ISRAEL ET LA BOMBE NUCLEAIRE 

Des années 1950 à aujourd’hui, décryptage en archives du programme nucléaire iranien

Dans la nuit du 12 au 13 juin 2025, Israël a mené plusieurs frappes contre des sites militaires et nucléaires de l’Iran. Selon l’État hébreu le programme nucléaire de Téhéran menace son existence. Depuis 2021, l’Iran a commencé à produire de l’uranium enrichi à 60 %, un taux qui le rapproche de la confection d’une bombe nucléaire.

Par Romane Laignel Sauvage –  Mis à jour le 13.06.2025

« Nous avons frappé [au] cœur du programme d’enrichissement [d’uranium] de l’Iran. Nous avons frappé le cœur du programme nucléaire militaire de l’Iran. Nous avons ciblé la principale installation d’enrichissement de l’Iran à Natanz ». Dans un message vidéo diffusé vendredi 13 juin 2025, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a annoncé que son pays avait lancé une opération militaire contre l’Iran.

Dans la nuit du 12 au 13 juin, plusieurs frappes israéliennes ont touché des sites militaires et nucléaires iraniens ainsi que Téhéran. D’après l’agence de presse iranienne Tasnim, le chef des gardiens de la révolution, le général Hossein Salami, a été tué, mais aussi deux scientifiques du programme nucléaire iranien, Mohammad Mehdi Tehranchi et Fereydoun Abbasi. « Cette opération se poursuivra autant de jours qu’il sera nécessaire pour éliminer cette menace », a déclaré Benyamin Nétanyahou.

Ces frappes surviennent alors que les États-Unis dialoguaient avec l’Iran sur son programme nucléaire. Le 12 juin, Donald Trump avait annoncé qu’Israël pourrait frapper les installations nucléaires de l’Iran et avait demandé à ce qu’elles n’aient pas lieu, affirmant qu’un accord restait proche.

En avril 2021, l’Iran avait déclaré commencer à produire de l’uranium enrichi à 60 % sur le site de Natanz, au nord d’Ispahan, puis, fin novembre 2022, dans l’usine de Fordo, au sud de Téhéran. Un pas de plus vers les 90 % nécessaires à la confection d’une bombe atomique.

En 2015, l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) avait interdit au pays d’avoir de l’uranium enrichi à plus de 3,67 % sur son sol et d’en produire pendant 15 ans. Fin mai 2025, un rapport confidentiel de l’AIEA avait noté une nette hausse de l’uranium enrichi à 60 % sur le sol iranien.

L’uranium enrichi est un matériau clé pour l’industrie nucléaire. Enrichi entre 3 et 4 %, il permet de faire fonctionner des centrales nucléaires et permet donc la production d’électricité. Au-delà, l’uranium a une fonction militaire.

Révolution iranienne, découverte de l’usine d’enrichissement, accords et revirements politiques : retour en archives sur les moments clés qui ont permis à l’Iran de fortifier son programme nucléaire jusqu’à inquiéter le monde entier, avec les éclairages, recueillis en décembre 2022, d’Héloïse Fayet, chercheuse spécialiste des questions de prolifération nucléaire.

LES ARCHIVES.

« Ce matin vers 10 heures, le Shah d’Iran arrive en hélicoptère à la centrale nucléaire de Marcoule, à trente kilomètres d’Avignon. Comme à Saclay mardi dernier, l’empereur s’est fait expliquer les particularités de cette centrale atomique, un centre presque unique au monde. » 1974 : le dirigeant de l’Iran Mohammad Reza Pahlavi visitait les installations nucléaires françaises de Marcoule dans le Gard. Créé en 1956, ce site industriel faisait office de fer de lance du nucléaire français, à la fois pour la production d’électricité et pour un usage militaire.

Les deux pays avaient de nombreuses raisons de collaborer. D’un côté, la France se préservait un approvisionnement en pétrole, dans un contexte de crises pétrolières. De l’autre, l’Iran envisageait déjà une époque où l’or noir viendrait à manquer et misait sur le nucléaire pour y pallier. La mise en service de premières centrales nucléaires iraniennes pour la production d’électricité était envisagée pour le début du XXIe siècle.

Dès 1967, l’Iran avait installé un réacteur de recherche à Téhéran avec l’aide des Américains.

« Dans les années 1950, à l’époque du Shah d’Iran, il y avait une relation très forte entre l’Iran et les États-Unis. Les Américains avaient inclus l’Iran dans le programme Atoms for Peace, qui servait à développer le programme nucléaire civil de l’Iran, en échange de pétrole et de la garantie que le pays allait rester un régime stable et proche des États-Unis », nous expliquait Héloïse Fayet, chercheuse à l’Institut français des relations internationales et spécialiste des questions de prolifération nucléaire en décembre 2022.

