Ukraine. Trump négocie avec Poutine, l’UE future victime de la victoire de la Russie ?

Donald Trump a annoncé avoir discuté avec Vladimir Poutine en vue de l’ouverture « immédiate » de négociations de « paix » en Ukraine. Une douche froide pour Kiev et pour une UE prise au piège de la politique de l’impérialisme nord-américain.

Philippe Alcoy

12 février

Presidential Press and Information Office, juin 2019

Lors de l’appel entre les deux chefs d’Etat il aurait été question non seulement d’ouverture de négociations pour mettre fin à la guerre qui dure depuis presque 3 ans, mais aussi de visites officielles de l’un et de l’autre dans leurs pays respectifs. Bien que Trump ait annoncé immédiatement qu’il appellerait Volodymyr Zelensky pour l’informer de la discussion, il n’est pas anodin qu’il ait exclu de ces échanges, au moins dans un premier temps, les dirigeants européens. Tout semble indiquer qu’il envoie un message aux puissances de l’UE : fini le temps où les Etats-Unis assument le plus grand fardeau de la guerre en Ukraine et, surtout, de la sécurité du continent européen.

Mais le message est également envoyé à la base sociale et politique du président nord-américain. Comme dans le cas de la guerre génocidaire à Gaza, Trump doit entretenir son image « d’homme providentiel » capable de mettre fin aux principaux conflits internationaux. Cependant, ces négociations entre Trump et Poutine ne peuvent donner qu’un résultat réactionnaire. Il reste encore à voir à quel rythme s’ouvriront ces négociations et quel sera le contenu concret de celles-ci, mais il est très probable qu’elles ne résolvent aucune contradiction structurelle qui a conduit à cette guerre.

Il ne faut pas oublier que Trump, lors de son premier mandat, a largement contribué à militariser l’Ukraine et à alimenter la politique d’encerclement de la Russie, ce qui plus tard a été utilisé comme un argument par Poutine pour justifier le déclenchement de sa guerre réactionnaire. De ce point de vue, la première chose à dire c’est que les travailleurs, la jeunesse et l’ensemble des opprimés ne peuvent pas faire confiance à ces dirigeants capitalistes pour mettre fin véritablement aux guerres catastrophiques. Comme dans le cas de la Palestine, les négociations entre Poutine et Trump pourraient déboucher sur une situation de paix précaire, poussant à la militarisation non seulement de l’Ukraine mais de tout le continent, préparant ainsi de nouvelles guerres dans un futur pas si lointain.

A travers cette politique Trump pourrait être également en train de chercher une forme de rapprochement avec la Russie dans l’objectif de l’éloigner de la Chine et potentiellement l’utiliser contre Pékin. C’est une politique que certains analystes de l’impérialisme étatsunien critiques de la stratégie vis-à-vis de la guerre en Ukraine appellent de leurs vœux. Il est cependant difficile de dire à ce stade si c’est vraiment l’intention de Trump et même si une telle politique pourrait marcher. Les Etats-Unis ont démontré à de multiples reprises qu’ils étaients prêts à trahir leurs engagements, y compris auprès de leurs partenaires, lorsque la défense de leurs intérêts l’exigeait. Il existe donc une grande méfiance à leur égard, notamment de la part d’Etats considérés par l’impérialisme étatsunien comme des « ennemis de l’ordre mondial » qu’ils dominent (Chine, Russie, Iran, entre autres).

Quoi qu’il en soit, pour beaucoup notamment en Europe, ouvrir des négociations pour mettre fin à la guerre selon les termes de Moscou serait l’équivalent d’offrir une victoire à la Russie. Trump en est conscient. Mais il semble vouloir « gagner avec Poutine ». C’est-à-dire faire en sorte que l’accord de paix soit vu comme une défaite pour l’Ukraine et l’UE mais pas pour les Etats-Unis ni même pour l’OTAN dans sa globalité. Washington a obtenu au cours de cette guerre des avancés tactiques et stratégiques importantes comme l’éloignement de l’Allemagne vis-à-vis de la Russie, la hausse généralisée des dépenses militaires des puissances européennes de l’OTAN, l’obtention de parts du marché européen de l’énergie, facilité en outre par le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2.

