Racisme, antisémitisme et homophobie : les écrits de la députée censée dédiaboliser le RN

Rassemblement national : les faux-semblants de la dédiabolisation Enquête

Stratège de Marine Le Pen, la députée Caroline Parmentier a écrit pendant trente ans dans le quotidien « Présent ». Elle y parle du « lobby juif », rend l’homosexualité responsable du sida, célèbre Pétain, attaque la « grosse » Simone Veil et fustige les « supporters babouins » dans les stades. Interrogée par Mediapart, elle ne retire rien de ce qu’elle a pu écrire.

Fabrice Arfi et Antton Rouget

Le passé de la députée Rassemblement national (RN) Caroline Parmentier s’appelle Présent. C’est le nom du journal d’extrême droite – sa devise est « Dieu, famille, patrie » – dans lequel cette proche de Marine Le Pen a travaillé pendant trois décennies. Reconvertie en politique, Caroline Parmentier a intégré il y a sept ans les structures du RN avec une dimension stratégique essentielle : poursuivre auprès des médias l’entreprise de dédiabolisation du parti et de ses deux principaux dirigeants, Marine Le Pen et Jordan Bardella.

En 2022, Marine Le Pen qualifiait Caroline Parmentier de « femme de talent », avec qui elle a eu le « plaisir de travailler et qui a été de tous les combats pendant la campagne présidentielle ». « Elle est une amoureuse de la France et du peuple français », s’enthousiasmait la cheffe de file de l’extrême droite française.

Mais Caroline Parmentier est-elle véritablement la mieux désignée pour la mission de dédiabolisation du RN ? Ses écrits dans Présent, que Mediapart a analysés dans les archives disponibles de la Bibliothèque nationale de France (BNF), offrent aujourd’hui une plongée saisissante dans un océan de racisme, d’antisémitisme, d’homophobie et d’intégrisme religieux d’une rare virulence, qui tranche avec la vitrine de respectabilité qu’essaye de s’offrir le parti d’extrême droite désormais aux portes du pouvoir.

Marine Le Pen et Caroline Parmentier à l’Assemblée nationale, le 6 mars 2024. © Photo Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP

Sous la plume de l’actuelle députée du Pas-de-Calais, élue en 2022 à l’Assemblée nationale, les supporters dans les stades de foot sont ainsi comparés à des « babouins ». La journaliste évoque aussi l’existence d’un « lobby juif », rit aux blagues antisémites de Jean-Marie Le Pen et célèbre des auteurs apôtres du maréchal Pétain et de la collaboration avec l’Allemagne nazie.

Elle parle de « meutes tribales » dans des banlieues qui seraient des « zones françaises “recolonisées” à l’envers : en voie de barbarie, de tribalisation, de déshumanisation ». Elle sera d’ailleurs condamnée en 1995 par le tribunal de Paris pour diffamation raciste après avoir parlé dans un article de « voyous ethniques désœuvrés » et d’une génération d’« immigrés maghrébins » à l’origine de « violences et vandalismes ». Elle voit aussi dans la communauté des gens du voyage des « bohémiens galeux », « mangeurs de hérisson, voleurs de poules et même de voitures au besoin ».

Déchaînée contre le « lobby LGBT » et « la folie du tout homo », elle s’en prend en outre aux « collabos du sida », à savoir les promoteurs du port du préservatif qui, selon elle, « ne présente pas une protection fiable » contre le virus. Pour Caroline Parmentier, « le principal vecteur du sida, ce sont les pratiques homosexuelles elles-mêmes ».

Contactée par Mediapart, la députée RN ne prend aucune distance avec ses écrits dans Présent, qui ont difficilement pu échapper à Marine Le Pen (lire notre encadré plus bas). Caroline Parmentier déclare seulement qu’elle n’a été condamnée qu’une seule fois « en trente et un an de carrière journalistique » pour des propos qui, selon elle, ne « tomberaient plus sous le coup de la loi aujourd’hui ». « Je n’ai jamais eu de casier judiciaire. Aucun autre de mes articles n’a fait l’objet de poursuites judiciaires de la part d’associations ou du parquet », évacue-t-elle.

Un mentor adorateur de Maurras

Caroline Parmentier a 23 ans seulement quand elle intègre Présent en 1988, sept ans après le lancement du quotidien par un quarteron de nostalgiques de Charles Maurras et de L’Action française. Parmi eux, Jean Madiran, un auteur ouvertement antisémite et antirépublicain, le mentor de Caroline Parmentier au sein du journal.