Avec l’aide des puissances américaine et française, l’Iran chercha donc à se constituer un parc nucléaire civil. Comme le narrait l’archive en tête d’article, la venue du Shah en France ne se résumait pas à la visite de centres nucléaires, mais à la formalisation d’accords commerciaux dans le domaine : « Une visite du Shah à Marcoule qui prend tout son relief après la commande confirmée hier de cinq centrales nucléaires et après les accords concernant l’approvisionnement de l’Iran en uranium enrichi. » Une commande de près de cinq milliards de dollars à laquelle s’ajoutaient des équipements industriels.

Depuis 1968, l’Iran est signataire du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Ce traité, toujours en vigueur, a pour objectif de lutter contre le risque d’une prolifération des armes nucléaires dans le monde.

La révolution iranienne, un renversement géopolitique

Quelques années plus tard, en 1979, le Shah d’Iran était chassé lors de la révolution iranienne. L’Ayatollah Khomeiny installait une République islamique nationaliste et provoquait un renversement géopolitique. En matière de nucléaire civil, élément structurant des relations entre l’Iran et une partie des pays occidentaux, la donne fut bouleversée. Les ventes françaises furent annulées, ainsi que les programmes de coopération. Dans les années qui suivirent, les relations avec la France se firent plus tendues.

Dans l’archive ci-dessous, en 1981, le 20 h d’Antenne 2 faisait le point sur « cette crise franco-iranienne ». Les exportations françaises accusaient le coup. « De l’époque faste des grands contrats entre l’ancien régime iranien et les entreprises françaises, il n’en reste rien aujourd’hui. La dénonciation de ces contrats depuis l’arrivée au pouvoir de l’Ayatollah Khomeiny représente une perte sèche estimée à dix milliards de francs. » Les chiffres s’alignaient : « La part du pétrole iranien dans les importations françaises était passée de 5 % en 1979 à 1,4 % en 1980 pour devenir nulle au déclenchement de la guerre entre l’Iran et l’Irak. Pour la construction de centrales nucléaires, il ne restait plus qu’Alstom Atlantique à Tabriz. »

La découverte d’un programme nucléaire iranien

Néanmoins jusque-là, il n’était pas question d’un programme nucléaire militaire iranien. « Ce n’est qu’en 2002 que de premières révélations ont lieu concernant un usage du nucléaire civil à des fins d’enrichissement, donc possiblement pour un programme militaire, détaillait Héloïse Fayet. Des négociations ont lieu entre les Européens, les Américains et l’Iran. Elles aboutissent à l’accord en Paris en 2004, qui est censé limiter l’enrichissement de l’uranium en échange d’une ouverture du marché européen à l’Iran. »

Dans l’archive tournée à cette date et visible ci-dessous, le directeur général de l’AIEA, Pierre Goldschmidt prévenait : « Cela fait maintenant à peu près deux ans que nous avons découvert l’ampleur du programme iranien qui nous était inconnu et qui a commencé il y a près de 20 ans, en 1985, particulièrement dans le domaine de l’enrichissement de l’uranium. » Les satellites avaient permis de découvrir deux nouveaux sites, dont celui de Natanz, jusque-là cachés aux autorités internationales. Ce site a été visé lors de l’attaque du 12 au 13 juin 2025. Malgré l’accord, la transparence n’était pas totale et Pierre Goldschmidt se montrait méfiant : « Dans trois sites, nous sommes arrivés après que ce qu’on espérait y voir ait été démantelé. »

Mahmoud Ahmadinejad et la poursuite d’un programme nucléaire

Ce redoux dans les relations de l’Iran avec l’Occident fut stoppé à l’arrivée au pouvoir du président Mahmoud Ahmadinejad en 2005. Le 11 avril 2006, il affirmait devant les caméras que son pays « avait rejoint le club des pays disposant de la technologie nucléaire ». « L’Iran assume, à partir de 2006, d’enrichir de l’uranium au-delà du seuil fixé par l’accord de Paris, soit à 3,5 %. Cela entraîne l’imposition de sanctions très lourdes sur l’économie iranienne », indiquait Héloïse Fayet.

