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L’alerte de Mediapart
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samedi 09 août 2025
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Les conclusions de l’enquête de l’Office français de la biodiversité que Mediapart publie révèlent que les eaux de Contrex et Hépar contiennent des taux de microplastiques « exorbitants » en raison de décharges laissées à l’abandon par Nestlé qui ont pollué les sources d’eau. Un réel danger pour la santé.
Le plastique ne pollue pas seulement le fond des océans. Mais il contamine aussi les eaux vendues sous l’étiquette « minérales naturelles ».
La cause ? Les bouteilles de plastique amoncelées sauvagement et laissées à l’abandon par Nestlé, près de ses propres forages, ont pollué les sols et les eaux alentour. C’est ce que révèle le rapport d’enquête remis à la justice, le 8 janvier 2025, par l’Office français de la biodiversité (OFB) dont Mediapart publie des extraits. Alors qu’à Genève (Suisse), plusieurs États et industriels, dont une lobbyiste représentant Nestlé, tentent déjà d’exclure les bouteilles, de la liste des produits en plastiques à réglementer.
En effet, selon les conclusions de l’OFB, dans certains forages utilisés pour les eaux Hépar et Contrex de Nestlé, les taux de microplastiques, toxiques pour l’organisme, sont 5 à près de 3 000 fois supérieurs aux taux habituellement relevés dans des nappes phréatiques et des sources d’eau destinées à la consommation humaine.
Contacté, Nestlé assure « qu’aucune pollution n’est avérée aux termes des analyses environnementales partagées avec les autorités. Toutes nos eaux peuvent être bues en toute sécurité ». C’est pourtant une tout autre réalité qu’attestent les éléments que Mediapart publie.

À l’issue de plus de trois ans d’enquête préliminaire ouverte en 2021 par le pôle régional environnement du parquet de Nancy (Meurthe-et-Moselle) et confiée conjointement à l’OFB et aux gendarmes de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp), comme déjà annoncé (ici et là), Nestlé sera jugée du 24 au 28 novembre, devant le tribunal correctionnel.
Abandonnées dans la nature
La multinationale est poursuivie pour avoir de 2016 à 2024 « géré irrégulièrement », « stocké de manière occulte et dissimulée » des déchets et de les avoir « abandonné[s] illégalement », ce qui a provoqué « une dégradation substantielle de l’environnement […] libérant des microplastiques ». Il lui est également reproché d’avoir « laissé s’écouler […] dans les eaux superficielles et souterraines […] des particules de microplastiques, mesurées à des concentrations de plusieurs millions de fois supérieures aux données scientifiques connues ».
Nestlé a autour de ses usines d’embouteillage, dans les Vosges, laissé se désagréger, en pleine nature et de façon tout à fait illégale, plus de 400 000 m3 de déchets, essentiellement des bouteilles en plastique et en verre, parfois mêlées à des plaques d’amiante. Sur la décharge sauvage de Contrexéville, surnommée par les salariés du groupe et les riverains « le volcan », les enquêteurs ont estimé les déchets à 346 000 m3 dont 250 000 m3 d’enfouissement de plastiques soit, l’équivalent de 66 piscines olympiques.
Les représentants de Nestlé Waters ont bien eu connaissance de ces décharges dès 2014, mais n’en ont informé l’État qu’en 2021.
Les éléments du dossier que Mediapart a pu consulter révèlent des taux de pollution de microplastiques qualifiés d’« exorbitants » par le magistrat chargé de l’enquête préliminaire. Dans son réquisitoire rendu le 26 mai 2025, cinglant pour Nestlé, le parquet dénonce le « cynisme » de la multinationale dont « l’attitude désinvolte […] impose une condamnation dissuasive ».
Depuis sa connaissance des déchets plastiques sous terre, « avec l’arsenal de pléthore d’ingénieurs-conseils, de juristes spécialisés, d’hydrogéologues, Nestlé disposait des moyens financiers, techniques et juridiques pour ne pas commettre ces infractions ou les régulariser dès 2015 ».
