LE COLLECTIF PALESTINE VAINCRA EST DISSOUT

– Une attaque gravissime contre la cause palestinienne et la liberté d’expression –
Jeudi 20 février 2025, le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative de France, a prononcé la dissolution du collectif «Palestine Vaincra». C’est l’épilogue de presque trois ans de procédure.
Le 24 févier 2022, le Premier Ministre de l’époque, Jean Castex, annonçait – à l’occasion du dîner du CRIF, et après avoir repris les mots de Trump en qualifiant Jérusalem de «capitale éternelle du peuple juif» – la dissolution du Collectif Palestine Vaincra, une structure de soutien à la cause palestinienne basée à Toulouse. À l’époque, la macroniste Aurore Bergé jetait même de l’huile sur le feu, évoquant carrément un possible «démantèlement» d’Amnesty International, une des principales ONG œuvrant pour les libertés dans le monde, dont le travail de documentation de l’apartheid israélien est essentiel.
En 2022, c’était Gérald Darmanin qui était Ministre de l’Intérieur, et chargé de développer les arguments pour dissoudre ce collectif : «sous couvert de défendre la cause palestinienne» écrivait-il, Palestine Vaincra cultive «le sentiment d’oppression des peuples musulmans (…) dans l’objectif de diffuser l’idée d’une islamophobie à l’échelle internationale». Un «sentiment» d’oppression ? Aujourd’hui, tout le monde a pu constater que la colonisation, les bombardements et les politiques génocidaires appliquées contre le peuple palestinien n’ont rien d’un simple ressenti.
Le ministère de l’Intérieur reprochait également au groupe d’appeler «à la discrimination et à la haine envers Israël et les Israéliens» à travers des campagnes de boycott. Le boycott est l’arme du pacifisme par excellence, qui a été utilisée contre l’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1980. Mais nous vivons dans une époque tellement autoritaire que même le fait de refuser d’acheter des produits venants d’un pays responsable de crimes contre l’humanité est criminalisé.
Au mois d’avril 2022, la dissolution de Palestine Vaincra était suspendue. Le Conseil d’État évoquait alors une «atteinte grave à la liberté d’expression» et dénonçait la «position politique» du Ministère de l’Intérieur, qui amalgamait antisionisme et antisémitisme. La juridiction estimait qu’il n’y avait aucune urgence à dissoudre le Collectif Palestine Vaincra. C’était une victoire bien maigre, puisqu’il fallait attendre le recours sur le fond. En parallèle, une pétition avait recueilli des milliers de signatures et de nombreuses manifestations et actions avaient dénoncé cette procédure.
Le 27 janvier 2025, l’audience décisive se tenait au Conseil d’État. Plus de deux ans et demi après le lancement de la procédure. La rapporteure a d’abord reconnu que Palestine Vaincra s’exprimait bel et bien dans le cadre la liberté d’expression… MAIS que des commentaires «haineux» n’avaient pas été modérés sur les réseaux sociaux. Autrement dit, le collectif est considéré comme responsable de mots qu’il n’a pas écrit, mais qu’il aurait tardé à supprimer.
C’est un argumentaire extrêmement grave, car dans ce cas, il faudrait aussi fermer tous les médias de masse. LCI, Cnews ou BFM, dont les pages sur les réseaux sociaux regorgent de commentaires racistes, sexistes et violents. De même, par exemple, pour le compte Twitter de Bruno Retailleau, dont chaque post comprend des commentaires haineux, et tous les comptes d’extrême droite.
Avec cet argumentaire, n’importe quel média et n’importe quelle page en ligne peut être accusée et dissoute. Rendre responsable un collectif de faits qu’il n’a pas commis et de propos qu’il n’a pas prononcé est un procédé digne de l’inquisition. D’autant que le Collectif Palestine Vaincra le dit sans ambiguïté : «Nous condamnons ces commentaires qui ont échappé à notre vigilance sur nos plateformes suivies par des dizaines de milliers de personnes».
Autre argument, la rapporteure publique a estimé qu’il y a «un lien entre l’expression de la solidarité avec la résistance du peuple palestinien et le développement de l’antisémitisme en France». À nouveau, des propos gravissimes visant à criminaliser des opinions anti-colonialistes. Surtout quand des partis, en France, soutiennent Elon Musk qui fait des saluts nazis et multiplie les propos suprémacistes. L’hypocrisie est absolue.
