Entre les agriculteurs, les cheminots, la fonction publique, les agents départementaux, les chauffeurs de bus, de taxi, de VTC, les animateurs périscolaires, les pilotes, les agents hospitaliers et ceux des écoles, les employés des crèches et pour la protection de la petite enfance, ceux de France travail, Radio France ou du spectacle et les très nombreuses grèves et luttes ou manifestations des ouvriers menacés de licenciements d’Auchan à Michelin en passant par ArcelorMittal, Vencorex ou Arkema et toute la chimie auxquels s’ajoutent les manifestations des retraités, celle de Gilets jaunes, des femmes et pour la Palestine, la France ressemblerait déjà à une cocotte minute prête à exploser mais il faut ajouter à cela l’éventuel rejet par le Parlement le 28 novembre de la réforme des retraites et la possibilité que ce gouvernement illégitime, minoritaire et fragile tombe face à une motion de censure avant la fin de l’année.
Pourtant, il manque encore quelque chose, l’étincelle, pour que ce qui n’est pour le moment que potentialité devienne réalité et que l’explosion ait lieu. Cela pourrait se faire s’il y avait un appel à manifester massivement par les partis et les syndicats le 28 devant l’Assemblée ou l’Elysée car cella donnerait des objectifs unifiés aux luttes sectorielles actuelles mais il n’y en aura probablement pas.
Alors d’où cela peut-il venir ?
Il y a aujourd’hui une différence entre les multiples mobilisations syndicales du moment et celles, semblables, du début de l’année 2024 initiées aussi par les agriculteurs en janvier 2024 suivies et accompagnées de mouvements de grèves et manifestations dans la grande distribution ou chez les cheminots puis surtout dans la foulée par deux larges mouvements s’alimentant l’un l’autre, l’un politique contre les JO et l’autre revendicatif économique pour l’obtention de primes à l’occasion des JO. Cet ensemble remettait en cause ce qui devait être avec les JO un triomphe pour Macron qui lui aurait permis dans la foulée une nouvelle vague de destruction des droits ouvriers et démocratiques. Ce fut l’inverse. Macron, apeuré, céda aux revendications comme on ne l’avait pas vu depuis les années 1970. Aussi, ensuite, pour punir ce mouvement et empêcher cette confiance ouvrière retrouvée de développer plus d’effets, il a choisi de dissoudre l’Assemblée et de passer le flambeau gouvernemental au RN juste avant les JO. Mais là encore, cela a été un échec. La porte était ouverte pour de nouveaux succès ouvriers.
Cependant, en début d’année 2024, les mouvements étaient – pas que, mais surtout-, partis d’en bas par-dessus les directions des partis et des syndicats. Aujourd’hui, ils sont -pas que mais surtout-, initiés par en haut par les directions des partis et des syndicats. Ce qui fait que la participation à ces mouvements et leur dynamique ne sont pas les mêmes. Même si la colère est tout aussi grande voire peut-être encore plus élevée, on ne ressent pas aujourd’hui la même explosivité chez les agriculteurs parce qu’ils voient bien que pour la FNSEA ou sa tendance d’extrême-droite, la Coordination rurale, toutes d’eux actrices du libre échange agricole qu’elles prétendent combattre, leurs préoccupations principales sont surtout électorales en vue des élections aux chambres d’agriculture de janvier 2025.
Il en va de même pour les directions syndicales nationales ouvrières qui sont très engagées aujourd’hui dans les élections professionnelles dans les Très Petites Entreprises. Que s’est-il passé, pourquoi ce basculement du bas verts le haut ?
Ça a été le lâchage par les directions syndicales ouvrières le 7 septembre et les semaines suivantes de la jeunesse et de LFI qui avaient appelé à se mobiliser dans la rue pour la destitution de Macron. Cette initiative avait rencontré une adhésion populaire importante car elle correspondait à l’indignation largement partagée à ce moment par la majorité des citoyens contre le coup de force de Macron après les législatives et se situait dans le prolongement de ce succès aux législatives et celui des mouvements contre les JO. Mais les directions syndicales qui ne voulaient pas de la lutte contre les JO et qui l’ont boudée tout autant que les succès acquis sans elles, ne voulaient pas non plus un prolongement social au succès politique des législatives. Elles ont donc déserté, et plus grave pour certaines d’entre elles, violemment dénoncé et saboté ce mouvement de la rue pour destituer Macron, trop proche de l’obtention des revendications et d’un gouvernement du NFP par la rue, trop proche pour elles d’une logique révolutionnaire. En empêchant ce mouvement de se déployer, elles ont protégé de fait ainsi Macron et son putsch et cassé la filiation et la mémoire des succès comme la confiance des salariés en eux-mêmes que cette mémoire portait. C’est pourquoi les salariés ont fait payer cette trahison aux directions syndicales par le bide total de leur journée d’action du 29 octobre 2024 et encore aujourd’hui par l’engagement modéré dans leur série de journées d’action par secteur, mais en même temps ils ont perdu l’initiative qu’ils avaient gagnée aux JO et prolongé dans la mobilisation inédite de la campagne des législatives puis la manifestation du 7 septembre.