Au niveau international, ce fut le branle-bas de combat, comme on le voit dans l’archive ci-dessous. « Ce soir George Bush n’exclut aucune option y compris militaire pour empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. (…) le bras de fer continue », annonçait ainsi le 20 h de France 2, en avril 2006. Avec un message clair du président américain : « Toutes les options sont sur la table, nous voulons résoudre ce problème par la diplomatie et nous travaillons dur pour cela. »

Héloïse Fayet expliquait à l’INA en 2022 : « Il faut bien garder en tête que l’Iran n’a jamais reconnu avoir un programme nucléaire militaire. La justification de l’Iran est d’enrichir à des fins uniquement civiles. Le pays revendique un « droit à l’enrichissement », qui en réalité n’existe pas dans le droit international, les traités ou à l’AIEA. À cette époque, il était possible d’imaginer que le nucléaire iranien resterait uniquement civil. En 2022, l’enrichissement est tel qu’il n’y a plus aucune possibilité d’affirmer que c’est pour le nucléaire civil. »

Crise iranienne : recherche d’une solution diplomatique
2006 – 01:49 – vidéo

Un train de sanctions économiques, politiques et militaires

Les agissements de l’Iran sous l’égide d’Ahmadinejad provoquèrent en réponse d’importantes sanctions économiques internationales. Réélu en 2009, dans un contexte intérieur mouvementé et des suspicions de fraude électorale, le président conservateur ne faisait pas l’unanimité. Selon Héloïse Fayet, « la Révolution verte de 2009 montre la volonté du peuple iranien de changer de régime et de s’ouvrir au monde extérieur, notamment en raison des sanctions. »

En juin 2010, dans l’archive ci-dessous, le 20h de France 2 annonçait gravement : « Le bras de fer se poursuit. » La communauté internationale renforçait les sanctions économiques en vue de contraindre Téhéran de renoncer à son programme. « Paris a rallié à sa position deux alliés historiques de l’Iran : la Chine et la Russie. Ce soir Téhéran est totalement isolée. »

Parmi ces sanctions : le droit d’arraisonner les cargos iraniens en pleine mer pour contrôler leur cargaison, des sanctions militaires comme un embargo sur les importations de chars, ainsi qu’une série d’autres sanctions économiques et politiques. « À ce train de mesures Téhéran répond que l’enrichissement de l’uranium va se poursuivre quand même », disait le commentaire. Le président Ahmadinejad tentait même l’affirmation suivante : « Le conseil de sécurité de l’ONU est l’organisation la moins démocratique du monde. »

En parallèle des sanctions internationales, l’Iran inaugurait sa première centrale nucléaire, à Bouchehr en septembre 2011. Toujours en service, elle contribue à l’alimentation en électricité du pays.

2010 – 01:31 – vidéo

Avec Hassan Rohani, l’espoir de la négociation

Ce contexte hostile à Ahmadinejad permettait à Hassan Rohani, ancien négociateur sur le dossier nucléaire, d’être élu en 2013. « Il est considéré comme un réformateur et va relancer l’idée d’un accord multilatéral en échange d’une levée des sanctions et d’une limitation de l’enrichissement à 3,67 %. Il profite aussi d’une administration Obama beaucoup plus favorable aux discussions avec l’Iran que ne l’a été Bush », notait Héloïse Fayet.

Dès la fin novembre 2013, un accord préliminaire était conclu entre, d’une part l’Allemagne, la Chine, les États-Unis, la Russie, la France et le Royaume-Uni et, d’autre part l’Iran. C’était le premier jalon pour s’assurer que le programme nucléaire iranien reste exclusivement pacifique et civil.

La signature en 2015 du JCPOA

Et, enfin, le 14 juillet 2015, un « accord historique » était trouvé. Les images de France 3 dans l’archive ci-dessous montraient une « photo de famille que tout le monde attendait depuis plusieurs mois. Des sourires échangés entre les représentants des grandes puissances et le ministre iranien des Affaires étrangères. »

Accord sur le nucléaire iranien
2015 – 02:24 – vidéo

C’était le soulagement, le début d’une nouvelle ère dans les relations internationales : « Après douze ans de tensions internationales, tous les pays, à l’exception d’Israël, reconnaissent ce soir que c’est un texte historique. D’un côté, Téhéran a donné des garanties qu’elle ne développe pas l’arme nucléaire, de l’autre, la Communauté internationale s’engage à lever progressivement les sanctions économiques. » Dans les rues de Téhéran, la population se montrait soulagée par la signature de l’accord.

Plus précisément, racontait Héloïse Fayet, « dans le cadre du JCPOA, l’Iran s’engage à ne pas produire plus de 300 kilogrammes d’uranium enrichi à plus de 3,67 % pendant dix ans, promet le démantèlement d’une partie de ses centrifugeuses et le transfert vers la Russie de son uranium enrichi. Cet accord, bien qu’imparfait, est considéré comme une victoire par les négociateurs. » Selon l’archive, un seul pays, historiquement rival de l’Iran, Israël, promettait de « tout faire pour empêcher [la] ratification » du traité et parlait d’« erreur historique. »

Donald Trump et le retrait américain

En janvier 2016, il était annoncé que le programme nucléaire iranien avait en grande partie été arrêté, permettant une levée des sanctions.

