La situation critique du peuple Rohingya est l’une des crises humanitaires les plus urgentes aujourd’hui. En tant que minorité ethnique et religieuse du Myanmar, les Rohingyas sont confrontés à une discrimination systématique, à la violence de l’État et à des déplacements forcés. Notre apatridie est le résultat du processus d’exclusion de la Birmanie, ancré dans l’héritage colonial et les luttes de pouvoir post-indépendance.
D’un point de vue marxiste, il est utile d’analyser la crise des Rohingyas à la lumière de l’ouvrage de Vladimir Lénine sur « la question nationale ». Ce faisant, nous pouvons examiner la place des nationalités et des groupes ethniques opprimés dans la lutte plus large contre le capitalisme et l’impérialisme.
Contexte historique de l’oppression des Rohingyas
Les Rohingyas forment un groupe ethnique majoritairement musulman originaire de l’État de Rakhine, au Myanmar. Malgré des documents historiques confirmant notre présence dans la région depuis des siècles, le gouvernement birman refuse de nous reconnaître comme citoyens. La loi sur la citoyenneté de 1982 a institutionnalisé notre exclusion en nous refusant toute reconnaissance juridique, en nous rendant apatrides et en nous privant de droits fondamentaux tels que la liberté de circulation, d’éducation et d’emploi.
Cette exclusion est profondément liée au processus de construction nationale postcoloniale du Myanmar. Depuis l’indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni en 1948, les élites militaires et politiques du pays, dominées par la majorité ethnique bamar, ont promu une identité nationale rigide fondée sur le nationalisme bouddhiste. Ce cadre a positionné les Rohingyas comme un « autre intérieur » et a facilité leur persécution systématique. Les violences de masse se sont intensifiées en 2017, lorsqu’une répression militaire brutale, justifiée par des attaques présumées d’insurgés, a contraint plus de 700 000 Rohingyas à fuir vers le Bangladesh.
La question nationale et l’apatridie des Rohingyas
Dans la pensée marxiste, la « question nationale » concerne la relation entre les nationalités opprimées et la lutte plus large contre le capitalisme et l’impérialisme. Lénine soutenait que l’autodétermination nationale était essentielle aux mouvements socialistes, mais mettait en garde contre l’instrumentalisation du nationalisme pour diviser la classe ouvrière.
La crise des Rohingyas illustre cette dynamique, où l’identité ethnique est manipulée au service des intérêts de la classe dirigeante birmane.
i. L’exclusion ethnique comme outil de pouvoir des élites
L’exclusion des Rohingyas sert la classe dirigeante birmane en détournant la lutte des classes vers des divisions ethniques. La junte militaire et les élites nationalistes exploitent le sentiment anti-Rohingya pour consolider leur pouvoir, détournant l’attention des injustices économiques plus vastes et des luttes de la classe ouvrière. En présentant les Rohingyas comme une « menace étrangère », l’État favorise l’unité de la majorité bamar tout en réprimant toute dissidence plus large.
ii. Le rôle du capitalisme et de l’impérialisme mondiaux
La crise des Rohingyas n’est pas seulement un problème national : elle est intimement liée aux intérêts capitalistes mondiaux. Malgré les condamnations internationales, l’armée birmane bénéficie de contrats d’armement et d’investissements économiques de puissances régionales et mondiales. La Chine et l’Inde, par exemple, entretiennent des partenariats économiques avec le gouvernement birman, motivés par leurs intérêts stratégiques en matière de ressources naturelles et de routes commerciales.
De même, le Bangladesh, qui accueille près d’un million de réfugiés rohingyas à Cox’s Bazar, est confronté à des pressions économiques et politiques exploitées par les puissances mondiales. L’afflux de réfugiés pèse lourdement sur les ressources du pays, créant une dépendance à l’aide internationale. Des organisations comme le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et la Banque mondiale fournissent une aide humanitaire, mais cette aide est souvent liée à des intérêts géopolitiques plus larges, renforçant la position du Bangladesh dans la hiérarchie économique mondiale.
Les réfugiés rohingyas à Cox’s Bazar : une crise dans la crise
Cox’s Bazar, le plus grand camp de réfugiés au monde, abrite près d’un million de réfugiés rohingyas dans des quartiers surpeuplés et sous-financés. Si le Bangladesh a initialement offert un refuge, les conditions se sont détériorées en raison des contraintes financières, des tensions politiques et de la négligence internationale.
• Des conditions de vie précaires : Les réfugiés rohingyas sont confrontés à des pénuries alimentaires, à des soins de santé inadéquats et à un manque d’opportunités d’emploi (remarque : le manque de mesures de sécurité incendie et de sensibilisation à la sécurité en cas de catastrophe naturelle a entraîné plusieurs incendies dans le camp).
• Des problèmes de sécurité : Des groupes armés et des trafiquants d’êtres humains exploitent les conditions de vie difficiles dans les camps. Les menaces envers les jeunes augmentent, tout comme les violences contre les Rohingyas dans le camp, certains Rohingyas étant même assassinés.
• Pressions politiques et économiques : Le gouvernement bangladais, confronté à l’opposition nationale, restreint de plus en plus la mobilité et l’accès à l’éducation des Rohingyas. Il a même interdit l’accès des voitures au camp, empêchant ainsi toute intégration à long terme. La crise de Cox’s Bazar illustre comment les réfugiés deviennent autant des pions de la politique capitaliste au Bangladesh que dans celle du capitalisme mondial. Les pays riches refusent de réinstaller un nombre important de Rohingyas, tandis que des puissances régionales comme la Chine et l’Inde privilégient leurs propres intérêts stratégiques au détriment des causes profondes de la crise.
Appel à la solidarité et à la résistance
D’un point de vue marxiste, la crise des Rohingyas n’est pas seulement une question ethnique ou humanitaire : elle est profondément liée à l’oppression étatique, au capitalisme et à l’impérialisme. Les élites dirigeantes du Myanmar exploitent le nationalisme ethnique pour se maintenir au pouvoir, tandis que les forces capitalistes mondiales profitent de l’instabilité et des politiques d’aide.
Pour résoudre la crise, les solutions doivent aller au-delà de l’aide humanitaire et s’attaquer aux forces structurelles qui favorisent l’exclusion des Rohingyas.
Cela implique :
• de remettre en question l’emprise de l’armée birmane sur le pouvoir et de révéler ses liens avec le capitalisme mondial ;
• de défendre l’autodétermination des Rohingyas et de garantir leur reconnaissance comme membres à part entière de la société. En défendant l’autodétermination des Rohingyas, le mouvement ouvrier birman peut saper le nationalisme bouddhiste au sein de la classe ouvrière ;
• de renforcer la solidarité entre les groupes opprimés du Myanmar, du Bangladesh et d’ailleurs, et de lier la lutte des Rohingyas à des mouvements anticapitalistes plus larges.
En fin de compte, la crise des Rohingyas nous rappelle brutalement que l’oppression ethnique est indissociable de la lutte des classes. Une solution juste exige le démantèlement des structures du nationalisme ethnique, de l’oppression étatique et de l’exploitation capitaliste mondiale qui entretiennent leur marginalisation.
Publié originellement le 15 février 2025.
Source : https://links.org.au/rohingya-crisis-and-national-question-marxist-perspective
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