Mais l’entreprise « a choisi de se dérober derrière les silences de l’administration », en particulier les services de la préfecture qui n’ont pas rempli leur mission de contrôle.
« S’il est connu que les activités humaines ont répandu des microplastiques dans les espaces naturels et qu’aucune partie des terres et des océans n’est plus épargnée par ces pollutions, une analyse chiffrée illustre que les proportions sont incommensurables s’agissant de l’introduction de microplastiques dans les sols vosgiens par Nestlé aux lieux des décharges, sur les terres et les eaux situées en aval », conclut-il.

En rachetant en 1992 les usines de Vittel et Contrexéville, Nestlé a hérité de ces décharges sauvages. Impossible d’en ignorer la présence, dont les enquêteurs relèvent que l’une d’elles équivaut à la hauteur d’un immeuble de six étages et une autre affiche une superficie de plus d’un hectare.
Nestlé savait. Comme l’a confirmé l’actuel PDG de Nestlé France, Sophie Dubois, devant les députés, lors de son audition, le 22 avril 2021, dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire portant sur la mainmise sur les ressources en eaux par le privé : « Les représentants de Nestlé Waters ont bien eu connaissance de ces décharges dès 2014, mais n’en ont informé l’État qu’en 2021. »
La multinationale s’était alors, simplement, contentée de confier à ses experts l’analyse de ces décharges, sans pour autant procéder à sa dépollution. Tous les prélèvements des sols et des eaux, faits à différents niveaux de profondeurs, témoignent de pollution massive en microplastiques. À Contrexéville, les enquêteurs relèvent que « sur le lieu de prélèvement d’un puits massif, les particules de microplastiques sont de 28 000 à 1,7 million de fois supérieure [au taux relevé] dans la Seine ». Dans un autre, il est de 9 millions de fois supérieur à celui de la Seine.
Ils ont également retrouvé des métaux lourds et des éléments non métalliques dans les eaux superficielles « dans des concentrations dix fois supérieures aux valeurs de l’OMS justifiant la pollution des eaux relevée (nickel, cuivre, zinc, manganèse, cyanure, nitrates) ».
Vide réglementaire autour des microplastiques
Par son inaction, Nestlé a ainsi non seulement pollué les sols mais aussi les eaux. Et cela de façon presque irrémédiable. Compte tenu des taux « incommensurables de microplastiques » et « eu égard à leurs composants polymères issus de la pétrochimie (PE, PET, PA) », les enquêteurs alertent « sur leurs effets nuisibles sur la santé humaine ».
Et les conséquences sont déjà dramatiques : la « dégradation substantielle en ce qu’ils sont fragmentés en micro voire nanoplastiques, imprégnés et diffusés dans les sols et les réseaux d’eaux souterraines, de sorte qu’aucune dépollution n’est envisageable ».
Les microplastiques, particules, entre 5 millimètres et 1 micromètre (soit 70 fois plus petit que l’épaisseur d’un cheveu), résultant de la dégradation du plastique et auxquels s’ajoutent souvent des additifs ou autres substances telles que des métaux lourds, polluent non seulement l’environnement mais contaminent également le corps humain. Aucune interdiction ni seuil réglementaire n’existent à ce jour pour ces polluants.
Interrogée, la Direction générale de la santé (DGS) déclare, auprès de Mediapart, que les microplastiques et nanoplastiques qui représentent un « risque pour la santé » doivent figurer sur une « liste de vigilance », dressée au niveau européen, « car ils sont susceptibles d’être présents dans les eaux destinées à la consommation humaine ».
Mais, c’est encore loin d’être le cas, car il faut déjà que les pays européens s’accordent sur une méthode analytique des micro et nanoplastiques, commune à l’ensemble des États. Ce qui est « en cours de validation » affirme la DGS sans davantage de précision.
