Comment se tenir efficacement auprès du peuple syrien ? Par VP.

 

Par aplutsoc le 23 décembre 2024
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Nous avons pris connaissance d’une tribune parue dans Mediapart, le 19 décembre, intitulée La gauche doit se tenir auprès du peuple syrien, sans tergiverser. Au vu de ce titre, au vu de nombre de signataires que nous côtoyons régulièrement, y compris dans les jours où fut rédigé cet appel, et compte tenu de l’importante diffusion, durant les mêmes jours et, très largement, parmi les mêmes signataires, du texte Notes politiques sur les leçons de la victoire populaire contre le régime d’Assad, de Vincent Présumey, il est évident que les militants d’Aplutsoc ont été consciencieusement tenus à l’écart de la rédaction, de la discussion et de la signature de cet appel avant sa parution.

Si nous ne l’avions pas été, sans doute certains d’entre nous auraient signé cet appel, d’autres non, Aplutsoc n’ayant pas, rappelons-le, de « discipline de fraction » : nous sommes, quant à nous, un cadre ouvert, formel et transparent. Mais sans nul doute aurions-nous eu des points de discussion sensibles et importants. Car, du point de vue où il entend se situer, la solidarité internationaliste avec la Syrie, ce texte doit être interrogé.

Disons d’abord que l’accord est total sur ce qui fait la conclusion concrète de ce texte, qui condamne les menaces d’expulsions et les campagnes racistes visant les réfugiés syriens dans toute l’Europe, et plaide pour le droit de toutes celles et ceux que leur trajectoire de vie conduit à le souhaiter, à rester (ajoutons d’ailleurs que leur départ, notamment en Allemagne, ferait des trous dans la santé publique …), ou à assumer une identité et des nationalités plurielles.

C’est l’analyse qui précède cette conclusion, sur les causes des « tergiversations » de la « gauche », qui mérite critique et discussion.

La « gauche » n’aurait pas été à la hauteur de la solidarité avec le peuple syrien, elle aurait  « tergiversé », pour trois raisons, présentées dans qui apparaît bien comme un ordre d’importance : la première serait « l’islamophobie ambiante », la seconde « la question kurde », et la troisième « un campisme plaçant mécaniquement la Syrie d’Assad aux côtés du peuple palestinien ».

Avant de revenir sur chacune des trois raisons alléguées, il faut contester l’ordre d’importance qui de fait leur est donné. Le « campisme » arrive en troisième position et ce qui confirme son caractère non prioritaire est qu’en même temps il est explicitement rétréci à la croyance en la solidarité du régime d’Assad envers les Palestiniens.

En réalité, cette croyance, dans sa forme la plus naïve telle qu’elle est présentée ici, a été bien rare. Le régime d’Assad n’a pas été soutenu parce que soi-disant pro-palestinien, mais parce que soi-disant « anti-impérialiste », c’est-à-dire anti-occidental et anti-américain, et comme composante des forces étatiques mondiales soi-disant « anti-impérialistes », notamment la Russie, la Chine, l’Iran, avec lequel il formait un prétendu « axe de la résistance » dont l’existence était concentrée dans la présence – répressive, tortionnaire et contre-révolutionnaire – du Hezbollah au Liban et en Syrie.

En fait, l’effondrement du prétendu « axe de la résistance » est la meilleure nouvelle qui soit pour la résistance palestinienne, qui, pour stopper ses défaites sanglantes, doit se dégager de ses dirigeants mortifères tels ceux du Hamas.

Mais, pour en revenir au sujet du texte, si la gauche a, non pas « tergiversé », mais été en proie au pire campisme qui a paralysé toute solidarité internationaliste conséquente, ce n’est en aucun cas en raison d’un sentiment de solidarité pro-palestinienne mal placé. La Palestine n’a jamais été ici qu’un alibi pour ignorants.

Quand J.L. Mélenchon a salué le « bon boulot » de l’impérialisme russe bombardant les villes, répandant la terreur, et permettant la progression au sol du Hezbollah et des tortionnaires d’Assad, il n’a pas eu besoin de parler de Palestine. Les Syriens étaient assimilés par lui, comme le faisait Poutine, aux islamistes et à Daesh. Et la lutte de Poutine, du Hezbollah et de Bachar el Assad, ce front impérialiste et contre-révolutionnaire qui voulait en finir définitivement, par le sang, avec toute « révolution arabe », a eu de bout en bout son plein soutien.

