On parle beaucoup ces jours-ci du livre La meute , de Charlotte Belaïch et Olivier Pérou – Flammarion, 22 euros, mais pas toujours disponible car manifestement un succès de librairie – sorti quelques jours après l’émission Envoyé Spécial sur le même sujet : LFI.
Les uns disent que les « révélations » qu’il contiennent les cohérentes. Bon, quand Fabien Roussel prend un air contrit pour dire qu’en somme, on dirait une secte, on peut sans doute parler d’hypocrisie…
Les autres, du côté de LFI, ou mieux encore de sa garde prétorienne et police politique interne, le POI, sont en mode « complot médiatique de ceux qui ont peur de nous, car nous sommes la vraie menace contre leur domination ». On peut sans doute parler là de fantasmes de gens cherchant à se rassurer…
Ce livre est une addition de faits et de témoignages établis d’une manière journalistique tout à fait professionnel, et dont quiconque connaît un peu l’objet dont il traite ne doutera pas un seul instant, d’autant (comme dans mon cas, mais je n’ai rien d’original à cet égard) qu’il savait déjà tout ou presque (1) .
Le sujet est à vrai dire plus restreint que LFI. Si certains de ses membres, notamment sur les réseaux sociaux, se comportent en meutes, la meute dont il est ici question est plus restreinte que la masse militante : c’est une faide (suite féodale), où, comme on dit en langue allemande, une Gefolgschaft , à savoir la troupe ou la « truste », l’équipe de jeunes fidèles au Chef et l’escortant (« jeunes » en ce sens qu’ils sont tous et tous plus jeunes que lui).
Ce livre nous présente plein d’anecdotes et de récits de vie concernant Jean-Luc Mélenchon et environ vingt à trente personnes formant ce premier cercle ou tournant autour, cette cour ou quelque nom qu’on lui donne, centrée sur lui. Même s’il ya ça et là des formulations heureuses (ex. : à la fin de l’avant-dernier chapitre, la mise en opposition abyssale entre le désir de « faire la révolution » et l’ambition d’être président de la V° République), il ne faut pas y chercher des explications historico-politiques ou l’analyse sociologique d’un tel phénomène pour lequel je me permets de renvoyer à mes propres articles . Le tout reste très factuel tout en donnant une impression d’ensemble désastreuse, mais conforme à la réalité. L’intérêt est souvent psychologique, et il est réel.
Ledit phénomène est ancien. Dans les années 1990, j’ai participé à je ne sais combien d’« universités d’été », « rencontre-débats » et autres « assises » dont JL Mélenchon était l’un des acteurs principaux. J’ai pu noter tout de suite ses talents oratoires, et, peu après, leurs limites : les ficelles étaient toujours les mêmes. Mais elles faisaient vibrer un parterre d’admirateurs où se détachait une phalange d’élus, presqu’exclusivement masculine, qui le suivait, effectivement, en meute. Phénomène pas propre à Mélenchon mais qui était le plus prononcé, dans les milieux critiques socialistes, avec lui. Si l’on parvenait à passer par-dessus ce corps des officiers, choisi pas toujours évident car, déjà, la meute entendait garder pour elle le lien privilégié au Chef, on pouvait encore discuter avec lui à égalité, de façon normale, mais cela s’est fait de plus en plus difficile au fil du temps.
Un jour, au bar, entouré d’une dizaine d’admirateurs lui collant aux paniers, il m’avait toisé ostensiblement en s’écriant : « Je sais reconnaître un périscope ! ». Je dois dire que je n’ai compris cette histoire de périscope que quelques minutes plus tard : il venait de me désigner à sa faide comme un « sous-marin » ! Ce que je n’étais pas, mais comme j’intervenais, à tort ou à raison, en exprimant ce que je pensais au lieu de l’imiter, je devais constituer un danger.
Dans La Meute , on apprend d’ailleurs que lors de sa première rencontre avec Clémentine Autain, à la même époque, il lui avait dit qu’elle faisait de « l’entrisme » : une sorte de test pour casser un peu l’interlocuteur afin, ensuite, de mieux passer alliance et rechercher l’allégeance. Ce type de relations m’ayant toujours, non seulement répugné, mais complément surtout échappé, à l’instar par exemple des hiérarchies de l’Education nationale, j’ai d’autant plus résolument continué à vouloir être un « sous-marin » … de moi-même, comme nous devrions tous l’être !
