Rien d’imprévisible chez Trump concernant l’Ukraine, et donc la Russie, et donc l’Europe !
L’un des aspects les plus remarquables de la crise totale des relations internationales engagée depuis l’avènement de Trump, ce sont les étonnés : la plupart des politiciens et des médias européens s’accrochent à l’espoir des « revirements » de Trump comme le pendu à sa corde, d’une manière pathétique et ridicule, et l’antienne sur les « variations » de Trump à propos de l’Ukraine résonne encore, alors que tout est clair de A à Z et depuis le début : le mandat, donné par Poutine et par le capital financier high tech, à Trump, est de livrer l’Ukraine à Poutine, pieds et poings liés, quitte à prétendre engranger les bénéfices de rentes coloniales sur le sous-sol du pays.
En réalité, les incertitudes « géopolitiques » de Washington au moment présent sont ailleurs : ce mandat contre l’Ukraine, dans lequel Poutine prétend faire à Marioupol ce que Trump et l’extrême-droite israélienne prétendent faire à Gaza, une « riviera » -sur-génocide, ce mandat vise à former un axe avec Moscou et Delhi contre Beijing. Mais n’est-il pas trop tard pour dessouder Moscou de l’emprise économique de Beijing, et Beijing du nœud coulant formé par Moscou avec Pyongyang ? Et la guerre éclaterait-elle pour Taïwan ou après que Xi Jinping l’aura annexé, une fois la production de semi-conducteurs recentrée aux États-Unis ?
Mais quelles que soient les hésitations envers l’Asie-Pacifique en relation avec la Russie et le Proche-Orient, le sort que les oligarques de la multipolarité impérialiste veulent faire à l’Europe, à toute l’Europe, est le même : vassalisation, marginalisation, régression, et, pour cela, extrême-droitisation.
Punition méritée pour le foyer originel de « l’Occident » et du capitalisme ? Certainement pas. Réaction et barbarie impérialiste sur toute la ligne : le sort du monde sera décidé par la résistance des peuples européens, dont l’avant-garde est le peuple ukrainien. La liberté des Palestiniens, des Argentins, des Papous ou des Burkinabés est fondamentalement solidaire du combat des peuples européens. Notre vieux berceau est secondaire démographiquement et « géopolitiquement », mais il est et sera l’arène centrale décisive des rapports de force mondiaux entre exploiteurs et exploités, entre oppresseurs et opprimés, entre tyrannie et liberté, s’il réinvente la fraternité et la sororité des peuples, seul gage d’un avenir humain sur cette planète.
Zelensky versus JD. Vance.
La ligne de vassalisation et de mise au pas de l’Europe a été proclamée par JD. Vance dans son discours de Munich, le 14 février dernier.
Le seul chef d’État à lui avoir sérieusement répondu a été Volodomyr Zelensky, et nul hasard à cela. Zelensky est un ultralibéral, ce qui nuit à la résistance armée et non armée du peuple ukrainien, et, sur le plan politique, un partisan d’une identité nationale laïque et non pas « ethnique ». Sa destitution par des élections sous pression impériale russo-américaine figure au programme de Poutine et de Trump. Mais dans ce discours, comme il l’avait fait le jour de juste avant et le jour même de l’invasion généralisée, il transfigure ses limites politiques, en raison de la situation de chef national où le plaçait l’invasion russe, qu’il avait choisi d’assumer, et où le replace d’une certaine façon la tenaille russo-américaine. Ce discours doit être examiné et discuté.
Tout en maintenant la revendication d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, Zelensky ne se fait aucune illusion, qu’on en juge : « … à l’heure actuelle, c’est Poutine qui semble le membre le plus influent de l’OTAN ». Le cœur de son discours est en fait, indépendamment de l’OTAN, un appel à créer une « Force armée européenne » tout de suite.
Il est fondamentalement vrai que la question ukrainienne devient la question européenne et que le Munich multiplié par Yalta que les oligarques impérialistes veulent imposer à l’Europe appelle une réaction, y compris armée, des peuples européens.
Trump n’a pas aimé, et l’un de ses derniers tweets accuse clairement l’Ukraine d’avoir déclenché la guerre en 2022 !
Et il est clair que les « négociations » sur l’Ukraine sans l’Ukraine, et contre elle, sont d’ores et déjà des « négociations » sur l’Europe sans l’Europe. Et contre elle.
La question d’une Force européenne de défense est évidemment posée, et pas que contre Poutine !
Une défense européenne réelle ne peut aujourd’hui qu’être une défense sans les États-Unis et probablement contre eux (ce qui ne veut pas dire contre le peuple américain), associant d’ailleurs tout « l’Ouest » arctique et baltique du Canada et du Groenland à la Lituanie en passant par les pays scandinaves, en première ligne, et maintenant en première ligne des deux côtés.
Défense européenne, oui, mais pas à la Macron !
Mais quel gouvernement et quel État en Europe est capable au moment présent de réaliser cela ? Tous en parlent, nul ne veut vraiment le faire.
Le plus mal placé pour cela est Emmanuel Macron. Engagé dans une démarche autoritaire qui contenait les prémices de l’idéologie d’un Elon Musk en entendant conjuguer présidence « jupitérienne » et start up nation, ayant échoué, impopulaire et illégitime, ayant régulièrement tendu la main à Poutine et ayant décrédibilisé la question de l’envoi de troupes en jouant avec cette idée pour la démentir régulièrement, c’est néanmoins Macron qui a lancé un « sommet d’urgence » à Paris lundi 17 février – en téléphonant à Trump avant et après, en n’invitant pas tout le monde en fonction de critères obscurs, et en arrivant surtout à mettre en évidence les divergences.