Il ne s’agissait pas là de « tergiversations », mais d’un engagement actif dans le camp des massacreurs, des tortionnaires et des violeurs : le courage politique le plus élémentaire est de chercher cette vérité et de la dire. Oh, certes, point n’est besoin d’insulter qui que ce soit, il suffit de dire la vérité.

La gauche campiste n’est pas aveuglée par ses sentiments pro-palestiniens, elle n’a rien à voir avec la cause des droits nationaux et démocratiques du peuple palestinien. La gauche campiste, comme ce terme l’indique, a un camp, celui des puissances telles que la Russie, et ce camp est un camp impérialiste et contre-révolutionnaire. Ce camp impérialiste a mené, en Syrie, de 2011 à 2014, l’équivalent humain de vingt fois Gaza depuis le 8 octobre 2023.

C’est pourquoi la cause palestinienne pour être réellement défendue, doit être arrachée à ceux qui en font leur unique cause (Honte à quiconque regarde ailleurs qu’à Gaza – J.L. Mélenchon). L’internationalisme brisant avec le campisme, avec pour l’une de ses pierres de touche la Syrie, est indispensable à une vraie solidarité avec les Palestiniens visant à la victoire et non à leur instrumentalisation.

La victoire populaire en Syrie contre Bachar el Assad va diamétralement à l’encontre de l’ordre/désordre mondial de Trump, Poutine et Netanyahou. C’est pour cela qu’elle est immédiatement un enjeu et qu’elle est immédiatement menacée. Avouons avoir recherché, en vain, les mots « Trump », « Poutine », et « Netanyahou », dans ce texte : ce n’est pas ergoter que de déplorer leur absence. La défense des Syriens et des Palestiniens s’oppose à un ordre mondial, qui est tout autant un désordre porteur de la guerre. La gauche, c’est l’internationalisme : elle ne saurait se tenir aux côtés du peuple syrien, après la chute d’Assad plus encore qu’avant, qu’en comprenant le caractère frontalement contradictoire à tout cet ordre/désordre que revêt la victoire populaire à Alep et à Damas. Être aux côtés du peuple syrien c’est être contre Trump, Poutine et Netanyahou.

Bref : les campistes ne tergiversent pas, eux. Les internationalistes ne doivent pas tergiverser.

En lieu et place de cette question politique centrale, mondiale et structurelle, est mis en avant comme facteur n°1 de cette gauche tergiversante, l’ « islamophobie ambiante ».

Il est incontestable que bien des « analyses » politiques rapidement pondues dans les éditoriaux essentialisent, qu’elles le disent ou non, les « arabes » et fantasment systématiquement des « révolutions islamiques » (dont le modèle, en réalité contre-révolutionnaire, n’est pourtant pas arabe, mais iranien !), en lieu et place des révolutions réelles, du moment que l’on se trouve dans le monde arabo-musulman. Si, en plus, c’est un mouvement politico-militaire islamiste, et d’origine djihadiste, qui a été le fer de lance initial de la victoire populaire contre Assad, les fantasmes peuvent d’autant mieux prendre la place de la réalité dans bien des têtes.

Mais l’attitude de la même « gauche » à propos de l’Ukraine, ou à propos du Venezuela, ou à propos (dans ce cas là, par silence pur et simple et ignorance) du Myanmar, est exactement la même : elle ne « tergiverse » pas, elle est dans le camp armé de la contre-révolution et de l’oppression. Or, « l’islamophobie » n’intervient pas dans ces cas-là, mais bien le même campisme, qui est le facteur n°1, le cadre général de ces positionnements contre les peuples.

Et, de plus, les mouvements arborant la « cause palestinienne » comme leur identité première, lesquels non seulement ne sauraient être suspects d’islamophobie, mais dénoncent celle-ci là où elle existe comme là où elle n’existe pas, oscillent sur la Syrie entre le soutien à la contre-révolution tortionnaire et le silence gêné.