Et puis surtout, ces initiatives partant d’en bas, témoignaient que de plus en plus de monde a compris que la situation actuelle de contre révolution sociale et politique menée par les possédants nécessite pour être efficace de sortir de la routine des luttes économiques chacun pour soi dans son secteur ou son entreprise, sans autre perspective que les sempiternelles journées d’action saute-moutons sans suite, sans plan d’ensemble. La menace de la guerre commence malheureusement à s’imposer au quotidien dans les esprits avec lié à cela et en même temps la possible accession au gouvernement de l’extrême-droite renforcée par le succès de Trump. Tout le monde ou presque, a compris que les succès électoraux peuvent être achetés par la main mise des milliardaires sur les médias. L’époque de l’alternance avec une presse démocratique adéquate est terminée. Nous sommes entrés clairement dans un période de socialisme ou de barbarie.
Nous savons que nous sommes infiniment plus nombreux que nos adversaires et que nous occupons régulièrement la rue ce qu’ils n’arrivent absolument pas à faire. Mais la période nous a aussi appris qu’avec leur argent, leurs médias et le racisme, ils peuvent se payer des succès électoraux qui leur permettent de s’acheter les appareils d’État pour restreindre nos libertés et nous conduire à l’esclavage. C’est pourquoi nous savons que nos luttes doivent changer d’ambition, d’ampleur et d’objectifs. Plus que jamais, sans viser la grève générale, de plus en plus savent que nous ne gagnerons plus jamais. Ce n’est que lorsque la bourgeoisie craint la grève générale qu’elle fait des concessions pour empêcher son développement.
Alors sans parti, sans média et sans organisation pour répondre à ce défi de la situation et sachant que tout ce qui vient des appareils politiques et syndicaux n’a aucune chance de gagner sauf par leur débordement, de plus en plus de monde sent alors que seul ce qui part d’en bas peut aboutir, parce que le développement en est imprévisible et infiniment plus lié aux nécessités du moment. Le succès des manifestations du 23 novembre contre les violences faites aux femmes en plein procès contre les viols de Gisèle Pélicot en est encore une illustration. C’est cette impulsion d’en bas qui peut susciter une adhésion d’autant plus rapide et large qu’elle se fait alors au prorata de l’affolement croissant que cela suscite en même temps chez les possédants, ce qui n’est guère le cas lorsqu’il y a contrôle des luttes par en haut.
La plupart des luttes nationales de la quinzaine à venir, en particulier début décembre, autant celle annoncée comme illimitée des cheminots que celle de la fonction publique sur un ou trois jours ou encore celle des agriculteurs – à part celles contre les licenciements avec une possibilité d’extension ou de généralisation à partir du 12 décembre – sont suscitées par en haut. En même temps, elles répondent à une colère d’en bas et se situent également dans une situation générale où toutes les questions économiques les plus immédiates peuvent prendre soudainement un tour politique global parce qu’il est latent.
Or, ce sentiment latent et la confiance en soi qui l’accompagne peuvent être exprimés par le fait que l’Assemblée nationale va peut-être voter le 28 novembre contre la réforme des retraites et que le gouvernement peut aussi tomber à l’occasion d’une motion de censure avant la fin de l’année. Rien n’est sûr, mais si ces deux évènements ont lieu dans ce contexte de luttes et l’état d’esprit qui les accompagnent, cela peut avoir des répercussions sans précédent. Cela, non pas parce que beaucoup se feraient des illusions sur l’efficacité d’un tel vote ou d’une éventuelle chute du gouvernement s’ils restent dans le cadre institutionnel-, mais parce que l’un comme l’autre peuvent donner le sentiment du succès – comme cela l’avait été lors de la victoire des législatives et explique l’acharnement de Macron contre ce sentiment à refuser un gouvernement NFP.
Ce sentiment de succès, peut en effet redonner une confiance politique en eux-mêmes à bien des travailleurs en lutte, la confiance même qui est au fondement des mouvements qui partent d’en bas. C’est cette dimension morale qui manque aux exploités et opprimés aujourd’hui pour prendre l’initiative de manière plus radicale et auto-organisée afin de balayer toutes les frontières entre journées d’action, entre professions en lutte, entre paysans et ouvriers, étudiants et travailleurs, jeunes et vieux, féministes et exploités masculinistes ou encore entre écologistes et prolétaires défendant leur emploi et de faire de leurs luttes actuelles une lutte commune tout à la fois contre Macron et son régime mais aussi contre toutes les exploitations et toutes les oppressions.
Cela ne se passera peut-être pas ainsi, les gardes fous du système sont nombreux et puissants. Mais en même temps, nous n’en sommes peut-être pas loin, peut-être juste à quelques semaines de la mise en route de ce mécanisme.
Quoi qu’il en soit, demain ou plus tard, cette situation pleine de contradictions, totalement inédite par rapport à ce qu’on connait depuis des décennies, peut basculer rapidement du tout au tout et c’est un brasier potentiel.
Jacques Chastaing, 24 novembre 2024
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