Bruno Retailleau s’est fait offrir son QG de campagne sur les Champs-Élysées

En 2022, lors de sa première campagne pour la présidence du parti Les Républicains, l’actuel ministre de l’intérieur a bénéficié, grâce à un sénateur millionnaire, de luxueux bureaux donnant sur la plus célèbre avenue de Paris, sans trace de paiement cette année-là ni déclaration dans ses comptes de parti, ce qui est interdit.

Antton Rouget et Ellen Salvi

Si Bruno Retailleau fait aujourd’hui figure de favori pour la présidence du parti Les Républicains (LR), il n’a pas toujours occupé une position aussi confortable. En 2022, lors de sa première tentative pour prendre la tête du mouvement de droite, l’actuel ministre de l’intérieur avait échoué au second tour face à Éric Ciotti, au terme d’une campagne menée avec les moyens du bord. Et ils n’étaient pas franchement grands.

Cette année-là, les caisses du microparti Force républicaine, dont le sénateur avait hérité de François Fillon après l’échec de la présidentielle, étaient totalement vides. La somme de 1,5 million d’euros de fonds propres dont disposait encore le petit mouvement au 31 décembre 2017 avait littéralement fondu. Les comptes étaient dans le rouge. Les dettes de l’ancien premier ministre n’étaient toujours pas épongées. Et les frais s’accumulaient.

Non content de se démener pour effacer l’ardoise de son « ami » en signant une curieuse convention avec LR, Bruno Retailleau s’est donc aussi lancé, au même moment, dans une campagne coûteuse, en temps et en argent. À ce titre, et comme ses concurrents de l’époque, Éric Ciotti et Aurélien Pradié, celui qui était encore patron du groupe LR au Sénat avait reçu une aide de 15 000 euros du parti.

Mais l’actuel ministre de l’intérieur avait aussi bénéficié du soutien plus discret d’un sénateur affilié à son groupe, Jean-Pierre Bansard, un élu méconnu mais puissant. L’homme d’affaires devenu millionnaire lui avait en effet fourni des locaux de campagne au numéro 2 de la rue de Washington, à l’angle de l’avenue des Champs-Élysées, en plein « triangle d’or » parisien.

Comme le montrent de nombreuses photos collectées par Mediapart, l’équipe du candidat y avait installé son QG. Plusieurs semaines durant, des dizaines de militant·es y ont notamment défilé pour participer aux opérations de démarchage téléphonique du candidat.

Bruno Retailleau et ses équipes dans le QG de campagne de 2022. © Documents Mediapart / Montage Armel Baudet

Pourtant, aucune dépense liée à des locations ne figure dans les comptes de Force républicaine en 2022. La loi interdisant tout financement occulte d’activités politiques, y compris pour des campagnes internes, comment ce QG a-t-il été payé ? La réponse est simple – quand bien même il aura fallu plusieurs relances de Mediapart pour l’obtenir : il n’a pas été payé. « Il s’agit d’un oubli comptable qui depuis a été régularisé », indique Jean-Pierre Giraud, le trésorier du microparti de Bruno Retailleau.

Après une nouvelle demande de précisions, Jean-Pierre Giraud ajoute que cet oubli était dû au fait que « le paiement n’avait pas été réclamé » par le bailleur. Interrogé sur la date exacte de cette régularisation, il esquive : « Dès que nous nous en sommes aperçus. » Puis confirme qu’aucune version amendée des comptes n’a été envoyée à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), qui est chargée de s’assurer de la sincérité et de la régularité des comptes des partis.

Selon la loi, un parti a notamment l’obligation de « communiquer chaque année à la CNCCFP la liste des personnes ayant consenti à lui verser un ou plusieurs dons ou cotisations, ainsi que les montants de ceux-ci » et l’interdiction de bénéficier de financement de personnes morales. En cas de manquements, il perd la capacité de financer des campagnes électorales, l’aide publique dont il peut bénéficier, ainsi que les réductions d’impôts (66 %) pour ses donateurs.

