France: Mobilisation paysanne

La FNSEA pisó el freno antes de empezar.

Par Gérard Florenson

La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricole (FNSEA) semble avoir réussi son opération de déminage: trois jours et pas davantage de manifestations avec quelques blocages peu bloquants pour servir d’exutoire à la colère de la grande masse des agriculteurs, puis retour au calme avec très peu de débordements. Cependant elle ne parvient pas à contrôler complètement la situation dans tous les départements car une partie des paysans mobilisés ne veut pas se satisfaire de cette action limitée. Pour éviter de se faire déborder, la FNSEA appelle donc à sortir de nouveau les tracteurs en évoquant un peu plus le revenu agricole, mais toujours en implorant le gouvernement de négocier.

La colère des paysans est fondée, comme lors des manifestations de janvier, par la difficulté de tirer un revenu suffisant de leur travail malgré de longues journées de labeur, difficulté aggravée par un endettement qui les étrangle et en met beaucoup au bord de la faillite. Force est de constater que malgré les promesses la situation est restée la même, que les exploitations agricoles sont toujours pressurées en amont et en aval. En amont par les fournisseurs de semences, d’aliment pour le bétail, de matériel agricole et bien entendu par les banques qui ne prêtent pas pour rien; en aval par ceux qui décident des prix et les tirent toujours à la baisse, les industries agroalimentaire, la grande distribution, les exportateurs. Il faut noter que nombre de ces exploiteurs sont de prétendues coopératives qui sont en fait des grands groupes fonctionnant comme des entreprises capitalistes et au sein desquels les dirigeants de la FNSEA ont souvent des postes dirigeants bien rémunérés.

Le refus des accords de libre échange entre L’union Européenne et Mercosur est mis en avant, y compris par la Confédération Paysanne dont cela semble la préoccupation principale si on en juge par son site. Les syndicats agricoles veulent faire pression sur Macron pour les bloquer. Cet accord en discussion inquiète légitimement une partie des agriculteurs, notamment les éleveurs, et cela doit être pris en compte plutôt que se cantonner à une double dénonciation abstraite du libéralisme et du protectionnisme.

Les contorsions de la FNSEA

La FNSEA a impulsé une mobilisation volontairement limitée pour paraître faire écho à la colère paysanne qui touchait aussi ses adhérents, lassés comme toute la profession des promesses non tenues qui avaient justifié la fin des mobilisations de janvier. Elle a anticipé par peur de se voir débordée par un mouvement spontané, difficile à maîtriser et pouvant servir de tremplin à la concurrence. La FNSEA devait faire oublier le rôle peu reluisant de ses dirigeants dans une fin de conflit ordonnée alors que rien de tangible n’avait été obtenu et donc montrer un peu, un tout petit peu les dents, jouer au syndicalisme. Ce regain fort modéré de combativité lui était indispensable parce que les élections aux chambres d’agriculture se déroulent en janvier et que la Coordination Rurale, syndicat concurrent marqué à droite qui se veut plus proche de la base paysanne, risque de prendre le contrôle de quelques-unes actuellement dirigées par la FNSEA. Or la direction des chambres n´est pas seulement une question de prestige: il y a des crédits à gérer, donc à orienter, des moyens financiers et humains qui peuvent être utilisés par le syndicat, et le système électoral accorde une sûre présentation à la liste arrivée en tête, réduisant les autres à la portion congrue.

Ce qui est clairement apparu est que la FNSEA a monté son opération en collaboration étroite avec le gouvernement. Pas trop de dégâts, rien qui puisse affecter sérieusement les activités économiques, une mobilisation limitée dans le temps, bref du syndicalisme responsable souhaitant simplement rappeler les difficultés du monde agricole. Message entendu par le gouvernement qui fera ce qui est dans ses possibilités en répondant sur les “contraintes” et la “bureaucratie”, naturellement pas sur le revenu agricole parce que là il ne peut pas grand chose, faute de mettre en cause les intérêts des capitalistes; et puis la FNSEA en le met en avant que sous forme anecdotique, sans la moindre revendication concrète.