Au milieu des années 1990, dans un article présentant la rédaction, Jean Madiran parle de Caroline Parmentier comme d’« une jeune Béarnaise arrivée tout droit de sa province » et devenue très rapidement « une Parisienne accomplie ». Il croque son portrait : « Un sourire éblouissant vous ensorcelle et vous ne remarquez pas qu’elle a la dague à la main : une plume dont la pointe s’affine cruellement de jour en jour. »

Caroline Parmentier, qui qualifie pour sa part Madiran de « Maurras optimiste » qui « n’a jamais trahi ni Mgr Lefebvre [archevêque traditionaliste excommunié par le pape Jean-Paul II – ndlr], ni Jean-Marie Le Pen », lui rendra un vibrant hommage à sa mort en 2013 dans Présent, dont elle est devenue entretemps la rédactrice en cheffe : « Jean Madiran nous a appris à être des réfractaires en utilisant l’incroyable espace de liberté unique qu’est notre quotidien. » Et de célébrer le mantra de son mentor : « Politique et religion marchent forcément ensemble. »

Fidèle à la mission originelle de Présent, qui « n’a de sens que s’il participe à la conquête des esprits » (dixit un ancien directeur du journal), Caroline Parmentier expliquera dès 1994 à ses lecteurs et lectrices que le quotidien est là pour lutter contre « la logique diabolique du mensonge médiatique, qui est permanent, atténue puis supprime la nette distinction entre le bien et le mal ». Avec une prédilection pour les faits divers et la politique, ainsi que pour les questions sociétales et culturelles, Caroline Parmentier ne ménagera pas sa peine pendant trente ans, au risque de très nombreux dérapages.

Des dérives antisémites

Il n’y a guère de surprise à trouver des références antisémites dans un journal comme Présent, où l’on célèbre l’anniversaire de la mort de Pétain, où l’on « se pose des questions sur Dreyfus », où l’on tresse des lauriers à la revue d’un négationniste condamné (Tabou, de Jean Plantin), où l’on donne la parole au milicien Pierre Sidos, et où l’on considère comme une « humiliation sans précédent » la reconnaissance par Jacques Chirac de la responsabilité de la France dans la déportation des juifs pendant la Shoah.

Caroline Parmentier apportera sa pierre à l’édifice à plusieurs reprises. Dès 1995, elle présente, dans un article sur une pleine page, l’écrivain fasciste Robert Brasillach, rédacteur en chef du journal collaborationniste Je suis partout, et d’autres fusillés de février 1945 condamnés pour « intelligence avec l’ennemi », comme « nos héros et nos modèles ». Dans le même article – sur la collaboration, donc –, Caroline Parmentier croit pouvoir comparer l’avortement à un « génocide moral, idéologique et même physique ».

La même année, l’actuelle députée RN publie un article – « On nous a menti sur Pétain » – dans lequel elle explique comment le père de la « révolution nationale » et des lois antisémites a été, selon elle, « sali » et « diabolisé », parlant de « terrorisme de la pensée ». « Le mensonge continue de s’élever au rang de vérité historique », cingle-t-elle.  

Près de vingt ans plus tard, autre sujet, même rhétorique. Début janvier 2012, après avoir dénoncé dans un billet la surreprésentation d’une « France métissée » dans le classement du JDD des personnalités préférées des Français – elle tacle notamment Yannick Noah pour ses « ritournelles nulles et ethniques » –, Caroline Parmentier s’en prend cette fois à Simone Veil, « la grosse, celle de la loi qui porte son nom et qui génocide 220 000 petits innocents par an ». Accoler le terme de « génocide » à une femme connue pour avoir été une survivante d’Auschwitz ne doit évidemment rien au hasard dans un journal comme Présent. 

En 2011, Caroline Parmentier prend aussi la défense de Robert Ménard – « Robert Ménard ne se laisse pas faire : pourvu que ça dure » – après que l’ancien directeur de Reporters sans frontières (RSF) et futur maire de Béziers se soit interrogé sur l’existence d’un « lobby juif » en soutien à Dominique Strauss-Kahn.

« Insulter les catholiques, les flics, les cons de droite, tant que vous voulez. Évoquer le lobby juif, il y a quand même des limites », s’émeut Caroline Parmentier, qui conseille à Robert Ménard de se rapprocher de Présent« un irréductible petit quotidien français non coupé du pays réel ». L’expression « pays réel » est un clin d’œil à peine déguisé à Charles Maurras, qui en avait popularisé le concept dans les années 1930.

Caroline Parmentier revient aussi sur les accusations d’antisémitisme qui ont visé le styliste John Galliano. « Quand on sait que la marque Dior est l’une des chéries des clients juifs, la transgression a-t-elle été encore plus délicieuse ? », se demande-t-elle dans le quotidien.

