
Les forces politiques de l’archipel ont signé, samedi 12 juillet au matin, un projet d’accord avec le gouvernement français, marquant leur engagement vers un nouveau statut du territoire. Une solution présentée comme « unique au monde » prévoyant la mise en place d’une double nationalité, française et calédonienne.
Dix jours de négociations, de crispations, de doutes et d’équilibres précaires… Il y a encore quelques heures, personne ne s’aventurait à parier sur la possibilité d’un accord entre les forces politiques de Nouvelle-Calédonie réunies à huis clos dans un hôtel de Bougival (Yvelines) depuis plus d’une semaine. Et pourtant, l’annonce est tombée samedi 12 juillet aux aurores, photo des signatures à l’appui : l’ensemble des partenaires ont entériné un projet d’accord sur l’avenir institutionnel, comprenant également un pacte de réformes économiques.
De l’aveu de celles et ceux qui ont planché sur son écriture juridique, le texte intitulé « Le pari de la confiance » (consultable en annexe de cet article) relève du monument historique. Il tend à créer un nouveau statut « unique au monde » : « une organisation institutionnelle sui generis [dont la singularité prévient tout classement dans une catégorie déjà répertoriée – ndlr] de “l’État de la Nouvelle-Calédonie” au sein de l’ensemble national, inscrit dans la Constitution de la République française ».
Le projet d’accord, que les signataires s’engagent à défendre auprès de leurs bases et qui sera soumis au vote des populations intéressées en février 2026, « fixe les conditions dans lesquelles est créée une nationalité calédonienne ». « Ainsi, les Calédoniens bénéficieront d’une double nationalité, française et calédonienne, peut-on lire dans le texte. Ils conserveront la citoyenneté européenne. » Et « l’État de la Nouvelle-Calédonie » pourra être reconnu par la communauté internationale.

À l’exception de la compétence en matière de relations internationales, dont la poursuite du transfert, déjà engagé par l’accord de Nouméa, permettra une reconnaissance de ce nouvel État sur la scène diplomatique, la répartition des autres compétences demeure inchangée. La France reste donc compétente en matière de défense, de justice, de monnaie, mais aussi de sécurité et d’ordre public, dans une association étroite, cependant, avec les institutions de l’archipel.
Le projet d’accord acte ainsi « la création d’un Haut Conseil calédonien de la sécurité », réunissant des représentant·es de l’État, du gouvernement calédonien, des provinces, des maires et des autorités coutumières. De même que « l’attribution aux provinces de responsabilités propres de police administrative de sécurité » et « la mise en place d’une police coutumière sur les terres coutumières », qui « aura notamment pour mission de veiller au respect des règles coutumières ».
Un « embryon de Constitution calédonienne »
Outre l’adoption d’une loi organique spéciale définissant les conditions de mise en œuvre de cet accord, une réforme constitutionnelle est aussi prévue à l’automne – à condition, bien entendu, que le gouvernement de François Bayrou ne tombe pas lors de l’examen du futur budget. Surtout, le texte pose les principes d’une loi fondamentale, qui devrait être entérinée par la Nouvelle-Calédonie début 2026, afin de consacrer « sa capacité d’auto-organisation ».
Cet « embryon de Constitution calédonienne », selon les mots d’un acteur proche du dossier, décidera des signes identitaires du pays (nom, drapeau, hymne, devise…), et pourra comprendre « un code de la citoyenneté » et « une charte des valeurs » partagées par l’ensemble de la population : républicaines, kanak et océaniennes. Élaborée avec la contribution du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et du Sénat coutumier, « elle pourra également accueillir les propositions issues des réflexions portées par la société civile ».
Le texte aborde évidemment l’épineuse question du corps électoral, à l’origine des révoltes qui ont explosé en Nouvelle-Calédonie à partir du 13 mai 2024. Maintes fois reportées, les élections provinciales devraient se tenir en mai-juin 2026, avec un corps électoral élargi à 12 000 personnes nées sur le territoire et jusqu’ici privées de vote, ainsi qu’aux électeurs et électrices justifiant de quinze années de résidence. Il sera ensuite défini selon les règles de la nouvelle nationalité.
C’est un texte équilibré. Personne ne peut dire qu’il a gagné ou perdu. C’est important pour la suite.
« Cet accord constitue une nouvelle étape sur la voie de la décolonisation et de l’émancipation, dans le respect des principes démocratiques et de l’État de droit, précise son préambule. Le droit à l’autodétermination demeure garanti par le droit international. » Son écriture, qui a donc fait l’objet de longues tractations entre les forces politiques et le gouvernement français, est le résultat d’un consensus « vers une solution pérenne » qu’on imaginait impossible jusqu’ici.
Le ministre des outre-mer, Manuel Valls, qui avait déjà largement engagé le processus depuis le début de l’année, malgré l’échec des premières négociations, a rapidement salué auprès de l’AFP « un engagement majeur, fruit d’un long travail de négociations au cours duquel les partenaires calédoniens ont fait le choix du courage et de la responsabilité ». Les loyalistes les plus radicaux, jusqu’ici réfractaires à toute évolution vers plus de souveraineté, se sont eux aussi réjouis de cet « accord historique ».
