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Cet expert militaire en est persuadé
«Si ça continue comme ça, la Russie va perdre la guerre»
Marcus Keupp, économiste militaire à l’Académie militaire de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), forme des officiers de carrière suisses. La guerre en Ukraine, il la suit scrupuleusement depuis son début en 2022. Pour lui, la donne est claire: Poutine n’entend aucunement mettre fin au conflit. Et cette position pourrait lui coûter cher.
Marcus Keupp un cessez-le-feu va-t-il être déclaré tôt ou tard en Ukraine?
Je pense que c’est assez irréaliste. Je ne vois pas d’efforts sérieux pour faire cesser les combats du côté russe. Poutine veut une soumission totale de l’Ukraine. Ce n’est qu’ensuite qu’il négociera.
La Russie perd plus de 1000 soldats par jour. Pendant combien de temps pourra-t-elle encore se le permettre?
La Russie continue de mobiliser sans relâche. Les primes versées aux «mobiks» – ces hommes qui se portent volontaires pour effectuer le service militaire – ont atteint des sommes astronomiques. Ceux qui survivent six mois au front peuvent gagner jusqu’à un million de roubles (ndlr: environ 10’000 francs suisses). Mais leurs chances de survie demeurent très faibles.
Dans le Donbass, l’impasse semble totale. L’un des deux camps a-t-il encore une chance d’effectuer une percée significative?
Si les choses continuent ainsi, la Russie va perdre la guerre. Environ 500’000 soldats russes se trouvent sur le front. L’Ukraine produit à peu près deux millions de drones par an, soit quatre drones pour chaque soldat russe. Si l’on coordonne cela avec l’intelligence artificielle, l’Ukraine peut ériger un mur de drones que les Russes ne pourront plus franchir à terme. Aujourd’hui déjà, ils sont de plus en plus exposés à ces drones, car ils manquent de véhicules blindés. Certains soldats russes se déplacent en trottinette électrique sur la ligne de front…
L’Ukraine peut-elle reconquérir les territoires perdus?
Une contre-offensive d’envergure serait bien trop coûteuse: humainement et matériellement. En revanche, l’Ukraine peut perturber l’approvisionnement russe jusqu’à et entraîner un épuisement des ressources matérielles ennemies à certains endroits. A terme, cette stratégie visera à provoquer un effondrement du front. C’est précisément ce que les Ukrainiens tentent de faire actuellement sur plusieurs secteurs. Le conflit pourrait donc encore durer longtemps. « Aujourd’hui, comme à l’époque, il existe des personnes qui pensent qu’Hitler ou Poutine n’ont pas si tort, qu’ils ont le droit de se défendre
Si des territoires ukrainiens venaient à être attribués à Poutine au cours des négociations, quelles pourraient être les conséquences?
On ne peut pas négocier avec Poutine. Ceux qui demandent aujourd’hui des négociations avec la Russie sont des pseudo-humanistes. Ces personnes prétendent n’avoir à cœur que la vie des pauvres soldats des deux côtés, de manière totalement désintéressée. Ils oublient une chose: la conséquence des négociations serait que Poutine serait récompensé pour son agression, alors qu’il a enlevé des milliers d’enfants ukrainiens et qu’il a tué ou russifié des centaines de milliers de citoyens ukrainiens. Les nazis aussi tentaient de «germaniser» les populations, on appelait cela «l’Umvolkung». Fort heureusement, on ne négociait pas avec les nazis à l’époque.
On les a vaincus militairement, puis on les a forcés à capituler…
… et ce alors qu’en 1944, il y avait encore des voix aux Etats-Unis pour dire: «Allons-nous encore sacrifier autant de soldats? Allez, allons parler à cet Hitler. Qu’on le laisse avoir l’Europe.» Aujourd’hui, comme à l’époque, il existe des personnes qui pensent qu’Hitler ou Poutine n’ont pas si tort, qu’ils ont été humiliés eux aussi, qu’ils ont le droit de se défendre. Quiconque pense cela est moralement pourri.
Comment la guerre peut-elle se terminer sans négociations?
Si Poutine obtient des concessions, même minimes, lors des négociations, cela enverra un signal fatal: sa guerre d’agression sera alors à nouveau rentable. Beaucoup de pays pourraient se sentir en droit de récupérer des territoires leur ayant appartenu autrefois. Exemple: la Hongrie était bien plus grande qu’aujourd’hui par le passé. Pourquoi Viktor Orban n’aurait-il pas de prétentions sur les territoires de Roumanie et de Slovaquie anciennement possédés par la Hongrie et où vivent encore des minorités hongroises?
Ce danger guette-t-il également la Suisse?
Oui, cela pourrait aussi toucher à tout moment des Etats neutres comme la Suisse. Tous ceux qui estiment aujourd’hui que seule la loi du plus fort doit prévaloir n’ont aucune idée de ce qu’il les attendra demain lorsque le système basé sur des règles aura été mis hors service.
Donald Trump promet de mettre fin à la guerre «très bientôt». L’en croyez-vous capable?
Trump pense qu’il est un grand faiseur d’accords. Poutine est toutefois bien supérieur à lui tant sur le plan intellectuel et que sur le plan tactique: il fait des promesses de forme, mais sur le fond, il continue comme avant.
La semaine dernière, l’émissaire de Trump Steve Witkoff a de nouveau rencontré Poutine à Moscou. Récemment, Steve Witkoff s’est montré incapable de nommer les quatre provinces ukrainiennes annexées par la Russie. Qu’est-ce que cela dit de la stratégie de négociation de Trump?
Ironiquement, Trump fonctionne d’une manière très similaire à celle de Poutine. Ce n’est pas la compétence qui compte, mais la loyauté. L’administration de Trump ne se compose plus que de laquais et de lèche-bottes. Steve Witkoff était un entrepreneur immobilier. Trump et lui se sont connus il y a longtemps. Witkoff ne connait rien de la Russie ou de l’Ukraine. Il se fait complètement avoir par la propagande de Poutine.
Trump aussi?
Trump comprend que Poutine se joue de lui. Cela éveille son côté narcissique. Il se sent humilié, vexé d’être tourné en dérision. Une telle situation pourrait provoquer des réactions inattendues. Trump pourrait notamment se dire: «Si ce petit Poutine pense pouvoir ridiculiser un homme puissant comme moi, alors j’impose 500% de droits de douane à tous ceux qui achètent du pétrole russe.» Ce serait un scénario catastrophique pour Poutine.
Trump semble fasciné par Poutine, au point de ne jamais l’affronter frontalement. Pourquoi?
Une théorie extrême avance que Trump serait un agent russe qui aurait été recruté sous le nom de code Krasnov lors d’un voyage à Moscou en 1987. Durant cette visite, le KGB aurait recueilli des informations compromettantes pour le faire chanter. Mais rien ne permet de vérifier une telle théorie. Je pense plutôt que Trump, en tant que personne narcissique, est tout simplement fasciné par le culte de la personnalité qui entoure Poutine. Ses traits narcissiques sont d’ailleurs bien plus visibles aujourd’hui qu’au cours de son premier mandat. Peut-être aussi parce qu’il se dit qu’à 78 ans, c’est sa dernière chance de marquer l’Histoire et de rester dans les mémoires comme un négociateur impitoyable.
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