Début 2011, évoquant le passage de « flambeau » de Jean-Marie Le Pen à sa fille Marine à la tête du Front national (FN), elle se plaint que « la télévision ne retiendra pour la servir en boucle le lendemain que la soi-disant “agression” d’un journaliste de France 24 viré manu militari de la soirée de gala où il s’était introduit clandestinement ». « Il plaidera qu’il est juif. “Ça ne se voyait pas sur son nez”, répondra aux journalistes un Jean-Marie très en forme », s’amuse Caroline Parmentier.

L’actuelle députée RN est une adoratrice assumée de Le Pen père, connu pour son antisémitisme et condamné par les tribunaux. « Le Pen a porté nos idées et celles de la droite nationale au plus haut niveau », salue-t-elle en 2011. Elle prend ainsi sa défense après une énième saillie antisémite du père de Marine Le Pen : « Savez-vous que le prénom du petit-fils de Sarkozy est Solal, ce qui ne relève pas d’une franche assimilation de sa famille à la société française. »

Et quand un lecteur de Présent la compare au journaliste et homme politique Serge de Beketch, un ancien de Minute et National Hebdo devenu directeur de la communication de la mairie de Toulon quand elle était aux mains du FN, Caroline Parmentier rougit : « Vous pouvez difficilement me faire plus plaisir. » Selon Le Monde, Serge de Beketch est pourtant un adepte de « calembours qui suintent l’antisémitisme et il ne rate jamais une allusion au génocide juif pour en relativiser l’ampleur » – il s’agit aussi d’un défenseur du négationniste Robert Faurisson, dont il conseille la lecture.

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© Photomontage Armel Baudet / Mediapart avec documents

Condamnée pour haine raciale

1994 est une année charnière dans la carrière de Caroline Parmentier. Le 29 novembre, la journaliste est en effet jugée à Paris à la suite de la plainte de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) contre un article qu’elle a publié un an plus tôt dans Présent. Il s’agit d’un texte qui amalgamait la question de la dernière génération d’« immigrés maghrébins », les « voyous ethniques désœuvrés » et des actes de « vandalisme et de violences » quand certains élus ou éducateurs envoient « des jeunes » à la campagne dans des gîtes d’accueil. « Le seul véritable problème réside dans la proportion d’immigrés en place, quelle que soit cette place », concluait-elle.

La journaliste sera finalement condamnée pour diffamation à caractère raciste en 1995, jugement confirmé en appel et, définitivement, jusque devant la Cour de cassation.

Caroline Parmentier reparlera de cette condamnation à de nombreuses reprises comme un motif de fierté dans les colonnes du quotidien, notamment en 2011 quand Éric Zemmour sera à son tour poursuivi (et condamné) pour avoir dit que les délinquants étaient noirs et arabes. « Je lui traçais la voie », rappelle Caroline Parmentier à ses lecteurs dans un article publié à la une sous le titre « Rejoins-nous Zemmour ! ». « Zemmour a dit la vérité », tranche-t-elle, n’hésitant pas à son tour à affirmer quelques mois plus tard que « la majorité des dealers sont d’origine africaine ou nord-africaine ».

Les obsessions racistes de Caroline Parmentier prennent plusieurs formes dans Présent. D’abord celle d’une charge permanente contre la lutte antiraciste ou tout ce qui, dans le débat public et dans les tribunaux, est considéré comme raciste. Le nombre d’articles qui dénoncent sous sa plume le « lobby antiraciste » est infini. En mars 1994, Caroline Parmentier critique déjà « l’imposture antiraciste de type stalinien » du premier ministre Édouard Balladur, tandis qu’en 2011 elle parle de « terrorisme antiraciste ».

Fin 2013, elle prend la défense de Minute et s’inquiète du « supposé racisme » reproché au concurrent de Présent, qui avait comparé la ministre socialiste à un singe avec ce jeu de mots : « Taubira retrouve la banane. »

Caroline Parmentier consacre une part très importante de ses écrits obsessionnels à deux thèmes récurrents. D’une part, la viande halal et « l’islamisation forcée » qui se cacherait derrière. « Les Français ont été mis progressivement et sans le savoir au régime halal », s’inquiète-t-elle en 2012. À l’appui de sa panique morale, elle cite la chercheuse Florence Bergeaud-Blackler, « spécialiste du halal », surtout connue pour être aujourd’hui l’une des figures médiatiques promues par le groupe Bolloré défendant la thèse d’un « entrisme » des Frères musulmans en France.

Cette peur de « l’immigration-invasion », une expression qui revient souvent dans ses articles, se développe par ailleurs sur le terrain du football. En 2010, elle écrit ceci sur les Bleus : « Voilà ce que c’est de compter sur une équipe de voyous de cité. » Pareil quand Thierry Henry marque de la main : « Là aussi c’est une mentalité de voyous de cité. » En 2011, elle pointe des « supporters babouins » dans les tribunes.

