Toute révolution dans un pays a forcément un impact, positif ou négatif, sur les rapports de forces entre les pays capitalistes concurrents qui l’environnent. De meme, toute grève ouvrière a forcement un impact, positif ou négatif, sur les entreprises concurrentes.
Ces impacts doivent être analysés, et pris en compte du point de vue de la lutte. Mais il ne faut pas en faire la grille d’analyse des évènements, sans quoi on aboutit forcément a des conclusions contre-revolutionnaires.
Quand un bureaucrate syndical relaie le discours patronal sur « la grebe qui fait le jeu des concurrents », on comprend immédiatement qu’il se soumet à la règle capitaliste de la concurrence. Or, c’est la meme logique qui est à l’œuvre quand un dirigeant réformiste relaie le discours bourgeois sur « la révolution qui fait le jeu d’un autre Etat » (ou bloc d’Etats).
Pour les anticapitalistes, la grille d’analyse d’une révolution est la meme que celle d’une grève: il faut prendre position du point de vue de la lutte des exploité.e.s et des opprimé.e.s -qui n’a pas de frontieres- et pas du point de vue des Etats ou des blocs d’Etats. C’est pourquoi l’anticapitalisme est fondamentalement internationaliste.
Tout.e militant.e anticapitaliste est censé savoir cela au moins depuis 1917. A l’époque, en effet, les Alliés et leurs soutiens sociaux-démocrates ont prétendu que l’Allemagne était « la grande gagnante » de la révolution russe. En réalité, cette révolution russe mit le feu aux poudres dans toutes les armées, notamment l’armée allemande, de sorte que les bourgeoisies durent mettre fin a la boucherie pour eviter l’extension de la rébellion.
Des courants de gauche, qu’on dit « campistes », se désolent aujourd’hui que les USA, la Turquie et Israël sont » les grands gagnants » du renversement de Bachar el-Assad, tandis que les perdants sont la Russie et le soi-disant « axe de la resistance ». Sur le plan des rapports de forces entre Etats capitalistes, c’est exact. Mais 1°) il suffit de voir la liesse et l’émotion populaires pour comprendre que les « grands gagnants » de la chute de Bachar sont avant tout les Syrien.ne.s! 2°) il est complètement faux de déduire de ses impacts géostratégiques que la revolution syrienne ne serait pas une révolution, ou pas une « bonne » révolution, ou qu’elle serait contraire aux intérêts du peuple palestinien.
Bachar el-Assad, les ayatollahs et Poutine n’ont rien fait pour arrêter le massacre du peuple palestinien par Netanyahou. Bachar y a participé, et Lavrov l’a légitimé en comparant la guerre contre Gaza à « l’opération militaire spéciale » contre l’Ukraine! Quant aux ayatollahs iraniens, la répression du mouvement « femmes, vie, liberté » montre assez ce qu’ils font des droits des opprime.e.s…
Les droits des Palestiniens ne découleront pas d’un compromis entre blocs d’états capitalistes concurrents sous l’égide de l’ONU. Ils ne peuvent qu’être imposés par une montée régionale de la révolution. Un nouveau « printemps arabe » qui va jusqu’au bout, met à bas tous les despotes -comme Bachar a été mis a bas- et assume un projet de coexistence internationaliste de toutes les communautés nationales et religieuses.
Rien ne garantit a cette heure que la révolution syrienne ira dans cette direction, c’est évident. Les obstacles sont très nombreux: fatigue des masses, islamisme, ingérence turque, etc. (lire Joseph Daher ). Mais la révolution est là, c’est un fait.
La révolution, selon le mot de Trotsky, est l’irruption des masses sur la scène où se decide leur destinée. Pour des anticapitalistes, toute révolution est bienvenue car elle ouvre des possibles. Il faut la soutenir, tout en aidant au maximum les forces qui cherchent a l’approfondir, par l’auto-organisation inclusive et démocratique des classes populaires et de toustes les opprime.e.s.
Pour les campistes, c’est différent: la révolution est bien venue quand elle éclate dans des pays du bloc occidental, comme l’Égypte ou la Tunisie; elle est gênante ( ou pire) quand elle éclate dans des pays de « l’autre bloc », comme la Libye ou la Syrie. Même chose pour la résistance: celle des Palestiniens est a soutenir, pas celle des Ukrainiens (ou des Ouïghours).
Le renversement de Bachar nous rappelle que, entre campisme et anticapitalisme, le choix est stratégique. Au sens le plus fort du terme.
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