
Signalé par Jean Mau
La ferme laitière de la famille Maris a été déclarée, à tort, contaminée à la tuberculose bovine et a dû cesser son activité. L’Etat se défausse de toute responsabilité. L’exploitation qui fait vivre 17 personnes se retrouve en grande difficulté.
« Personne ne travaillerait 60-70 heures par semaine comme je le fais pour le salaire que j’ai. Ces gens ne se rendent pas compte de l’impact que cela a sur nos vies. Et cette affaire, c’est la meilleure manière de les détruire. » La colère de Pascal Maris est toujours vive, quinze mois après que sa ferme en Haute-Vienne a été déclarée par la préfecture comme foyer de tuberculose bovine, une maladie infectieuse. Sauf que la préfecture avait tort.
Pendant près d’un mois, du 19 décembre 2023 au 17 janvier 2024, la ferme que Pascal a repris de ses parents, en association avec sa mère, Anja, sous forme de groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), et qui compte quinze salariés, doit cesser toute une partie de ses activités. Elle se voit d’abord interdite de commercialiser sa production laitière, puis doit suspendre son activité de transformation (beurre, fromages blancs, camemberts…). Les pertes se révèlent considérables, alors que la ferme produit 700 000 litres de lait à l’année et en transforme les deux tiers.
Suite à l’annonce – erronée – d’un cas de tuberculose bovine sur leur troupeau, Pascal a ainsi dû faire abattre plusieurs vaches laitières pour la réalisation d’analyses. Pendant ces quatre semaines, l’exploitation n’a également plus le droit de transformer son lait en fromages à pâte pressée ni de produire du beurre, des fromages blancs ou des camemberts. Si l’on ajoute les surcoûts de main d’œuvre générés par cette situation, les investissements réalisés, conjugués à la perte d’image de l’entreprise et au préjudice moral, les pertes s’élèvent à 236 000 euros selon un chiffrage réalisé par la chambre d’agriculture de Haute-Vienne.

Un désastre économique à l’échelle de l’exploitation lié à… une simple erreur de diagnostic. Car l’échantillon prélevé à la ferme a en fait été contaminé par un échantillon positif à la tuberculose bovine lors des manipulations en laboratoire. Les vaches, elles, sont saines. Le préfet se rend en personne, le 18 janvier 2024, sur la ferme de Pascal et Anja Maris pour les informer que leur ferme n’est finalement pas infectée par la tuberculose bovine et qu’il va ré-autoriser la commercialisation. « Embarrassé » par la situation, il leur affirme qu’il va « porter leurs intérêts au mieux devant le ministère de l’Agriculture. »
Plus d’un an après, alors que l’exploitation agricole peine à honorer ses factures, la réponse du ministère tombe le 9 avril 2025, par courrier postal. Bien qu’il reconnaisse avoir placé la ferme sous le statut d’exploitation infectée de tuberculose bovine « de manière prématurée », le ministère annonce ne pas verser d’indemnité.
« Pour l’État, le préjudice moral ne vaut rien du tout, ils s’en moquent littéralement, s’emporte Pascal. Pendant un mois, on ne dort pas la nuit, on remue ciel et terre pour sauver les emplois, l’activité… Au final, on est très content d’apprendre que c’est une erreur mais personne n’assume. Le seul but de l’État, c’est de ne pas reconnaître leur responsabilité et qu’il n’y ait pas de jurisprudence. » Or, des erreurs des services de l’État ont bien été commises lorsque l’on remonte la chronologie des faits.
L’« embarras » du préfet
En décembre 2023, les animaux de la ferme sont soumis à des tests de dépistage contre la tuberculose bovine. Cinq vaches en ressortent positives. Le couperet tombe avec un arrêté préfectoral de mise sous surveillance (APMS) le 19 décembre 2023. Le lait de la ferme ne peut plus être collecté et doit être jeté chaque jour. Les produits frais comme les faisselles, le lait ou le beurre ne peuvent plus être vendus.
Sept vaches du troupeau doivent être abattues pour faire des prélèvements en vue d’infirmer ou de confirmer le diagnostic – notre précédente enquête revient précisément sur la non fiabilité des tests. C’est un laboratoire à Périgueux qui est en charge des analyses.
Le 8 janvier 2024, les services vétérinaires informent Pascal Maris que les résultats sont positifs. L’activité de transformation s’arrête totalement. Ce que Pascal ne sait pas encore, c’est qu’une erreur de manipulation a été commise par le laboratoire et qu’une contre-expertise est lancée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire.