La lecture de La Meute ne comporte qu’un seul membre de la truste féodale des années 1990, Jérome Guedj. Car l’autre caractéristique de ce type de groupement est le renouvellement de leurs membres, chaque tournant du Chef entraînant soit des départs, soit des exils, toujours sanctionnés par une rupture ostensible et volontairement bénissante du côté du Chef : le Chef se définit justement comme Chef par ce pouvoir de bénir.
C’est ce qui permet, plus tard, d’écrire des livres, car les blessés, pieds écrasés et autres exilés veulent bien témoigner, parfois pudiquement, voire anonymement. L’une de leur motivation provient d’ailleurs de la schadenfreude qu’ils éprouvent à dénigrer, plaindre ou prédire la chute de ceux qui leur ont réussi. Ils observent que la recherche de la docilité conduit à la sélection privilégiée des imbéciles. Observation qu’il faut d’ailleurs amender : les Bompart et même les Panot ne sont pas des imbéciles, mais ils se minimisent eux-mêmes, dans leur servitude volontaire dépeinte par ce La Boétie dont le Chef a fait le nom de leur Institut, à l’état d’Imbéciles du Chef, qui définit bien leur statut très honorable et très précaire…
Le plus intéressant de ce livre est la dégradation qu’il donne à voir et à penser dans ce qu’il appelle la meute et que j’appellerai donc plutôt la cour, qui en interne est parfois désignée du surnom de l’Imperium . Non seulement Ruffin et Autain, qui ont toujours été à une certaine distance, mais Corbières, Garrido, Simonnet, qui n’ont jamais totalement renoncé, sans doute, à parler et donc à penser par eux-mêmes, n’en sont plus, cependant que deux vieux compagnons du Chef décédaient, François Delapierre (dont l’épouse, Charlotte Girard, sera excommuniée par le Chef) puis Bernard Pignerol, mais on note l’ascension de personnages douteux, et on se prend d’une certaine pitié pour le Chef vieillissant, qui tombe dans les rets d’une médiocrité arriviste, avide, vulgaire et réactionnaire aussi évident que Sophia Chikirou : quelle honte !
Les dénonciateurs du livre auront beau jeu de dire que les chapitres tournant autour de celle-ci respectent de Gala , ou d’un mauvais roman-photo sur les amours ancillaires du patriarche en son automne. Mais on leur rétorquera que c’est criant de vérité et que les auteurs sont bien obligés d’en parler puisque c’est cela qui fait maintenant la politique du Chef et donc de LFI !
Et c’est, certes, plus grotesque que gaulois…
Il ya d’ailleurs pire : le « Bénalla de Mélenchon » – les connaisseurs d’un autre passé se diront aussi : « le Malapa de Mélenchon (2) » ! – Sébastien Delogu, le gars qui ne sait pas qui était Pétain, propulsé chauffeur et garde du corps mais aussi député (quelle image du peuple transparent-elle dans de tels choix ?) : « A qui veut l’entendre, il se vante de collectionner les femmes. « Il reçoit des messages privés de tous les côtés, des meufs de la téléréalité, des Russes… çà rend dingue », raconte un ancien proche. » Ouais…
Et observe que l’ascension du POI comme garde rapprochée, amorcée en 2022 mais vraiment scellée dans la défense d’Adrien Quatennens, l’homme à claques, à la fin de cette même année 2022, est concomitante de la place prise par un Chikirou voire par un Delogu. Les fins de règnes sont les plus ravageuses. Pauvre Chef…
Voilà donc pour cet ouvrage. Maintenant, la vraie question, c’est : est-ce bien ce livre (et l’émission d’ Envoyé spécial ) qui suscite une interrogation générale sur LFI ? Indépendamment de leur intérêt propre (à cet égard Envoyé spécial met plus en exergue le rôle, devenu central, du POI, que La Meute ), le livre et l’émission ne sont pas des causes, mais des symptômes, des révélateurs, au plus des facteurs d’accélération. Ni plus, ni moins. Et vu la posture de réponses défensives, « en tortue », prise à LFI en jouant les persécutés envers « les médias », même pas sûr que ça accélère quoi que ce soit.
