
19 août 2025

La vague d’incendies qui ravagent l’Espagne depuis début août suscite la colère contre les autorités, débordées, dans un pays pourtant habitué aux feux de forêt.
Madrid (Espagne), correspondance
« Je n’ai jamais vu un feu comme celui-là », dit au bout du fil Eva Maria Valez Fernandez, une habitante de Molinaseca, en Castille-et-León. Cette région du nord-ouest de l’Espagne est l’une des plus touchées par la vague de gigantesques incendies qui affecte le pays depuis début août.
Des milliers de personnes ont dû être évacuées, des villages entiers sont partis en fumée et des sites historiques comme Las Médulas, une zone d’anciennes mines d’or romaines classée au patrimoine mondial de l’Unesco, ont été calcinés.
« Ça fait dix jours que cet incendie ravage tout, ça me terrifie. Je vois le feu qui avance, mais aujourd’hui [le 18 août] je n’ai entendu aucun avion ou hélicoptère. Où sont-ils ? Ils nous ont complètement abandonnés », se désole Eva. Des images de citoyens luttant contre les flammes avec des moyens du bord, comme des pelles ou des tuyaux d’arrosage, circulent de plus en plus avec à chaque fois le même slogan : « Solo el pueblo salva al pueblo » (« Seul le peuple sauve le peuple »).

Les autorités sont débordées par l’intensité et la multiplication des départs de feux ces derniers jours. Plus de 343 000 hectares ont déjà brûlé depuis le début de l’année en Espagne, selon les dernières données du Système européen d’information sur les incendies de forêt (Effis). Soit environ 490 000 terrains de football. Un triste record historique pour le pays, battant celui de 2022, où 306 000 hectares étaient partis en fumée.
Pendant que les incendies font toujours rage dans les régions d’Estrémadure, de Galice et de Castille-et-León, et ont coûté la vie à au moins quatre personnes, dont un pompier, les attaques politiques fusent de toute part. Les gouvernements régionaux de droite et le gouvernement central de gauche se renvoient la balle sur les moyens déployés.
« Il faut arrêter ces attaques politiques. On doit déclencher le niveau 3 [permettant une mobilisation plus importante des ressources] et appeler l’armée en renfort, le temps presse », s’inquiète Eva, qui redoute de devoir évacuer dans les prochaines heures.
Des centaines de personnes ont manifesté le 18 août pour demander la démission du gouvernement régional de Castille-et-León et réclamer l’intervention du gouvernement central dans la lutte contre les incendies. Le gouvernement régional a exclu cette possibilité.
Des conditions propices
L’Espagne a connu un mois d’août extrêmement chaud avec une vague de chaleur de plus de deux semaines et des températures allant jusqu’à 45 °C. L’agence météorologique espagnole (Aemet) avance même que le mois d’août est en passe de devenir le mois d’août le plus chaud de l’histoire en Espagne, comme ce fut le cas pour le mois de juin. À cela s’ajoutent des vents forts et une végétation très dense suite à un printemps très pluvieux.
« Cette combinaison de facteurs crée une sorte de cocktail explosif, explique Cristina Santín, scientifique spécialiste des incendies. On voit maintenant des feux de sixième génération. Ils sont immenses et dépassent nos capacités d’extinction. On ne peut donc pas les contrôler, il faut simplement attendre que le temps change, que le vent tourne ou que le feu atteigne un endroit où il n’y a plus de combustible. »
« Peu de zones végétales peuvent faire barrière aux incendies »
La chercheuse souligne aussi que jusqu’au milieu du XXe siècle, les espaces ruraux formaient une mosaïque de zones montagneuses, de vastes forêts, de terres agricoles et de villages, mais que l’exode rural vers les grandes villes a fait augmenter les risques. « En retrouvant sa liberté, la nature a créé une étendue plus uniforme de combustible végétal, de sorte que peu de zones peuvent faire barrière aux incendies », explique Cristina Santín.
Face à la multiplication des incendies et des services débordés, l’Espagne a fait appel, pour la première fois, au mécanisme de protection civile de l’Union européenne. La France y a notamment répondu en envoyant deux Canadair le 14 août.
Boucs émissaires
« La prévention n’a pas été la pierre angulaire de nos politiques et nous en payons maintenant les conséquences, juge Víctor Resco de Dios, professeur d’ingénierie forestière à l’université de Lérida. Les changements climatiques sont là pour rester et aggraver le problème. On doit consacrer davantage de temps et de ressources à la gestion et à la prévention des incendies. » En visite dans des régions sinistrées le 17 août, le Premier ministre espagnol a annoncé la création d’un « pacte national face à l’urgence climatique ».
Les autorités espagnoles suspectent que la majorité des incendies déclenchés ces dernières semaines soient d’origine humaine, intentionnelle ou non. Au moins 31 personnes ont été arrêtées depuis le début du mois de juin et près d’une centaine d’autres sont sous enquête, selon les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur espagnol.
« En se concentrant uniquement sur les causes de ces incendies, on manque notre but, explique Víctor Resco de Dios. La prévention des incendies est l’une des tâches que les autorités sont censées accomplir, dans le cadre de leurs compétences. Or, faute de le faire, ils cherchent des boucs émissaires. »
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