Quelques semaines après cette audience, le 20 février 2025 donc, la dissolution est confirmée. Cette répression est permise par la loi «séparatisme», qui étend la procédure de dissolution bien au delà de son cadre initial. Cela veut dire que demain, n’importe quel groupe d’opposition peut être frappé sur la base des mêmes arguments : syndicats, partis de gauche, collectifs contre le racisme, médias indépendants…
Historiquement, une dissolution est une mesure exceptionnelle : elle permet de démanteler un groupe ou une association de façon extrajudiciaire, sur décision du Premier Ministre. Les «dissolutions administratives» apparaissent dans les années 1930, dans un contexte de montée du fascisme dans toute l’Europe. Alors qu’Hitler est au pouvoir en Allemagne et Mussolini en Italie, l’extrême droite française ne cache pas son intention de renverser la République. Le 6 février 1934, des Ligues Fascistes attaquent le Parlement. L’émeute fait plusieurs morts. Quelques jours plus tard, une manifestation antifasciste a lieu, elle aussi réprimée, avec à nouveau des morts.
En 1936, la gauche arrive au pouvoir avec la victoire du Front Populaire. C’est ainsi que sont utilisées les premières dissolutions administratives : elles ont pour but de «protéger la République» contre les menaces des «milices armées» d’extrême droite. Les Ligues sont donc dissoutes. Mais très rapidement, la mesure est utilisée bien au-delà de la menace fasciste : des collectifs anticolonialistes, algériens notamment, sont à leur tour dissous dès 1937. Puis ces procédures frapperont des collectifs indépendantistes basques, bretons, kanaks, des associations kurdes, mais aussi des groupes d’extrême droite. Elles resteront cependant rares et exceptionnelles.
Près d’un siècle plus tard, tout change en 2021 quand Darmanin fait voter la «Loi séparatisme». Cette loi est un recul majeur pour les libertés publiques et une attaque frontale contre les droits associatifs. Elle permet de dissoudre non pas les associations qui «menaceraient la République» ou qui seraient des «milices de combat», mais tout groupement «incitant à la violence contre les biens et les personnes». Ce qui ne veut rien dire : appeler à une manifestation est-elle une incitation ? Dénoncer les violences policières, est-ce une incitation ? En réalité, la «Loi séparatisme» étend massivement la possibilité de dissoudre toute association dérangeant le gouvernement.
Cette mesure a immédiatement frappé plusieurs collectifs musulmans, notamment le CCIF – comité contre l’islamophobie en France – ou encore le CRI – comité contre le racisme et l’islamophobie. Le décret de dissolution expliquait qu’un représentant de cette association aurait «proféré des propos incitant les jeunes des quartiers populaires à se rebeller» lors d’une «manifestation publique visant à dénoncer la partialité des forces de l’ordre, de la municipalité et des magistrats présentés comme islamophobes».
Dénoncer le racisme, l’islamophobie ou appeler à la rébellion justifie dès lors la dissolution administrative d’une association. Loin, très loin de la menace de coup d’État fasciste de 1934. La procédure est devenue une arme pour mettre au pas les ennemis intérieurs, notamment les minorités et les contestataires. Une épée de Damoclès au-dessus de tout collectif dérangeant.
Le nombre de dissolutions a donc explosé ces dernières années : Macron a dissout plus d’associations et de groupements que tous ses prédécesseurs depuis le début de la Cinquième République. Des collectifs de défense de la Palestine ont été ciblés, mais aussi des collectifs antifascistes – comme la GALE à Lyon, pour de prétendues «provocations» sur internet, donc un délit d’opinion –, des associations anticapitalistes comme le Bloc Lorrain ou encore notre média en 2022, qui s’appelait alors Nantes Révoltée.
Face à la mobilisation, le gouvernement a parfois dû reculer. Cela a été le cas pour Nantes Révoltée, qui avait reçu un soutien populaire massif. Mais d’autres groupes ont été bel et bien dissous et sont menacés de poursuites et d’arrestations en cas de «reconstitution de ligue dissoute».
En 2023, une offensive inédite a même eu lieu avec la tentative de dissoudre Les Soulèvements de la Terre : pour la première fois, les autorités utilisaient cette procédure d’exception contre une coalition écologiste réunissant des centaines de collectifs et des dizaines de milliers de membres. La dissolution a été invalidée par le Conseil d’État, mais c’était une victoire en demie teinte. Les magistrats ont estimé que le décret de dissolution de Darmanin n’était pas assez fourni pour le moment, sous-entendant qu’une autre procédure plus étoffée pourrait être validée… En quelque sorte, un sursis.
Depuis le 7 octobre, le gouvernement et des députés de droite ont menacé de dissolution de nombreux collectifs de soutien à la Palestine, mais aussi la France Insoumise, le NPA, et même tenté d’intimider les associations féministes de couper leurs subventions si elles désobéissaient au narratif officiel à propos de Gaza.
C’est dans ce contexte que Palestine Vaincra vient de rejoindre la longue liste des associations dissoutes par le pouvoir.
À l’appel de 60 organisations politiques, syndicales et associatives, des centaines de personnes ont manifesté dans les rues de Toulouse au début du mois de février contre la dissolution du Collectif Palestine Vaincra. Cela n’a pas suffit. Mais face au démantèlement de tous les contre-pouvoirs par un régime autoritaire installé par la force, il ne restera bientôt que la rue.
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