L’armée européenne et l’autodéfense des peuples, à l’ukrainienne, viendront-elles de là ? Évidemment non.
Le processus en train de s’engager – et qui en est au stade de discussions et de déclarations – sur une sortie des budgets militaires des règles financières de l’UE, ne conduit nullement à une défense populaire européenne, mais à l’enrichissement des trusts militaro-industriels, et à la compression des dépenses publiques pour l’école, la santé et l’environnement. Rien ne dit que le dopage des dépenses militaires serait destiné à la défense de l’Ukraine et de l’Europe ni qu’il ne consisterait pas en achats auprès du complexe militaro-industriel US, et en fait c’est bien ce qui risque d’arriver si rien d’autre ne change !
Les discussions qui filtrent sur une éventuelle force « européenne » en Ukraine, où il est question de 25.000 à 30.000 hommes essentiellement français et britanniques avec une participation balte et scandinave, outre qu’elles ont été démenties par Macron répétant qu’il n’est pas question d’envoyer des troupes en Ukraine, ne se situent pas dans la perspective d’une aide militaire à l’Ukraine, mais dans celle de la participation « européenne » à une force dite d’interposition en cas de cessez-le-feu préservant toutes les zones occupées par la Russie – ce qui a été une revendication officieuse de la Russie l’an dernier, même si elle dit maintenant vouloir l’éviter. De plus Allemagne, Italie, Espagne et même Pologne ont déclaré lundi ne pas être d’accord.
Divisions dans les partis capitalistes.
Il y a débat et conflit au sein des principaux partis capitalistes du continent, et ceci se concentre en Allemagne avec les élections de ce dimanche, pour lesquelles l’Axe Trump/Musk/Vance/Poutine soutient bruyamment l’AfD. A ce stade, le dirigeant de la CDU, qui serait chancelier en cas de victoire de celle-ci, Friedrich Merz, refuse une coalition avec l’AfD et dit vouloir continuer à « aider l’Ukraine » de la manière dont elle a été « aidée » jusqu’à présent, dopage des dépenses militaires en plus. Mais la CDU-CSU a, on le sait, brisé une première fois le « barrage » avant même le discours de J.D. Vance, par le vote de l’AfD en faveur de propositions anti-immigrés de la CDU-CSU, les 29 et 31 janvier dernier.
Alors, est-on vraiment sûr que la CDU-CSU, sous la direction de F. Merz ou d’un autre, ne va pas s’allier à l’AfD ?
La seule vraie garantie pour cela serait qu’il n’y ait pas de majorité CDU-AfD ! Donc, dans notre camp social, pas une voix pour l’AfD, pas une voix pour la CDU-CSU, pas une voix pour le BSW !
Au cœur des vieux partis démocrates-chrétiens, conservateurs et ordolibéraux de l’Europe germanique, le clivage va monter. En Autriche, l’ÖVP (conservateurs) ne s’est pas résolue à former une coalition gouvernementale sous l’égide du leader d’extrême-droite Kickl, et le pays est sans gouvernement. Ce sont les relations de Kickl avec la Russie qui sont en cause.
En Suisse, la présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter, s’est déclarée en accord avec le contenu du discours de JD. Vance, produisant une crise dans le Parti libéral-radical – issu de la fusion des plus anciens courants politiques bourgeois de Suisse – qui s’est divisé sur ses propos. Le « sage du parti », Pascal Couchepin – ancien gouverneur de la Banque mondiale – lui a fait la leçon : le libéralisme, c’est aussi le libéralisme politique et Trump en est l’ennemi. Certes, mais force est de constater que tous les tenants du « libéralisme » économique sont aimantés par Trump et Musk et tentés de dire que la démocratie, ça encombre !
Clivage dans notre camp social.
Lors de notre Assemblée générale statutaire annuelle, ce dimanche 16 février dernier, les membres d’Aplutsoc ont estimé justifié de nous prononcer, en tant que groupe politique révolutionnaire prolétarien, pour une Force de défense européenne. Les évènements actuels sont en train d’en démontrer rapidement et la nécessité, et l’impossibilité sous l’égide des gouvernements capitalistes d’Europe.
C’est pour nous une tache essentielle que de convaincre dans le mouvement ouvrier, où ces questions sont posées comme l’a clairement démontré le discours de Sophie Binet au congrès de la FSU, que contre l’Axe Trump/Musk/Poutine les forces sociales et populaires d’en bas vont, qu’on le veuille ou non, devoir se défendre et que la meilleure défensive, tôt ou tard, sera l’offensive. Ne nous y trompons pas : nous ne sommes pas isolés, mais le mouvement ouvrier et la gauche vont et doivent se fracturer sur ces questions, et cela va arriver.
Nous n’innovons pas – la créativité politique se nourrit toujours d’une certaine continuité. Les États-Unis socialistes d’Europe ont été un mot d’ordre mis en discussion par Léon Trotsky en pleine guerre générale en Europe, en 1915. Une Union Européenne réelle (pas l’actuelle), avec l’Ukraine non seulement comme membre, mais, au moment présent, comme moteur, et avec une conception démocratique et ouverte des questions militaires, les secteurs industriels concernés devant être placés sous contrôle public et ne pas fonctionner pour le profit, serait un immense pas en avant : dans une certaine tradition politique cela s’appelle un « mot d’ordre transitoire ». Cette voie n’est pas celle de l’explosion des dépenses militaires, ni du nucléaire, car il ne s’agit pas de sauver le taux général de profit, mais de sauver l’existence libre des peuples et un avenir humain, ce qui n’est pas du tout la même chose !
Le 19/02/2025.
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