Après s’en être violemment pris à Manuel Valls – « Sur le dossier calédonien, [il] est disqualifié », jugeait encore la présidente de la présidente de la Province Sud, Sonia Backès, mi-mai –, les élu·es Loyalistes et du Rassemblement ont finalement accepté de poursuivre les discussions sous sa houlette. À leur arrivée à Paris pour le démarrage du sommet sur la Nouvelle-Calédonie le 2 mai, ils et elles ont compris que le président de la République, jusqu’ici à leur écoute, n’entendait pas écarter son ministre du processus. Au contraire.
Les loyalistes ont donc été contraints d’adoucir leur position, au risque de déplaire à leurs troupes chauffées à blanc. Pour préparer les esprits, Sonia Backès a pris les devants : « Ce compromis ne satisfera pleinement personne. Mais je suis pleinement convaincue qu’il nous permet de sortir la Calédonie de la spirale de la violence, des incertitudes et de la destruction […]. Je sais que les concessions que nous avons faites peuvent inquiéter, mais il faut regarder les choses comme elles sont : la nationalité calédonienne ne fait pas de la Nouvelle-Calédonie un État indépendant. »
Une nouvelle logique partagée
Celles et ceux qui ont participé aux discussions des derniers jours insistent sur ce point : chaque camp a fait un pas vers l’autre. Le discours prononcé par Emmanuel Macron à l’ouverture du sommet n’y est pas pour rien. Le président de la République avait alors proposé d’ouvrir une période de reconstruction de l’archipel d’une durée de quinze ou vingt ans, à l’issue de laquelle les Néo-Calédonien·nes seraient de nouveau consulté·es par référendum non pas sur une question binaire, mais sur un projet.
Cette proposition, perçue comme un « Nouméa II » aux perspectives trop lointaines, a produit des effets inespérés : plutôt que de repartir sur une solution à long terme, à l’issue de laquelle surgirait un nouveau référendum d’autodétermination dont ils ne veulent pas, les loyalistes se sont résignés à trouver un accord définitif et immédiat. De leur côté, les indépendantistes ont aussi accepté de sortir de la logique référendaire vers une solution tranchée de souveraineté pleine et entière, pour cheminer sur une voie plus consensuelle.
« Les uns et les autres ont su faire le pari sur l’intelligence au-delà de nos convictions, de nos positionnements et de nos postures. On est arrivés à mettre de côté toutes ces choses pour le bien du pays, a salué Victor Tutugoro, élu de l’Union nationale pour l’indépendance (UNI) et membre de la délégation indépendantiste. Un compromis, par essence même, on ne peut pas [en] être satisfait à 100 %. Mais c’est un compromis équilibré […] qui nous permet de construire ensemble la Nouvelle-Calédonie, une citoyenneté calédonienne, et surtout de bâtir ce destin commun que l’on clame les uns et les autres depuis beaucoup d’années. »
Comme toujours en la matière, nombre de points du texte offrent une interprétation large, permettant à chaque camp de mettre en avant ce qu’il a obtenu. « Il y a assez de souplesse pour que tout le monde s’y retrouve », estime Manuel Valls. « C’est un texte équilibré, salue un participant aux négociations. Personne ne peut dire qu’il a gagné ou perdu. C’est important pour la suite. » Car désormais les membres des délégations vont devoir retourner auprès de leurs troupes pour défendre ce « pari de la confiance ». Et surtout trouver les arguments pour les convaincre.
La tâche risque de s’avérer ardue au regard de certaines premières réactions venues de l’archipel. Côté loyalistes, le vice-président de la Province Sud, Philippe Blaise, qui avait été aperçu au milieu d’une milice armée au plus fort des révoltes de 2024, a regretté sur son compte Facebook privé que des membres de son parti aient franchi une « ligne rouge » – celle de la création d’un État – sans autre concertation. « À titre personnel, c’est une rupture fondamentale avec le sens du combat que j’ai mené depuis quarante ans pour rester Français », a-t-il écrit.
Côté indépendantistes, la signature matinale du projet suscite aussi des incompréhensions, pour ne pas dire plus. Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) n’avait à proprement parler donné aucun mandat aux négociateurs pour signer quoi que ce soit, avant d’en rendre compte aux différentes structures du mouvement. En outre, certains considèrent que ce projet constitue une rupture fondamentale avec la lutte kanak, puisqu’il propose une « décolonisation interne » dans la France et non plus externe par l’indépendance.
Avant la signature, « il y a eu un sentiment de saut dans le vide, chacun devant abandonner une part de ses revendications », a expliqué Manuel Valls à l’issue de celle-ci. « Chacun des camps joue beaucoup », a poursuivi le ministre des outre-mer, saluant le premier accord d’un telle ampleur depuis 1998, mais restant prudent : « C’est une étape essentielle, mais c’est loin d’être réglé. La violence est toujours présente sur place, la situation économique et sociale reste tendue. Mais on peut réussir ce pari. Il faut poursuivre le travail et ne rien lâcher. »
Samedi après-midi, le chef du gouvernement, François Bayrou, devait réunir les principaux ministres concernés afin d’asseoir l’accord signé le matin même. Le chef de l’État, qui recevra les signataires en fin de journée à l’Élysée, a lui aussi salué sur le réseau social X « un accord historique », ajoutant que « l’heure est désormais au respect, à la stabilité et à l’addition des bonnes volontés pour bâtir un avenir partagé ». Pour les artisans du projet, qui ont enchaîné les nuits blanches depuis dix jours, tout reste à faire : « On a donné du boulot aux juristes pour les vingt prochaines années », sourit l’un d’entre eux.
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