Ses élans xénophobes peuvent parfois l’emmener très loin. En mai 1995, Caroline Parmentier fait part dans les colonnes de Présent de sa compassion pour un homme jugé aux assises de Bobigny qui « ouvert le feu sur un jeune Maghrébin qui venait le voler ». D’après la journaliste, la victime n’est pas celle que l’on croit : l’accusé, qui a tué un jeune homme de 24 ans, et sa famille « vivaient dans l’insécurité permanente, la peur et les agressions quotidiennes ». La journaliste dénonce alors « les conditions de survie cauchemardesques des habitants des cités de la terreur, victimes de vingt ans de politique d’immigration-invasion massive ».

Une ferveur homophobe

Avec l’immigration, l’autre péril qui hante Caroline Parmentier est l’homosexualité. Pour elle, les gays sont partout. Notamment dans le cinéma, qui aurait décidé, à la lire, de coloniser l’imaginaire de la terre entière.

  • Cyril Collard, le réalisateur des Nuits fauves mort du sida ? « Un gros dégueulasse doublé d’un criminel », qui serait le « symbole emblématique définitif du pourrissement intellectuel et moral d’une époque ».
  • La Vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche ? « Une saloperie ambiante », qui « normalise l’homosexualité » – par nature anormale, si on la suit…
  • Le Refuge, de François Ozon ? « Un film exactement conforme à ce qu’attendent de lui toutes ces “bonnes consciences” du milieu : une vibrante justification de l’homoparentalité. »
  • Le court métrage Le Baiser de la lune, de Sébastien Watel, diffusé dans les écoles ? « Le fanatisme délirant des activistes gay n’a plus de limite. »
  • Tomboy, de Céline Sciamma ? C’est l’occasion pour Caroline Parmentier d’affirmer que « l’accusation d’homophobie tue plus sûrement encore aujourd’hui que celle de racisme ».

Son homophobie est intense. « Le principal vecteur du sida, ce sont les pratiques homosexuelles elles-mêmes », affirme-t-elle ainsi en 2010. Déjà en 1994, elle s’en prenait au préservatif, « une tromperie criminelle qui met en danger des vies humaines ». Il autoriserait « le dévergondage » et la « sodomie », qui seraient le signe d’une « déboussolement des mœurs ». Une « politique de mort », selon elle. Une décennie plus tard, elle s’engage aux côtés d’un élu FN condamné pour avoir délibérément détruit un préservatif géant exposé à Taverny (Val-d’Oise) à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida.

En 2010, voyant Catherine Deneuve faire la couverture du magazine Têtu, Caroline Parmentier s’étouffe : « La plus grande liberté, pédophile, zoophile, nécrophile, SM, incestueuse [sera accordée] du moment qu’elle reste dans la sphère privée ? » Trois ans plus tard, en plein débat sur le mariage pour tous, elle laisse publier en une comme rédactrice en cheffe de Présent ce titre : « La haine Gaystapo ».

Cette ferveur homophobe semble trouver racine dans un intégrisme catholique très partagé au sein du quotidien nationaliste. Le combat contre l’avortement est par exemple l’un des marqueurs identitaires du journal, essentiellement porté par une autre journaliste, Jeanne Smits. Mais Caroline Parmentier parlera elle-même en 1998 de la loi sur l’avortement comme d’une « “loi républicaine” de l’auto-génocide ».  

Caroline Parmentier n’est pas en reste quand il s’agit de défendre les visées les plus conservatrices de l’Église. Au fil des ans, elle s’inquiète d’une justice qui conforte les principes de la laïcité dans le droit : « Le gros ennui de ces décisions au nom de la laïcité, c’est qu’elles sont basées sur le relativisme et non sur la vérité ou le jugement de valeur. »

En 2011, elle ira même jusqu’à confier à un lecteur son désarroi devant la tournure d’un discours de Marine Le Pen, fraîchement désignée présidente du FN : « Moi aussi je me suis sentie “un très vieux monsieur” quand j’ai vu la République et la laïcité en figure de proue du Congrès FN. »

Un an plus tôt, alors que les révélations s’accumulaient sur les crimes sexuels dans l’Église, Caroline Parmentier, pourtant si prompte à défendre une enfance en danger, s’indignait : « C’est une période extrêmement pénible et la cabale est véritablement diabolique. Les loups hurlent en meute. »

Quinze ans plus tard, la députée Caroline Parmentier, vice-présidente du groupe parlementaire RN et membre du bureau national du parti, est aussi la vice-présidente de la délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale.

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