elle voudrait préserver, LFI cantonne son activité visant la chute du gouvernement au domaine purement parlementaire et institutionnel et n’en fait en rien un objectif convergent du mouvement social, en ne donnant pas l’objectif de marcher sur le Parlement le jour du vote pour l’abrogation de la réforme des retraites ou marcher sur Matignon et/ou l’Elysée le jour du 49.3 et de la motion de censure sur le budget.
LFI ne veut pas faire de la chute du gouvernement une affaire de ceux d’en bas par la rue mais veut la réserver aux élus par les institutions. Et bien sûr encore, les directions syndicales, ne veulent rien faire ni pour unifier toutes ces luttes qui pourraient faire vaciller ce gouvernement si fragile, ni pour associer le mouvement social aux côtés de LFI, ajouter la rue et la grève dans la lutte contre le budget d’austérité, contre la réforme des retraites ou pour la destitution de Macron. Mais comme s’invitent dans la période les méthodes de lutte radicales des martiniquais contre la vie chère, celles des agriculteurs et des Gilets Jaunes et de la jeunesse pour l’environnement, avec un réel potentiel de contagion dans ce moment tendu, les directions syndicales multiplient les journées nationales d’action inefficaces, émiettées par profession, presqu’une par jour du 12 novembre au 12 décembre, avec même une potentielle grève illimitée des cheminots à partir du 10 décembre et une journée de convergence des luttes pour l’emploi le 12 décembre, afin tout à la fois tenter de ne pas perdre la face et en même temps de garder un contrôle sur la situation si elle dérapait.
Quel que soit l’effet de ces manœuvres dans les semaines à venir pour empêcher la construction d’une grève générale politique visant Macron et son gouvernement, l’accélération du rapprochement des grèves économiques et des luttes politiques est inscrit dans l’air du temps. Nous marchons vers une méga crise politico-sociale cet automne/hiver ou début 2025 avec la continuation des licenciements et les allers et retours à ce moment entre le parlement et le sénat autour de la réforme des retraites… et ça enrage et panique littéralement le camp des possédants qui se sent impuissant et qui ne peut qu’espérer dans l’impréparation des classes populaires et de ses militants.
Alors préparons-nous !
Jacques Chastaing 17 novembre 2024
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