Jusqu’en 2018. Le 8 mai, le président américain Donald Trump dénonçait l’accord et retirait son pays dans un geste unilatéral. « Aujourd’hui, j’annonce que les États-Unis se retirent de l’accord sur le nucléaire iranien. Dans quelques instants, je vais signer un décret présidentiel pour rétablir des sanctions contre le régime iranien. » Et pour tous ceux qui auraient voulu continuer à commercer avec l’Iran, il annonçait de « terribles sanctions ».

Donald Trump annonce son retrait de l’accord nucléaire iranien]
2018 –

Malgré ce revirement, l’accord fut considéré comme valide et l’Iran ne reprenait pas tout de suite son enrichissement d’uranium. « Mais, dès l’été 2019, l’Iran annonce reprendre ses activités d’enrichissement et dépasse le seuil fixé par le JCPOA. La montée de tension entre des milices proches de l’Iran et des forces américains en Irak, fin décembre 2019, puis l’assassinat par les États-Unis du général Soleimani en Irak en janvier 2020, ont servi de justification à l’Iran pour intensifier ses activités d’enrichissement », rappelait Héloïse Fayet.

Des tentatives de reprise des négociations eurent lieu en 2021. Puis, avec la guerre en Ukraine, les priorités diplomatiques changèrent. De plus, pour la communauté internationale, la situation fin 2022 signifiait « s’asseoir également à table avec un pays [l’Iran, ndlr] qui tue ses manifestants et aide la Russie, ce serait totalement impossible, avançait Héloïse Fayet, alors qu’il est pourtant nécessaire de compartimenter les sujets. »

À cela s’ajoutaient de nombreux anciens contentieux, selon la chercheuse, « entre l’AIEA et l’Iran, ainsi qu’entre les États-Unis et l’Iran. Téhéran exige notamment une garantie américaine que le successeur de Joe Biden ne se retirera pas de l’accord comme Donald Trump, mais le gouvernement américain ne peut pas le promettre. »

Moins d’une semaine pour enrichir suffisamment d’uranium

D’un point de vue technique, l’Iran pourrait obtenir l’arme nucléaire en très peu de temps. Et d’autant plus depuis les annonces d’enrichissement à 60 % dans deux usines du pays en 2022. « Plus vous avez d’uranium enrichi, plus c’est facile de continuer. C’est très compliqué de passer de 3,67 %, la limite du JCPOA, à 20 %, c’est compliqué de passer de 20 à 60 % et ça l’est beaucoup moins de passer de 60 % à 90 % », détaillait Héloïse Fayet.

D’où les règles très précises sur l’enrichissement dans le JCPOA. « L’objectif de l’accord était de limiter à un an le break-out time, c’est-à-dire la durée dont un pays a besoin, à partir du stock d’uranium qu’il détient, pour atteindre une quantité significative d’uranium enrichi, c’est-à-dire ce qui va permettre de faire une arme nucléaire. Aujourd’hui [décembre 2022, NDLR], le break-out time est inférieur à une semaine », commentait Héloïse Fayet.

Mais la chercheuse tempérait dans la foulée : « Une fois qu’on a une quantité significative, il faut vectoriser la tête nucléaire, c’est-à-dire la miniaturiser et la mettre sur un missile qui va permettre de l’envoyer sur la cible. Selon les estimations, ce processus pourrait prendre un à deux ans. L’Iran n’est donc pas près d’utiliser une arme nucléaire contre ses voisins. »

L’Iran va-t-il réellement obtenir l’arme nucléaire ?

Sur le plan géopolitique, pour Héloïse Fayet, si les négociations étaient à l’arrêt en 2022, « il n’y a pour l’instant pas de volonté politique en Iran d’obtenir la bombe nucléaire. » En effet, le pays peut avoir tout intérêt à afficher sa recherche de l’arme nucléaire plutôt qu’à l’avoir réellement. « C’est beaucoup plus avantageux pour le pays d’être ce que l’on appelle un « État du seuil », c’est-à-dire un état qui est capable d’acquérir l’arme, mais qui pour l’instant ne le décide pas et qui se contente d’en faire une sorte de chantage, de tester la réaction de ses partenaires ainsi que la réaction interne, la solidité de son économie sous les sanctions », selon cette spécialiste de la prolifération nucléaire.

Et d’ajouter : « Le Traité de non-prolifération reste solide, et même si l’Iran joue un peu sur la ligne rouge de ce traité, il reste l’une des architectures principales de la sécurité dans le monde. » En somme, c’était une forme de dissuasion sans avoir l’arme nucléaire.

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