Le gouvernement a besoin de la FNSEA tout autant que cette dernière a besoin de lui. Aux dernières élections une partie importante du monde rural a voté pour le Rassemblement National, en rupture avec un vote traditionnel de centre droit, et une avancée de la Coordination Rurale pourrait aller dans le même sens, sachant que les syndicats progressistes, Confédération Paysanne et MODEF, ne joueront probablement pas un rôle central dans ce scrutin. Il lui faut donc aider la FNSEA à résister, à redorer un peu son blason, à pouvoir se targuer d’être encore entendue par le pouvoir. Cela peut passer par quelques concessions ne touchant pas au fonctionnement du système.

Un “syndicat” aux multiples facettes

Quand on connaît un peu l’histoire de la FNSEA, on pense tout de suite au mot “cogestion”, cogestion de la politique agricole entre le principal syndicat et les gouvernements successifs. Cette collaboration, qui va bien au-delà du classique syndicalisme modéré et respectueux, a été solidement instaurée en 1960 quand les nouveaux et jeunes dirigeants de la FNSEA se sont retrouvés avec les technocrates gaullistes pour négocier le “pacte moderniste” proposé par le ministre Pisani: une agriculture performante, orientée vers les marchés et non plus en quasi-autarcie, toujours familiale mais avec moins de paysans et permettant aux jeunes de gagner leur autonomie. Cela coïncidait parfaitement avec les objectifs affichés du marché commun agricole au sein duquel la France aurait une place importante par son potentiel.

Cette collaboration servait le gaullisme qui souhaitait gagner un électorat rural majoritairement marqué par la démocratie chrétienne, mis à part quelques zones “rouges”, et quelques syndicalistes occupèrent de bonnes places sur ses listes. F. Guillaume, secrétaire général de la FNSEA, fut nommé ministre de l’agriculture en 1986…

Du point de vue de la FNSEA, au-delà de quelques élus politiques, la cogestion a été la possibilité de négocier à tous les niveaux des avantages pour ses adhérents et de développer un syndicalisme de service: il valait mieux en être pour obtenir une subvention ou une autorisation… Cette méthode subsiste, facilitée par la place de la FNSEA dans de multiples organismes, des SAFER au Crédit Agricole et avant tout bien sûr les chambres d’agriculture. Sans ce volet qui lui vaut encore une certaine reconnaissance pour service rendu, la FNSEA actuelle ne pourrait plus se prétendre un syndicat.

Elle est en effet un acteur primordial du système qui étrangle les paysans, dont certains sont ses adhérents: au travers de prétendues coopératives qui se sont développés jusqu’au gigantisme, avec des réseaux de filiales privées et des méthodes de gestion capitalistes, elle est présente chez les semenciers, les fabricants d´aliments, les industries agro-alimentaires, les exportateurs.

Alors quand le revenu est au cœur des demandes des agriculteurs qui en ont marre de trimer pour à peine survivre, les dirigeants de la FNSEA sont bien obligés de reprendre cette exigence mais sans trop insister sur ce qui pourrait mettre en cause les responsables de cette situation.

Et pour celà il faut trouver des boucs émissaires, détourner la colère.

Haro sur la “bureaucratie”

Un axe des mobilisations est le rejet de la “paperasse”, des dossiers complexes à constituer pour bénéficier des aides et subventions indispensables pour la survie de la plupart des exploitations, avec la crainte de commettre des erreurs pouvant entraîner de fortes pénalités en cas de contrôle. Les difficultés sont réelles pour beaucoup de paysans petits et moyens qui, à la différence des gros, ne peuvent pas se payer les services de centres de gestion qui font le travail administratif à leur place. Au passage ces centres qui fournissent une aide efficace et payante sont souvent des “associations” qui permettent à des administrateurs issus de la FNSEA de percevoir des indemnités…

Cet appui aux agriculteurs, dont beaucoup sont âgés et maîtrisent mal ou pas du tout les outils informatiques dont on leur impose l’utilisation, devrait être assuré gratuitement par le service public, notamment par les directions départementales de l’Agriculture… si celles-ci en avaient les moyens humains et matériels. Et là on voit clairement comment le recul du service public ouvre la voie aux activités lucratives du privé tout en réduisant les fonctionnaires à un rôle de gendarmes, accusés de vouloir faire du fric par une interprétation tatillonne de réglementations en elles-mêmes excessives. Marteler ce discours a des conséquences. Il s’ensuit des incidents, des violences verbales mais parfois aussi physiques pouvant aboutir à des drames.