Le régime assadiste a été le plus grand massacreur de musulmans sunnites des quinze dernières années. Les courants et officines spécialisés, en Occident, dans la traque à l’islamophobie, n’ont jamais défendu ces musulmans persécutés, pas plus que ceux du Xinjiang, de l’Inde ou du Myanmar. Islamophobie et contre-islamophobie sont donc largement surdéterminés par des facteurs qui les encadrent : le racisme anti-arabe et l’essentialisation orientalisante en est un, le campisme est l’autre.

Entre les deux causes précédentes, donc à la seconde place, ce texte aborde la question kurde. Mais sont ici, sous cette expression, mélangées deux questions.

Celle des droits des Kurdes eux-mêmes, jusqu’à l’autodétermination comprise (qui n’est pas la position du PKK-PYD, lequel, en invoquant le « confédéralisme démocratique », admet les frontières existantes). Le danger ici vient de la Turquie, et il est évident que l’intérêt de la défense et de la protection des Kurdes au moment présent réside dans leur intégration pleine et entière à la révolution syrienne.

Cette question ne s’identifie pas à celle de la défense de l’appareil d’État des FDS, vertébré par les forces armées du PYD, les YPG, qui ont pris en main un morceau de l’appareil d’État assadiste en 2013. Il faudrait, est-il écrit, un « accord assurant aux populations arabo-syriennes du Nord et de l’Est de vivre sous l’autorité d’une Syrie sans Assad, sans pour autant remettre en cause l’existence dans le Rojava de l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES) pour les populations kurdo-syriennes. »

Ce texte se prononce dont explicitement pour la préservation de l’appareil d’Etat existant au Rojava, préservation qui n’est pas la même chose que la défense des Kurdes contre la Turquie et ses supplétifs. Or, cet appareil d’État depuis la victoire sur Assad, dans laquelle il n’est pour rien, a fréquemment tiré sur des manifestations, principalement arabes, et il impose sa main de fer aux Kurdes eux-mêmes. Il constitue le morceau de Syrie directement hérité du régime assadiste, et encore présent.

Certes, il a connu des transformations sous les effets de la situation et sous la direction du PYD. Mais il n’a rien de la « commune libre » pour laquelle le prennent les défenseurs de la dernière prétendue terre promise de la révolution, dans une camisole de force militaire à peine peinte en rouge.

Cette confusion entre défense des droits démocratiques et nationaux des Kurdes et défense d’un appareil d’État existant hérité du passé et ayant résisté à la révolution syrienne, confusion qui n’est d’ailleurs pas sans impliquer une dévalorisation des zones libérées « arabo-musulmanes » relativement aux zones « kurdo-révolutionnaires » qui évoque les préjugés essentialisants par ailleurs dénoncés dans ce texte, le conduit donc à se prononcer contre la pleine extension de la révolution syrienne à tout le territoire de la Syrie, laquelle serait pourtant la seule vraie assurance des Kurdes contre la Turquie.

Résumons-nous : le facteur clef qu’est le campisme n’est pas compris dans toute sa dimension mondiale et est ramené à une posture pro-palestinienne mal placée, la place du racisme anti-arabe est ramenée à la thématique de l’islamophobie si typiquement franco-française, et le seul point vraiment clair et explicite est la préservation d’un morceau d’État dérivé de l’ancien État assadiste, au Rojava.

Qu’un tel tissu de confusion soit sincèrement signé par des dizaines de camarades dont le cœur bat sincèrement pour la révolution syrienne, nous dit surtout beaucoup de choses sur l’état réel de confusion, et, pour reprendre leur propre expression, oh combien significative, de « tergiversation », jusque dans des secteurs militants qui voudraient bien être à la pointe de l’internationalisme et de la démocratie. Bien sûr, c’est bien d’exprimer qu’on est avec les Syriens, mais, désolé, c’est trop court.

Car le fond du problème ici est bien la tergiversation, c’est-à-dire la recherche du compromis, avec la gauche campiste dont toute l’orientation est euphémisée : elle « tergiverse » seulement, elle subit l’islamophobie « ambiante », mais on peut se retrouver avec elle pour « le Rojava ». Et, demain, contre la « réaction islamiste », comme si de rien n’était ?

Danger. La révolution syrienne a impérieusement besoin de plus de franchise et de détermination, car ses ennemis, à Washington, Moscou, Tel-Aviv, Téhéran, Ankara et ailleurs, n’en manqueront pas.

Vincent Présumey, le 22/12/2024.

 

 

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