Le 16 janvier, Pascal Maris est convoqué à la mairie de Ladignac pour rencontrer les services vétérinaires. « Il y avait des gendarmes aux quatre coins du village pour éviter les débordements, se souvient l’éleveur. Lors de cette réunion ils m’ont expliqué le protocole, m’ont dit que je devais jeter le fromage qu’on avait transformé les dernières semaines. Heureusement qu’on ne l’a pas jeté, sinon on était mort ! » Les services vétérinaires l’informent également qu’il devra procéder à l’abattage de son troupeau.
Dans la foulée, Pascal prévient d’abord les clients de la ferme. Puis, soucieux de maintenir l’activité et les quinze emplois, le Gaec décide d’acheter du lait dans la ferme voisine et d’investir dans un pasteurisateur, pour pouvoir transformer le lait en toute sécurité. Dès le lendemain, l’éleveur fait douze heures de route pour acheter une citerne d’un montant de 19 000 euros TTC. Dans la soirée, le téléphone sonne : le préfet lui annonce que le résultat des analyses était faux. L’échantillon prélevé a été contaminé par la bactérie en laboratoire.
Et le 18 janvier un courrier signé du préfet confirme officiellement l’erreur. Les « ré-analyses » se sont « avérées négatives ». Il n’y a donc pas de circulation de la tuberculose bovine dans le troupeau. Toutes les mesures sont levées. Le préfet termine son courrier en indiquant son « plus sincère embarras ».

« Une précipitation non justifiée »
Pour Pascal, ce courrier ne passe pas. Il regrette la précipitation des autorités sanitaires et administratives alors que trois jours supplémentaires auraient suffi pour avoir les résultats de la contre-expertise. « Ça va trop vite et les conséquences sont bien plus lourdes que ce que l’on peut imaginer quand on n’est pas dans le monde agricole. Le pire, ce sont les mensonges, ajoute t-il.
Philippe Babaudou, de la Confédération paysanne de Haute Vienne, s’est plongé avec le Gaec Maris dans la chronologie des faits. L’arrêté préfectoral de mise sous surveillance, puis la déclaration par la Préfecture comme foyer de tuberculose bovine, se fonde sur un compte-rendu provisoire du laboratoire d’analyse de Dordogne. « Jamais ce résultat partiel n’aurait du être utilisé par le préfet et les services vétérinaires », souligne Philippe Babaudou, alors que le document indique bien « résultat en cours » et non « résultat positif ».
« Cet échantillon a été transmis le 8 janvier 2024 à l’Anses (autorité sanitaire) qui, dans ces cas, fait office de juge de paix », précise Philippe Babaudou. Et trois jours plus tard, le laboratoire de l’Anses conclut à l’absence d’infection. Sauf que ni le Préfet, ni les services vétérinaires, pourtant « notifiés en temps réel », n’en ont immédiatement informé le Gaec de la famille Maris.
Pire, cinq jours plus tard, le 16 janvier 2024, se tient la réunion à la mairie de Ladignac où les services vétérinaires informent Pascal Maris du protocole à suivre. Pourtant, « à ce moment là, le préfet disposait de l’information sur la négativité de l’échantillon », récapitule Philippe Babaudou. Ce n’est que le lendemain qu’il en informe l’éleveur par téléphone, alors que celui-ci a commencé à prendre des mesures coûteuses. « Il y a eu un loupé quelque part ! Le cabinet du ministère charge le laboratoire. Or, dans ce processus d’analyses, les contre-expertises sont de mise. Il y a vraiment eu une précipitation non justifiée. »
Pour Philippe Babaudou, il y a dans cette affaire un « réel mépris affiché par l’État ». Au delà du cas Maris, « c’est toute la chaîne de confiance nécessaire à la réussite des politiques sanitaires qui est mise à mal par ce comportement, déplore t-il. On ne peut pas continuer à mettre les gens autant sous pression et à faire des éleveurs la variable d’ajustement du dispositif sanitaire. »

« C’est pas aux consommateurs de payer l’erreur de l’État »
Quinze mois après cette erreur de diagnostic, le Gaec Maris fait face à plus de 100 000 euros de factures impayées. « Comment combler un déficit de trésorerie si l’État ne nous indemnise pas ? Notre seul levier, ce sont les prix de la vente directe. » Concrètement, cela signifie augmenter les prix des produits. Pascal s’y refuse. « Je n’ai jamais lancé de cagnotte car notre objectif, c’est de produire de l’alimentation de qualité et accessible. Il est hors de question que ça retombe sur les consommateurs qui nous soutiennent déjà depuis plus de vingt ans. Ce n’est pas à eux de payer l’erreur des services de l’État ! »

L’éleveur envisage un recours au tribunal administratif, soutenu par la Confédération paysanne de Haute-Vienne. La procédure risque d’être longue mais il y voit « un combat pour les agriculteurs autour de nous qui vivent des situations compliquées ».
Dans son village, un éleveur a mis fin à ses jours après avoir vécu deux abattages successifs de son troupeau suspecté de tuberculose bovine. Il pense aussi à un autre agriculteur qui refuse d’abattre la deuxième moitié de son troupeau : ce sont désormais les gendarmes qui lui apportent les courriers des services vétérinaires. « Il y a un mépris du gouvernement vis-à-vis du monde agricole. On est dénigrés, délaissés par l’État. »
Mais l’éleveur a aussi envie d’avancer. « On a plein de projets ! Des choses positives nous animent et je les ai délaissées avec cette affaire. Mon travail c’est de traire les vaches, de faire des fromages, de donner ça aux gens, c’est ça qu’on aime faire. On va y arriver. »
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