Une fois actés, « les microplastiques pourront être ajoutés à la liste des paramètres soumis au mécanisme de vigilance et la Commission européenne devra définir une valeur sanitaire associée. Ainsi, le ministère chargé de la santé s’attachera à faire évoluer la réglementation française pour protéger les consommateurs ».

Malgré ce vide réglementaire actuel, les agents de l’OFB alertent, dans leurs conclusions, sur les dangers des concentrations anormales en microplastiques, découvertes dans les eaux de Nestlé destinées à être consommées. Ils se sont invités à l’intérieur même de l’usine pour effectuer, en présence de salariés de la multinationale et des gendarmes de l’Oclaesp, des prélèvements à la sortie des forages où arrivent, sans traitement, les eaux ensuite embouteillées sous les marques Contrex et Hépar.
Les taux de microplastiques y sont respectivement de 515 (Contrex) et 2 096 (Hépar) microplastiques par litre (mp/L). Les agents de l’OFB ont comparé ces taux aux concentrations en microplastiques retrouvées dans le cadre de deux études scientifiques et selon les mêmes méthodes de prélèvements.
La première dans différents lacs, fleuves, rivières, dans le monde et la seconde, dans la Seine autour de Paris. Ils concluent que la contamination est pour Hépar, 51 000 à 328 000 fois supérieure et pour Contrex, 200 000 à 1,3 million de fois supérieure aux taux retrouvés dans le monde et dans la Seine.
Signe du flou que laisse l’absence de réglementation sur ces polluants et la disparité des protocoles de prélèvements, selon deux autres études publiées en 2024 (ici et là), les moyennes retrouvées dans les nappes phréatiques sont comprises au niveau mondial entre 1 et 100 microplastiques par litre et en France entre 0,71 et 106,7 microplastiques par litre. Les taux retrouvés dans les eaux vendues par Nestlé restent, dans ce cas, de 5 à 2 952 fois supérieurs.
Les décharges de déchets industriels et de bouteilles en plastique peuvent avoir un impact sur la qualité des eaux.
Par ailleurs, ainsi que nous l’a précisé une source proche de l’enquête, les prélèvements faits dans le cadre de la procédure judiciaire ne concernent que les microplastiques, les techniques visant à quantifier les nanoplastiques étant trop onéreuses.
« Ce qui est d’autant plus inquiétant car l’enquête est approfondie et d’ampleur mais elle ne montre que la face visible de l’iceberg. Les nanoplastiques sont évidemment présents du fait de la dégradation des déchets et par leur taille peuvent être d’autant plus dangereux », nous a confié cette source.
Ces particules de microplastiques retrouvées à la sortie des forages utilisés pour les eaux Hépar et Contrex ne proviennent pas du plastique des bouteilles dans lesquelles l’eau est stockée, les prélèvements ayant été faits avant que l’eau ne soit embouteillée. Plusieurs études ont révélé que les eaux en bouteilles contenaient davantage de microplastiques mais à des taux bien inférieurs à ceux que les agents de l’OFB ont pu retrouver à la sortie des forages de Nestlé. Ce sont donc les décharges de plastiques qui en sont l’origine.
C’est aussi ce que rapporte Nestlé dans une note confidentielle datée de juin 2022 que Mediapart a pu se procurer. Les « décharges de déchets industriels et de bouteilles en plastique » représentent un risque « réputationnel et financier » et peuvent également avoir « un impact sur la qualité des eaux », soulignait ce document.

Au cours de leurs investigations, les agents de l’OFB se sont également interrogés sur le recours aux traitements interdits, en particulier des microfiltrations, qui auraient permis à la firme de dissimuler cette pollution. Au cours des auditions, le directeur du site, Luc Debrun prétend que la présence de certains microplastiques (polypropylène et polyamide), dans les prélèvements des eaux Contrex et Hépar proviendrait du « scotch des scellés ».