Un riche sénateur qui sait se montrer généreux

Une chose est sûre s’agissant du paiement du QG de campagne de Bruno Retailleau : sa régularisation n’est pas intervenue en 2023, dans les derniers comptes disponibles à la CNCCFP, ce que confirme le trésorier de Force républicaine. Également sollicité sur les conditions de cette mise à disposition, l’entourage du sénateur Jean-Pierre Bansard, aujourd’hui décédé, n’a pas répondu.

Inconnu du grand public, l’élu de droite avait fait un retour fracassant au palais du Luxembourg en septembre 2021, trois ans après sa destitution en raison de ses pratiques clientélistes. En 2017, lors d’un premier scrutin, l’homme d’affaires aux moyens financiers quasi illimités – il faisait partie des cinq cents plus grandes fortunes de France – avait en effet multiplié les promesses et cadeaux auprès de grands électeurs afin de réaliser son rêve de devenir sénateur. Sa première élection avait finalement été annulée, provoquant aussi l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris – aux dernières nouvelles, celle-ci est toujours en cours.

Pour nourrir son projet, le millionnaire a monté de toutes pièces son propre parti politique, l’ASFE, implanté dans la circonscription des Français de l’étranger (qui présente l’avantage de disposer d’un corps électoral restreint de 533 grands électeurs), sans s’embarrasser des règles de financement politique. Comme le montrent des documents consultés par Mediapart, Jean-Pierre Bansard a en effet régulièrement payé des activités de son parti avec l’argent de son groupe familial, spécialisé dans l’hôtellerie et l’immobilier, ce qui est strictement prohibé en France.

Dans plusieurs documents que nous avons pu consulter, l’adresse du numéro 2 de la rue de Washington est utilisée, y compris en 2022, par des sociétés de Jean-Pierre Bansard et de sa famille. D’après nos informations, c’est aussi depuis cette adresse qu’ont travaillé des équipes de l’ASFE. Avec qui le microparti Force républicaine a-t-il donc signé le bail pour son QG de campagne ? Sollicité à ce sujet, l’entourage de l’ex-élu ne nous a pas répondu.

Dans nos premiers échanges, le trésorier du microparti de Bruno Retailleau, Jean-Pierre Giraud, a d’abord pris soin d’occulter le nom de la famille Bansard, affirmant simplement que la structure avait signé « une convention de sous-location pour la mise à disposition de deux pièces qui n’étaient pas utilisées dans un appartement d’habitation ». Après une relance, il a indiqué que « la convention a[vait] été signée avec la locataire des lieux », citant une des filles du sénateur.

Le nom de l’ancien sénateur est aussi associé à une autre affaire révélée par Mediapart en septembre 2023, portant sur des soupçons de distribution de Légions d’honneur de complaisance. Une enquête judiciaire, toujours en cours également, a été ouverte pour « corruption » par le Parquet national financier. Elle vise notamment l’ancien grand chancelier, le général Benoît Puga (2016-2023), soupçonné de s’être compromis avec Jean-Pierre Bansard.

L’homme d’affaires s’était montré d’une générosité sans limites avec le grand chancelier (invitation pour les vacances, cadeau pour son épouse, contrat pour un de ses fils, etc.), tout en bénéficiant d’une pluie de décorations pour ses proches et enfants.

Bien qu’élu sous les couleurs de l’ASFE, le sénateur avait fait le choix, après son élection de 2021, de rejoindre le groupe LR, alors présidé par Bruno Retailleau. Après sa mort, à 84 ans en août 2024, l’actuel ministre de l’intérieur avait salué, dans un message sur les réseaux sociaux écorchant son nom, un « chef d’entreprise visionnaire » ayant mis « son expérience et sa grande intelligence au service de la collectivité ».

Le 1er septembre 2022, le jour où Bruno Retailleau avait annoncé en avant-première à ses troupes qu’il allait se lancer à la présidence du parti, Jean-Pierre Bansard lui avait immédiatement proposé son « aide », se souvient auprès de Mediapart un élu présent à cette réunion. Sans imaginer une seconde que ce cadeau se révélerait empoisonné deux ans et demi plus tard.

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