A propos de Ruffin et de sa reconnaissance du génocide en Palestine.

A propos de Ruffin et de sa reconnaissance du génocide en Palestine.
Hier, j’ai salué le revirement de Ruffin qui reconnait que la tragédie palestinienne a un nom : génocide.
Les réactions, nombreuses, sont quasiment toutes les mêmes : scepticisme ou sarcasme. Soit ce serait un calcul cynique de sa part, soit il se comporterait comme une girouette (c’est pas la première fois qu’il fait le coup).
Superficiellement, on peut adhérer à ces hypothèses car elles ne sont pas fausses. Mais c’est un peu court.
D’abord la plupart des gens qui s’expriment n’ont aucun poids politique. Quand on est un simple citoyen ou même un militant de base d’une quelconque organisation de gauche ou organisation antiraciste ou antiimpérialiste, parler de génocide est un acte qui ne coute presque rien (je dis presque à cause du délit d’apologie de terrorisme qui peut s’abattre sur n’importe qui), surtout quand on le fait dans l’anonymat derrière son clavier ou noyé parmi des milliers d’autres dans une manif propal. Je suis sûre qu’en cherchant bien on peut même trouver ça et là de braves militants de la droite chrétienne modérée utiliser le mot, voire même des militants socialos perdus dans leur Corrèze natale. C’est dire.
Mais Ruffin n’est pas un simple militant de gauche. C’est un leader. Et « pire » qu’un simple leader, il est une pièce maitresse de la stratégie des anti-Mélenchon pour affaiblir la FI. Ils sont nombreux à droite de la FI à fonder de grands espoirs sur le frondeur Ruffin. Ils vont du PC à la Macronie sans parler du RN qui ne peut que se satisfaire des bisbilles au sein du NFP. Par conséquent, les « calculs » de Ruffin, qu’ils soient cyniques, électoralistes ou de conscience (ce que je n’exclus pas d’emblée), doivent être appréciés à l’aune de cet enjeu. Aujourd’hui, qualifier les massacres de masse en Palestine de « génocide », c’est envoyer un message clair à un camp, c’est décider de basculer dans l’autre. Or le camp néo-con, sioniste, raciste, impérialiste qui mobilise toutes ses forces – et elles sont puissantes – pour terroriser quiconque parlerait de génocide, vient ponctuellement (et j’insiste sur ponctuellement) perdre l’un de ses pions au profit des positions de la FI et des islamo-bamboulas.
Ruffin, rappelons-le, c’est le type qui arrive dans la scène publique en croyant que la politique en France c’est juste une question de patrons et d’ouvriers sachant que, dans son imaginaire étriqué, les ouvriers sont blancs. Les classes populaires non blanches sont un angle mort dans son cerveau. Elles sont là, elles perturbent ses schémas mentaux mais comme il ne sait pas quoi en faire, il les enterre dans un caveau mental jusqu’à ce qu’elles se rappellent à lui mais seulement sous la forme de zombis – spectrales. Qu’elles fassent partie de la classe ouvrière ne lui effleure pas l’esprit. Mais ses ambitions (présidentielles?) lui font découvrir que la politique c’est plus vaste que son imagination. Par exemple, parfois le réel l’oblige à s’exprimer sur l’islamophobie (alors il a foot), ou sur les crimes policiers (sauf qu’il n’a pas lu le dossier), et depuis le 7 octobre, il découvre l’impérialisme (mais il ne sait pas trop si c’est une génocide). Il est loin de comprendre le rôle de la France des patrons et des ouvriers dans l’exploitation du monde ni la responsabilité centrale de son pays de cocagne dans l’état du monde, mais il se rend compte péniblement qu’il doit sortir de sa zone de confort. Il y a les patrons et les ouvriers, ok, et il y a le chaos, la guerre toussa toussa. Et comme il ne s’y est jamais intéressé (cf « Les blancs aiment-ils les enfants ?), il aborde ces questions comme un blaireau pour la bonne raison qu’en tant que blanc lambda (l’état racial intégral toussa toussa), le monde il s’en fout. Mais le problème, quand on veut devenir (président ?), c’est un pays impérialiste qu’on va devoir gouverner, donc du coup, le monde s’invite chez toi.
Pour le coup, basculer dans le camp de ceux qui appellent un chat un chat et un génocide un génocide doit être accueilli avec les honneurs que le geste mérite car il vaut mieux un Ruffin chez soi qu’un Ruffin chez les autres. Mais la ruffinologie étant une science inexacte, je n’irais pas jusqu’à déclarer Ruffin « butin de guerre » car on n’est pas à l’abri d’une rechute. Savourons plutôt la chose comme il se doit : un simple moment dans le processus aléatoire et incertain de l’hégémonisation.
J’en profite ici pour saluer Eugénie Bastié qui me lit toujours avec beaucoup d’attention. Comme elle est moins bête qu’Alexandre Devecchio elle saura en tirer les conclusions qui s’imposent. By the way, elle vient de publier une recension élogieuse d’un mauvais livre sur les « décoloniaux » (Critique de la raison décoloniale), écrit spécialement pour rassurer les gens de son espèce. Je me ris de la manière dont elle conjure ses angoisses de bourgeoise. Il y a les anxiolytiques et il y a le daoudo-sansalisme. Les deux ont fait leurs preuves!
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