Trump pourrait chercher à imposer une forme de détente avec Poutine sans que cela signifie un retour à la situation pré-2022. Pour cela il sera important de maintenir une forme de conflit « gelé » entre l’Ukraine et la Russie forçant l’UE à devenir le garant en dernière instance de la sécurité de l’Ukraine. Cela pourrait se traduire par l’envoi de troupes européennes dans le pays. Autrement dit, les armées européennes stationneraient directement à la frontière avec la Russie dans un pays non-membre de l’OTAN. Pete Hegseth, secrétaire de Défense nord-américain, l’a dit clairement ce mercredi à Bruxelles, « toute garantie de sécurité devrait être soutenue par des troupes européennes et non européennes compétentes (…) les troupes déployées en Ukraine ne devraient pas faire partie d’une mission de l’OTAN, ni être couvertes par la clause de défense mutuelle de l’article 5 de l’alliance ».

De cette façon l’administration Trump refroidit les ardeurs de Kiev quant à ses prétentions à devenir membre de l’OTAN tout en faisant pression sur les puissances européennes pour qu’elles augmentent encore plus leurs dépenses militaires. Cette militarisation pourrait donner du poids à certains Etats comme la Pologne qui ne cache pas ses ambitions de devenir une puissance militaire dans le continent. Mais la France pourrait également se repositionner comme un acteur clé étant donné son poids militaire au sein de l’UE.

Un accord dans lequel la Russie pourrait apparaitre comme victorieuse ne ferait qu’alimenter la propagande de ceux qui présentent Moscou comme une menace pour l’ensemble de l’UE, ce qui au cours de cette guerre s’est révélé assez faux (la Russie n’a même pas été capable de vaincre militairement l’Ukraine). Ce discours est en effet fonctionnel aux intérêts de ceux qui veulent la militarisation de l’Europe, dont les Etats-Unis. Ce qui est certain cependant, c’est que cette situation est en train de révéler à quel point les puissances impérialistes dépendent en dernière instance des Etats-Unis pour leur sécurité. Cela sera source d’instabilité à l’intérieur des puissances de l’UE mais aussi vers l’extérieur. Cette situation pourrait aussi constituer un facteur supplémentaire de renforcement des courants nationalistes alors que l’UE en train de payer des décennies de subordination à l’impérialisme étatsunien en termes sécuritaires.

Quant à l’Ukraine, l’autre grande perdante potentielle de ces négociations, elle risque de devoir céder des pans entiers de son territoire à la Russie. Zelensky n’a pas beaucoup d’autre choix que d’accepter les plans de Trump. Cela est le résultat de sa politique de soumission aux puissances impérialistes, à commencer par les Etats-Unis. Au cours de la guerre, Zelensky et ses défenseurs ont beaucoup parlé de défense de l’auto-détermination ukrainienne face à
Poutine mais en réalité il était en train de transformer la mainmise de Moscou en celle des impérialistes occidentaux. Son combat n’a jamais été celui pour une vraie indépendance de l’Ukraine, qui ne peut s’obtenir qu’à travers une lutte sans merci contre les intérêts capitalistes dans le pays et contre l’influence et l’oppression impérialistes.

Dans ce contexte Zelensky devra gérer maintenant une potentielle montée des tensions politiques en Ukraine. La loi martiale et la guerre lui permettent de rester à la tête du pays même si son mandat a pris officiellement fin en mai de l’année dernière. Mais plus on s’approchera de la fin du conflit, plus les tensions politiques internes risquent de se développer, notamment si l’accord de paix est perçu comme trop défavorable à l’Ukraine. Les courants d’extrême-droite pourraient passer à l’offensive, avec la légitimité d’avoir pris part directement aux combats.

L’Ukraine sortira très probablement de la guerre amputée d’une grande partie de son territoire, endettée, encore plus soumise à des puissances étrangères mais en même temps totalement militarisée. Une grande partie de sa population est toujours à l’étranger et une autre est déplacée à l’intérieur du pays. Il est de plus en plus clair que l’Ukraine ne pourra jamais défendre une véritable auto-détermination en restant sous domination de l’impérialisme. Trump vient le confirmer brutalement.

Les négociations actuelles ouvrent la voie à un gel temporaire du conflit selon les intérêts de l’impérialisme états-unien. Les puissances impérialistes européennes pourraient être amenées à jouer un rôle central dans la militarisation de l’Ukraine, y compris en envoyant des troupes sur le terrain ukrainien. Une situation qui rappelle l’urgence d’une politique indépendante des impérialistes occidentaux et de l’OTAN et en défense de l’autodétermination de l’Ukraine. Le seul chemin vers cette issue est celui d’une Ukraine socialiste, ouvrière et indépendante. Le mouvement ouvrier européen et international doivent se préparer à la lutte contre les tendances à la militarisation à venir sur le continent.

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