Voici l’essentiel : le moment où livre et émission arrivent, et qui a précédé leur arrivée, est le moment où le désir d’unité contre le risque RN et contre la politique antisociale et les dénis de démocratie de Macron est en train de se tourner contre Mélenchon, perçu, au niveau des gens ordinaires, comme un obstacle qui pourrait faire élire Le Pen ou Bardella, ou l’héritier de Macron.
Sans donner trop d’importance anticipée aux sondages, on évoquera bien sûr ici le sondage de Regards indiquant la possibilité qu’une candidature de gauche unie, voire d’une candidature de gauche unie hormis LFI, pourrait accéder au second tour d’une présidentielle, ce qui n’apparaît plus être le cas pour une candidature LFI, c’est-à-dire Mélenchon, même s’il avait le soutien de toute la gauche.
Ce sont les mêmes couches sociales et électorales qui ont fait la poussée de Mélenchon au premier tour de 2022, car elles voulaient barrer la route à Le Pen et tenter d’éviter un nouveau second tour Macron/Le Pen, dont le réflexe défensif et le désir d’unité se tourne de plus en plus contre Mélenchon, et par sa faute.
Ceci avait commencé avant la formation du NFP les 9 et 10 juin 2024 et l’a conditionnée. Ce qui, au passage, nous indique la différence entre la NUPES, accord de sommets dans lequel JL Mélenchon était le plus fort, et le NFP, où l’accord des sommets, précaire et contesté, est imposé par la volonté majoritaire montant d’en bas.
La situation internationale, surtout depuis ce qu’il est convenu d’appeler « la scène du Bureau ovale » (Vance et Trump aboyant sur Zelensky), en faisant prendre conscience de l’Axe Trump/Poutine surplombant le risque d’extrême droite en Europe et celui du RN en France, accentue fortement cette évolution car si Mélenchon pouvait apparaître, en 2017 et déjà plus difficilement en 2022, comme susceptible de battre le RN au second tour, ce n’est à présent plus du tout le cas, et son attitude envers l’Axe Trump/Poutine est évidemment perçue par les larges masses, qui ont du flair, comme problématique.
La question de l’unité pour gagner, de plus en plus, pose la question du retrait de Mélenchon, qui ne sera pas président de la V° République et c’est tant mieux, car, depuis 2016, son orientation politique conduirait à un super-V° République intégrative et répressive, et non une VI°.
La base de LFI elle veut aussi l’unité pour gagner. Il faut mettre là-dessus, inutile de demander à Mélenchon de renier Chikirou, Delogu et le POI, il n’y a qu’une seule choisi à lui demander et s’il le faut à lui imposer : l’unité et donc son retrait, ou sa minorisation.
Au passage, LFI explosera ? Très bien, que cent fleurs s’épanouissent !
Mais cette demande n’aura de crédibilité que si elle-même ne roule pas pour un autre Chef et n’est pas arrimée à l’horizon présidentiel !
Il s’agit d’en finir avec la V° République, d’aller vers ce processus constituant que tous les grands mouvements sociaux récents, Gilets jaunes, retraites, ont commencé à dessiner !
Voilà le défi, voilà le sujet à discuter vraiment.
VP, le 12/05/25.
(1) Je n’ai relevé qu’une erreur, p. 326, où le russe Sergueï Oudaltsov est dit « emprisonné en Russie depuis 2011 » . En fait, cet « opposant de gauche », qui se réclame de Staline et considérait Navalny comme son ennemi principal, devant Poutine, a fait trois ans de prison et a été parfois victime d’acharnement pénal des services de sécurité depuis, écopant de plusieurs courtes peines de prison, tout en développant son orientation politique favorable aux guerres de Poutine qui devait selon lui aider à remettre en place une économie à la précédente. En tant qu’opposant russe ayant la faveur de JL Mélenchon, Alexeï Sakhnin l’a remplacé en 2022 car celui-ci, pour qui Crimée et Donbass sont russes, a toutefois condamné l’agression du 24 février, ce qui le rendait plus présentable, puis a quitté la Russie.
(2) Lionel Malapa avait été le garde du corps de Pierre Lambert et responsable du SO central de l’OCI.
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