Les “contraintes” et la “concurrence déloyale”

C’est un discours fréquent dans le monde agricole. Notre agriculture est pénalisée face à la concurrence de pays qui utilisent à profusion des produits phytosanitaires interdits en France et qui de ce fait ont des récoltes plus abondantes, ce qui facilite leurs exportations à des prix avec lesquels nous ne pouvons pas rivaliser. Comme nous sommes en économie ouverte il n’est pas possible de dresser des barrières douanières et donc la solution passe par une déréglementation qui autorise de polluer sans entraves et de pomper sans limites dans les nappes phréatiques. Ce discours est totalement réactionnaire, souvent accompagné de négationnisme climatique et sanitaire. Il est accompagné par la stigmatisation des “écologistes de la ville”, ces idéologues qui ne comprennent rien à la vie rurale: on retrouve sous cette forme la dénonciation des élites chères à la droite extrême, les élites mises en accusation n’étant pas bien entendu les possédants.

Le second volet de la concurrence déloyale est que les pays qui nous inondent de leurs produits et nous prennent des parts de marché à l’exportation exploitent sans vergogne une main d’œuvre sous payée et privée de droits sociaux. Comme il est difficilement assumable de réclamer la possibilité pour les employeurs de réduire les salariés en esclavage (tout au moins officiellement car les cas sont nombreux de surexploitation, notamment de saisonniers étrangers avec ou sans papiers) la revendication porte sur les “charges” qui pèsent sur la compétitivité, ces charges, en fait les cotisations sociales, devant être allégées et même supprimées.

Recul des réglementations environnementales, exonération de cotisations sociales, ce sont des revendications patronales dépassant le secteur agricole et sur lesquelles le gouvernement est le plus enclin à céder: leurs profits avant nos vies…

Comme indiqué plus haut ces sont des revendications réactionnaires à combattre sans complaisance, ce qui en veut pas dire stigmatiser les agriculteurs aux abois qui les portent parce qu´ils ne voient pas de solutions à leur détresse, ne voulant pas voir que les maladies professionnelles et plus largement les pollutions dues aux pesticides font des victimes parmi eux et leurs familles.

Il faut expliquer, démontrer que le productivisme qui leur est imposé est une impasse, avec pour corollaire un endettement insupportable et des excédents qui concourent à de nouvelles baisses des prix de leurs produits. Montrer aussi que les travailleurs des villes et des campagnes ont des intérêts liés, que le système capitaliste qui les exploite remplit les poches de quelques nantis dont les gros agrariens.

Un enjeu important, de quel côté peut basculer la paysannerie

Hors une infime minorité, les paysans ne sont pas des bourgeois. Ils doivent travailler, et travailler dur pour vivre. Ils ne sont pas non plus des prolétaires obligés de vendre leur force de travail puisque les moyens de production leur appartiennent… au moins en théorie car cette propriété est fictive, basée sur un lourd endettement, pouvant être confisquée et liquidée par les banquiers. Et sans être des prolétaires ils sont de moins en moins maîtres de leur travail, la situation extrême étant celle des élevages en intégration oú les industriels fournissent les animaux et les aliments et imposent leurs prix à des paysans qui peuvent gagner moins que des ouvriers.

Les paysans sont des travailleurs indépendants, au même titre que les artisans, et bien que cette indépendance soit de plus en plus illusoire ils y tiennent fermement. Leur vision est celle de la petite bourgeoisie traditionnelle, prompte à tourner sa colère contre ce qui lui semble à tort les causes de ses difficultés, de son possible déclassement. Ses manifestations de rage peuvent la conduire à se ranger derrière le drapeau du fascisme si la gauche révolutionnaire est incapable de montrer une autre voie, de proposer des solutions immédiates.

Et là nous devons distinguer le domaine de la propagande de nos idées pour une autre société où la propriété privée des moyens de production, y compris donc la terre, sera abolie (explication nécessaire, mais accessible à un petit nombre tant la défense de la propriété est inscrite dans la mentalité de la paysannerie) de l’agitation sur des revendications qui pour être immédiates ne mettent pas moins en cause le système, comme par exemple: moratoire et abolition des dettes, prix minimum garanti pour toutes les productions, plafonnement des aides et subventions avec redéploiement sur les premiers hectares, premières tonnes ou têtes de bétail, gestion collective et démocratique de la ressource en eau.

Ce champ est nécessaire.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*