Tentative avortée du gouvernement Bayrou pour taxer les travailleurs indépendants

Soucieux de trouver de nouvelles recettes fiscales pour diminuer le déficit budgétaire, le gouvernement se proposait d´augmenter le nombre d´auto-entrepreneurs assujettis à la TVA en abaissant le seuil d´exonération à 25 000 euros de chiffre d´affaires annuel contre 36 000 actuellement (CA et non pas bénéfice, la rémunération effective de cette catégorie étant très faible) pour les activités de prestations de service. La TVA est un impôt particulièrement injuste acquitté par le consommateur final, riche ou pauvre, qui de ce fait aurait vu la facture augmenter de 20 %, ce qui aurait pu être dissuasif pour certaines personnes. Il faut noter que cette attaque bénéficiait du soutien de diverses chambres patronales ainsi que du Rassemblement national…

Devant le tollé le gouvernement a provisoirement reculé, et tant mieux, mais au-delà de cet épisode il vaut la peine de se pencher sur la réalité de cette catégorie sociale appelée auto-entrepreneurs qui regroupe, selon l´Urssaf, 2,7 millions de travailleurs non-salariés dits indépendants ou, comme on disait autrefois, « travaillant à leur compte ». Le nombre est considérable, bien supérieur par exemple à celui des agriculteurs, mais il recouvre des situations très différentes.

Un grand nombre de faux indépendants

Ce qui a fait scandale est qu’un nombre croissant de faux indépendants, des salariés camouflés employés sous couvert du statut auto-entrepreneur par des entreprises qui s’affranchissent ainsi du Code du travail, versaient des rémunérations dérisoires en mettant en concurrence les travailleurs précarisés. Le secteur des livraisons à domicile est particulièrement concerné. Cela a d’ailleurs donné lieu à des séries de procès qui ont parfois contraint les employeurs à requalifier les contrats, la justice ayant conclu que le principal critère du statut salarial, le lien de subordination, était évident. Nous soutenons bien sûr la revendication des travailleurs concernés, portée généralement avec les syndicats, de leur intégration dans les effectifs salariés de l’entreprise.

Plus largement encore que ces abus flagrants, il se trouve des patrons qui licencient des salariés en leur proposant de continuer à travailler pour la boîte sous le statut d´auto-entrepreneur. Tout en externalisant certaines activités comme le transport ou la maintenance, ces patrons diminuent leurs effectifs pour passer en dessous des seuils impliquant des obligations sociales (représentants du personnel, comité d’entreprise…), double piège pour les travailleurs qui perdent des droits alors que le maintien du lien avec la boîte devient une simple promesse que le patronat peut oublier du jour au lendemain. Les capitalistes créent ainsi de faux indépendants, autonomes sur le papier mais qui continuent à dépendre de leur bon vouloir. Interdiction des licenciements, ouverts ou camouflés, est la seule réponse.

Mais aussi des travailleurs qui ne sont ni prolétaires ni patrons

En créant le statut des auto-entrepreneurs en 2008, le gouvernement Sarkozy qui n´était pas précisément un ami des travailleurs, poursuivait un but idéologique : chacun pouvant facilement créer sa petite entreprise individuelle, la lutte de classe se trouvait dépassée. Une France de petits patrons et de petits propriétaires serait la meilleure garante de l’ordre social. Quelques années après, pour en rajouter une couche, on ne devait plus employer le terme « auto-entrepreneur », mais celui de micro-entreprise, ce qui permet de les inclure dans l´univers patronal.

Mais la mesure a rencontré un succès dépassant les attentes : en excluant les faux indépendants mentionnés plus haut elle concerne des centaines de milliers de travailleurs. Quel est leur profil, quelles sont leurs motivations et leurs demandes ? La réponse à ces questions est importante pour les révolutionnaires qui doivent se donner une politique en direction de cette catégorie sociale, tout comme en direction des paysans.

On peut encore laisser de côté les activités à temps partiel, autorisées par le statut, exercées par des étudiants qui ne souhaitent pas bosser pour MacDo ou par des retraités qui complètent ainsi leur maigre pension. La grande majorité des auto-entrepreneurs est formée d´anciens salariés licenciés qui ne trouvaient pas de nouvel emploi et de personnes qui ne voulaient pas, ou plus, dépendre de patrons, obéir à des chefs petits ou grands. Nous ne leur reprocherons certes pas de vouloir échapper à l´esclavage salarié…

Sauf une infime minorité qui a vu dans le statut un tremplin pour créer ensuite une « vraie entreprise », leur ambition n’est pas de gagner beaucoup, leur rémunération reste au niveau du Smic ou à peine davantage, parfois même moins en déduisant les frais, et il faut prendre en compte les périodes d´inactivité entre deux clients ou deux petits chantiers. Elles et ils sont « propriétaires de leurs moyens de production », lesquels se réduisent souvent à peu de chose, on ne saurait parler de capital dans leur cas ; comme les petits paysans ils vivent de leur seul travail et la plupart en vivent mal. Ils n’emploient que très rarement des salariés et ne sont en quelque sorte « ni prolétaires ni patrons ».

Pour une alliance de ces indépendants et du prolétariat

Leur situation sociale est bien éloignée de celle des capitalistes, elle est proche de celle des salariés. Par rapport à ces derniers, elles et ils ont moins de garanties ; il leur reste une (relative) indépendance à laquelle ils sont fortement attachés.

Nous devons leur parler clair : le système capitaliste ne peut tolérer que marginalement cette indépendance, et au-delà de cette attaque avortée au sujet des seuils de TVA, le gouvernement veut réduire au minimum la place des auto-entrepreneurs, tout comme on fait disparaître les petits paysans et les commerces familiaux. Foin des discours sur l’esprit d’initiative et la fin de la lutte des classes, il leur faut quelques riches capitalistes et beaucoup de prolétaires, avec des flics pour maintenir l´ordre.

Il nous faut montrer aux auto-entrepreneurs que c’est du côté de la classe ouvrière que se trouvent leurs alliés, en défendant leur droit à travailler dans de bonnes conditions, en restant indépendants tant que ce sera leur souhait. Cela veut dire avancer avec eux des revendications, notamment sur le chapitre de la protection sociale et des retraites qui sont le point faible de leur statut.

Gérard Florenson

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