Des risques pour la santé de plus en plus clairs
Il a certainement omis de préciser aux enquêteurs que ce type de microplastiques est utilisé dans les traitements des eaux par filtration, procédés interdits pour lesquels Nestlé fait également l’objet de poursuite judiciaire et qui ont été à l’origine du scandale.
« Depuis cinq ans, on étudie leur impact sur la santé », précise Mathilde Body-Malapel, chercheuse à l’université de Lille et à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Le déclic a été « la découverte dans les selles et le sang de l’homme de microplastiques, un constat décisif dans la prise de conscience de l’éventuelle dangerosité de ces molécules pour l’homme ». La forte mobilisation de la communauté scientifique a permis de faire, depuis cinq ans, des « avancées phénoménales sur les risques des microplastiques sur la santé ».
« Nous sommes d’autant plus mobilisés que les premiers résultats des recherches démontrent la nocivité des microplastiques, précise la scientifique, spécialiste en immunotoxicologie. On a des preuves chez l’homme et chez la souris que les microplastiques pourraient augmenter le risque cardiovasculaire. »
Mathilde Body-Malapel qui mène, avec son équipe, des études sur l’impact sur la santé de ces micro et nanoparticules a observé, avec son équipe, « chez la souris, des effets nocifs sur le système de défense de l’intestin et sur le foie », après avoir mis dans la nourriture des rongeurs de petites quantités de microplastiques.
Lorsque des microplastiques ont été retrouvés dans certains organes chez l’être humain, dont l’appareil digestif, le cerveau, à ce moment-là on s’est dit “la problématique prend une autre dimension”.
« Nos premières constatations portaient sur le polyéthylène, l’un des plus fréquemment utilisés, notamment dans les emballages, les sacs plastique, ou les bâches agricoles. Nous sommes également en train d’observer des effets toxiques sur le système digestif avec d’autres types de microplastiques, par exemple du polyvinylchloride (PVC) ou du polypropylène », dévoile la chercheuse.
Bien que « la multitude de molécules différentes rende l’étude de leur impact plus difficile et plus longue », aujourd’hui, « certains travaux scientifiques, solides, commencent à apporter la preuve que ces microparticules peuvent influencer le risque de certaines maladies cancéreuses, inflammatoires ou immunitaires », conclut Mathilde Body-Malapel.
« Lorsque des microplastiques ont été retrouvés dans certains organes chez l’être humain, dont l’appareil digestif, le cerveau, à ce moment-là on s’est dit “la problématique prend une autre dimension” », prolonge Guillaume Duflos, docteur en biochimie à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Dès 2016, le directeur de recherche a initié plusieurs axes de recherche, en particulier sur les niveaux de contamination des aliments par les microplastiques. « Nous avons bien avancé sur les boissons. Concernant l’eau, les études montrent globalement moins de microplastiques dans l’eau du réseau, donc du robinet, que dans l’eau des bouteilles. »
Le deuxième axe de recherche « porte sur les impacts sur la santé avec les premiers constats faits par Mathilde Body-Malapel, avec qui nous collaborons sur des projets de recherche, notamment en étudiant l’impact des microplastiques sur le système digestif ». Troisième champ de recherche, les additifs : « Il s’agit notamment des retardateurs de flamme, des colorants ou des métaux lourds, dont la dangerosité pour certains reste encore peu connue. »
Bien que récente, la mobilisation des chercheurs a déjà permis de « franchir des étapes importantes comme la normalisation d’une méthode de dosage des microplastiques notamment dans les eaux de boisson au niveau national et bientôt au niveau international. Ce qui va permettre dans un premier temps de comparer nos travaux de recherches ».
Avec comme espoir, notamment, de contribuer à « définir des seuils de référence de microplastiques à ne pas dépasser dans les aliments, dans le but de protéger au mieux les consommateurs ».
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