De la Fête de la musique à la « France Music Week » : le macronisme en ses châteaux

Signalé par Jean-Mau

Le dernier machin anglicisant inventé par la « start-up nation » est un nouveau signe de l’hypocrisie d’une politique culturelle macroniste qui reproche au monde de la culture son éloignement du peuple tout en célébrant la création dans des châteaux.

Joseph Confavreux

De la place de la République aux ors du château de Versailles ; d’une fête populaire à un raout VIP ; d’une idée décentralisée à des événements parisianocentrés ; de la valorisation des pratiques amateurs à la promotion des investisseurs… Bref, de la Fête de la musique à la France Music Week.

Le 10 juin 1981, c’est place de la République à Paris que se tient la première « Fête de la musique et de la jeunesse », imaginée par André Henry, professeur et syndicaliste devenu « ministre du temps libre » dans le premier gouvernement de François Mitterrand pour renouer avec les utopies politiques et culturelles du Front populaire.  S’y pressent 100 000 personnes pour écouter Jacques Higelin ou le groupe Téléphone, croyant encore à la possibilité de « rêver d’un autre monde ».

La ministre de la culture Rachida Dati lors du sommet de « France Music Week » à l’opéra Garnier, à Paris, le 20 juin 2025. © Photo Amaury Cornu / Hans Lucas via AFP

L’idée d’une Fête de la musique organisée à chaque solstice d’été est ensuite reprise officiellement l’année suivante par Maurice Fleuret, directeur de la musique et de la danse au ministère de la culture, et Jack Lang, ministre de la culture, autour d’une idée forte : créer une fête populaire autour de la musique à partir du constat que les concerts payants sont alors réservés à une élite, en encourageant les amateurs à descendre dans la rue, et les professionnels à proposer des événements gratuits dans des lieux publics.

Événement de prestige

L’année dernière, Emmanuel Macron annonce son souhait de doubler cette Fête de la musique, à partir de 2025, d’une « France Music Week ». Celle-ci a effectivement débuté lundi 16 juin et ses deux points d’orgue sont, vendredi 20 juin, un « sommet au château de Versailles, pour évoquer les principaux enjeux, présents et à venir, de la filière musicale mondiale » et, samedi 21 juin, un grand concert dans les jardins d’un autre palais emblématique de la monarchie française, le Louvre.

Ce concert, qui programme principalement les mêmes têtes d’affiche – Jeanne Added, Christine and the Queens, Bernard Lavilliers – que l’on pourra voir dans tous les festivals de l’été, est certes gratuit mais affiche complet depuis belle lurette.

Toutes celles et ceux qui n’auront pas obtenu de billets sont invités à se mettre devant la télévision – puisque le concert sera retransmis en direct sur France TV – dans un esprit de la fête inverse à celui qui a présidé à celui de la Fête de la musique initiale, consistant à pousser chacun et chacune à sortir de chez soi, que ce soit pour assister à un concert de musique pointue ou à une reprise étudiante du groupe Niagara.

Rien d’étonnant dans ce changement de pied, puisque la France Music Week est avant tout conçue comme un événement de prestige, inscrit dans le goût immodéré de la présidence macroniste pour le château de Versailles, censé cette fois attirer tout le gratin international de la production musicale, à la façon dont le palais du Roi-Soleil est déjà considéré comme un aimant pour les investisseurs de tous bords à chaque sommet « Choose France ».

Le gouvernement ne fait pas mystère de ce repositionnement. La France Music Week est présentée et pensée d’abord comme un « événement de portée internationale et catalyseur d’échanges afin de promouvoir l’excellence des artistes et du secteur musical français ».

Un événement dont le coût estimé entre 3 millions (selon Ekhoscènes, le syndicat national du spectacle vivant privé) et 4,5 millions d’euros (selon le Syndicat des musiques actuelles) interroge à l’heure des coupes drastiques dans le monde de la culture.

Pour parer la critique, le site de la France Music Week affirme que celle-ci sera « aussi une grande manifestation populaire ». Un élément de langage fallacieux mais qui constitue un passage obligé puisque Rachida Dati ne cesse de faire entendre une petite musique pour accompagner la contre-révolution culturelle en cours : le monde de l’art serait devenu un royaume de l’entre-soi, élitiste et coupé du peuple, qu’il serait nécessaire de bousculer à longueur d’antennes, d’effets d’annonce et de choix budgétaires.

Invitée début mai de la matinale de la radio publique, la ministre de la culture balance ainsi : « Le maçon n’écoute pas France Inter, c’est ça que je regrette. » Quelques jours plus tard, elle est filmée au camping de La Marina, à Canet-en-Roussillon (Pyrénées-Orientales) pour lancer un « plan camping » proposant des lectures et des spectacles à la mer, à la campagne et à la montagne en jugeant que : « La culture doit aller partout où sont les Français. »

Nouvelle provocation

Ce « plan camping » s’apparente à un énième gadget puisque seuls 500 des 7 000 campings français seront concernés, que l’enveloppe allouée de moins de 2 millions d’euros ne permet guère d’imaginer toucher les catégories de population éloignées de la création, et que l’été est précisément la saison où la France, y compris rurale, est l’inverse d’un désert culturel, avec plus de 4 000 festivals et événements en tous genres.

Cette opération de com’ en forme de nouvelle provocation n’empêche pas qu’il est indéniable que les fractures socioculturelles sont béantes, que la décentralisation culturelle mise en œuvre dans l’après-guerre a montré ses limites et que toute une fraction du monde culturel n’a pas pris la mesure de sa déconnexion avec une partie du peuple.

Mais il est tout aussi indéniable que Rachida Dati ou Emmanuel Macron se complaisent à brandir une opposition démagogique et populiste entre le peuple et la culture, qui réduit le « populaire » à sa dimension quantitative et consommatrice, plutôt que de rechercher ce qui, dans la culture, pourrait précisément permettre à une communauté de « faire peuple », ainsi que l’avait analysé la chercheuse Diane Scott dans son vigoureux essai intitulé S’adresser à tous (Amsterdam, 2021).

À cette aune, la Fête de la musique telle qu’elle fut fondée dans les années 1980 ne constitue certes pas une panacée face aux impasses et difficultés auxquelles est confronté le monde culturel.

Elle n’a pas toujours été exempte de médiocrité musicale, de récupération commerciale à base de grands podiums sponsorisés par des marques d’alcool, d’une logique qui réduit la culture et l’art à un « système festivalier », pour reprendre les termes de l’écrivain Jean Jourdheuil, voire d’une confusion accrue entre création artistique et animation festive.

Mais elle n’en reste pas moins un des rares espaces où ont pu se rencontrer, dans la rue et gratuitement, pratiques savantes et goûts populaires, public amateur et professionnel, générations anciennes et nouvelles.

Soit tout ce que n’est pas la « France Music Week » qui prétend exposer « l’excellence » française dans des écrins luxueux au moment même où le monde culturel subit un plan social et une punition idéologique d’une ampleur inédite.

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